Devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes se déroule depuis ce 4 janvier, le procès de 13 hommes accusés de l'enlèvement de la femme d'affaires Jacqueline Veyrac en octobre 2016 à Nice. L'ancien gérant du restaurant La Réserve nie toute implication, alors que ses co-accusés l'accablent.
Derrière la vitre du box des accusés, Giuseppe Serena, 67 ans, parle le souffle court. Gêné par le masque, mais aussi par ses multiples problèmes de santé. Il a été amputé d'un poumon suite à un cancer. Incarcéré depuis 4 ans, celui que se présente comme un "restaurateur à la retraite" continue de clamer son innocence :
Je n'ai rien à voir avec cette organisation, c'est une mascarade, qui va m'accuser parce qu'elle a trouvé en moi le coupable idéal.
Devant la cour d'assises qui juge pendant 4 semaines l'affaire de l'enlèvement de Jacqueline Veyrac, Giuseppe Serena n'a plus la superbe de l'époque où il gérait le restaurant gastronomique La Réserve, à Nice, et partageait la vie de son jeune chef finlandais, 1 étoile au Guide Michelin. C'était en 2007.
Serena, né dans la région de Turin, avait visiblement laissé derrière lui, en Italie, son passé marqué par une demi-douzaine de condamnations pour des infractions liées à ses activités commerciales : fraudes, chèques sans provision, banqueroute frauduleuse.
A Nice, il avait connu le succès grâce à un premier restaurant dans le quartier du port avec son compagnon, avant de prendre en location-gérance La Réserve, propriété de Jacqueline Veyrac.
Mais en 2009, c'est la déconfiture : cessassion de paiement. Giuseppe Serena sera interdit de gestion, et perdra tout. D'où un lourd contentieux, notoire, avec Jacqueline Veyrac. Le mobile parfait.
C'est facile : on me fait porter le chapeau. C'est classique.
Son avocat Corentin Delobel confirme la ligne de défense de Giuseppe Serena : "Le mobile ne suffit pas à justifier un crime. Le mobile, il l'a. Mais ce n'est pas suffisant pour condamner un homme qui clame son innocence depuis 4 ans".
D'où Serena connait-il alors ses co-accusés ? s'enquiert le président de la cour, Patrick Véron. Enrico Fontanella (absent, il sera jugé ultérieurement en raison de son état de santé) est un ami de 40 ans, originaire d'un village voisin du sien en Italie.
C'est Fontanella, alors qu'il travaillait sur l'île de Jersey en Angleterre, qui lui a fait rencontrer Philip Dutton, un ancien militaire britannique à la dérive, hébergé dans un foyer. Selon Serena, Dutton est "une relation d'affaires", qui devait lui faire rencontrer des investisseurs pour son nouveau projet, la rénovation de l'hôtel du Masque de Fer sur l'île Sainte-Marguerite à Cannes. C'est dans ce cadre, explique Serena, qu'il a fait venir les deux hommes sur la Côte d'Azur.
Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de commettre les faits ? C'est Monsieur Serena.
Quand Philip Dutton prend la parole, la version est toute autre. Aux questions du président, l'ancien soldat répond de façon très directe.
Vous avez tenté d'enlever Jacqueline Veyrac en 2013 ? "Correct". Son ADN avait été retrouvé sous les ongles de Jacqueline Veyrac qui s'était débattue.
Vous avez participé à la préparation de l'enlèvement en 2016 ? "Correct". Le rapt à proprement parlé avait alors été délégué à un groupe de jeunes du quartier des Moulins, qui comparaissent également devant la cour d'assises. Outre le rôle de "conseiller technique" lors de la préparation, Dutton reconnait aussi avoir passé le premier coup de fil au fils de Jacqueline Veyrac après son enlèvement : "Il va falloir payer".
"Je suis venu à Nice parce que Fontanella m'a parlé d'une possibilité de se faire de l'argent" explique Dutton, qui affirme avoir été parfaitement au courant de ce qu'on lui demandait.
"Dutton est quelqu'un qui ne fuit pas ses responsabilités", affirme l'enquêteur de personnalité. Ce dernier pourtant ne peut que constater s'être fait berné par l'intéressé. Le président : "Vous avez menti lors de l'enquête de personnalité en vous inventant un passé militaire glorieux en Afghanistan ?". "Correct". On ne sait plus que croire.
"Serena savait tout"
Luc Goursolas, lui, comparaît libre. L'homme d'une cinquantaine d'années est un ancien paparazzi reconverti en détective privé. Dans les couloirs du Palais de justice, c'est à son tour de fuir les objectifs des caméras. Mais il ne peut pas s'empêcher de parler aux journalistes. "Senera savait tout", nous dit-il.
Luc Goursolas a été chargé par Philip Dutton de poser des balises sous la voiture de Jacqueline Veyrac, mais affirme haut et fort s'être fait manipuler. Le détective privé, qui collaborait à l'occasion avec les services de police niçois, dit n'avoir jamais su qu'il s'agissait de préparer un enlèvement. "Si on m'avait parlé de ça, j'aurais tout-de-suite appelé la police".
"Serena a expliqué rapidement, puisqu'ils se sont vus trois fois maximum, que son copain le trompait, et qu'il voulait utiliser Goursolas pour mettre à jour l'adultère", nous dit l'avocat de l'ancien paparazzi, Adrien Verrier. "Quant à savoir la finalité réelle, c'est à Serena de s'expliquer".
Les choses s'enveniment dans la salle d'audience, quand Goursolas affirme avoir été tabassé par des gens "envoyé par Serena" pour qu'il change sa version.
"Menteur !" s'écrie Serena depuis le box.
A la seule audition des différents accusés, il est bien difficile d'y voir clair sur le degré d'implication de chacun. Giuseppe Serena est-il un manipulateur qui a fomenté pendant des années sa vengeance à l'encontre de Jacqueline Veyrac ? Est-il un bouc émissaire désigné par des criminels crapuleux qui voient leur plan mal tourner ?
Les éléments tangibles récoltés lors du travail d'enquête devraient maintenant éclairer les débats.
Jacqueline Veyrac attendue ce jeudi devant la cour d'assises
Un fait ressort des premières déclarations des accusés : si les ravisseurs de Jacqueline Veyrac ont préparé en détail le moment de l'enlèvement de la femme d'affaires, ils n'ont en revanche pas pensé au lieu où la séquestrer. Philip Dutton, qui assume son rôle de "conseiller technique", le reconnait.
D'où les conditions particulièrement difficiles des 2 jours de captivité de Jacqueline Veyrac, du 24 au 26 octobre 2016. La dame alors âgée de 76 ans est restée enfermée à l'arrière d'une fourgonnette, sur un matelas, baillonnée, pieds et poings liés avec des Serflex, pendant 48 heures. Jusqu'à ce qu'un passant intrigué ne vienne la libérer.
Jacqueline Veyrac viendra relater son calvaire ce jeudi 7 janvier devant la cour d'assises. Cette dame très discrète "veut limiter sa présence à l'indispensable" au tribunal, précise son avocat Luc Febbraro selon qui Jacqueline Veyrac "ne comprend toujours pas, au jour d'aujourd'hui, une telle haine".