Presque trois ans après la tempête Alex qui a notamment dévasté les vallées de la Tinée et de la Roya dans les Alpes-Maritimes, les chantiers de réhabilitation se poursuivent. Nombre d'entre eux sont pris en charge par des bénévoles dont beaucoup sont mobilisés depuis les premiers jours, plusieurs week-ends par mois.
Elles ne s'étaient encore jamais engagées dans une association auparavant. Chantal Mei et Anne-Laure Carrega sont pourtant toutes les deux membres des associations qui viennent en aide aux sinistrés de la tempête Alex, survenue les 2 et 3 octobre 2020.
Cette tempête a notamment dévasté la vallée de la Roya dans les Alpes-Maritimes. La première fait partie de Week-Ends Solidaires, créé après les intempéries et la seconde est membre de Mission Trekkeurs, également née après la catastrophe.
Depuis presque trois ans, elles participent à presque tous les chantiers de réhabilitation, de nettoiement de rénovation qui ont lieu dans la vallée. C'est également le cas de Roland Huttier, membre de l'association de Week-Ends Solidaires. Tous les trois ne se voyaient pas "rester les bras croisés" face au désastre.
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"Quand j’ai vu ces terrains entiers ensevelis, je me suis dit qu'il fallait rendre service, se rappelle Anne-Laure Carrega. Mon terrain a subi un effondrement mais dans une moindre mesure. Une partie pouvait être utilisée pour les animaux. Martial (fondateur de Mission Trekkers ndlr) a dit qu’il avait besoin d’une base arrière et que mon terrain pouvait être utile. On pouvait y installer des bivouacs. Du coup, je n'ai pas eu d'animaux mais de grands gaillards", rigole-t-elle.
Le premier week-end (après la tempête ndlr) j’ai vu des pompiers, des gendarmes, des randonneurs implantés sur mon terrain. Puis, dans la discussion avec Martial on a parlé montagne. Et je me suis engagée comme ça.
Anne-Laure Carrega, vice-présidente de Mission Trekkeurs
"Quand il y a eu la tempête je me suis dit que je ne pouvais pas rester les bras croisés, témoigne Roland Huttier. Avec les amis on a fait un petit groupe et on passait sur Sospel et Breil (Breil-sur-Roya ndlr). On a commencé avec la pelle et la pioche sur le dos pendant deux trois semaines."
Fin novembre 2020 on faisait un chantier à Roquebillière à la pisciculture. Et on m’a dit : "il y a un groupe qui va nous aider, "Week-Ends Solidaires". Je suis resté avec eux et je ne les ai plus quitté."
Roland Huttier, bénévole membre de WES
"J’ai fait beaucoup de randonnées, donc je connais les vallées. L’année d’avant la tempête je m'étais arrêtée à Breil sur la petite place et je m'étais dit que c'était une carte postale. Juste après tout a été chamboulé, raconte Chantal Mei. Je me suis dit : "j’aimerais trop les aider."
Je me suis inscrite sur un groupe de solidarité de la tempête Alex. Gil Marsalla (fondateur de l'association week-end solidaire ndlr) a publié cet appel à l’aide. J’ai sauté sur l’occasion. On s’est tous retrouvés à la gare de Nice. Mon premier chantier était au hameau de la Pinea.
Chantal Mei, bénévole membre de l'association Les Week-end solidaires
Un chantier où elle est retournée il y a deux mois.
Elle a pu constater l'utilité de leur action. "Notre passerelle construite avec des planches de bois et le chemin de randonnée reconstruit sont toujours là. Nous étions chez Laurent et Florence à Breil, nous leur avons reconstruit un mur et nettoyer les berges bordant leur terrain. Un super barbecue nous a été offert par notre association, nous avons tous passé un bon moment d'entraide dans la bonne humeur", écrit-elle sur son compte Facebook.
Elle fait partie de ceux qui se surnomment les WES, du nom de leur groupe.
Leur devise ? "WES un jour, WES toujours !"
"Il y a des gens qui n'ont pas les moyens de réhabiliter leurs biens"
Présents presque tous les week-ends dans la vallée, c'est aujourd'hui quelques samedis par mois. Un engagement qu'Anne-Laure Carrega vit comme "un éveil citoyen d’une conscience citoyenne." "Si on ne le fait pas nous, qui le fera ? poursuit-elle. Les villes et communes se dépeuplent... La Roya, c’est rural. Si on n’aide pas un minimum, les gens partent."
"J’ai toujours aimé participer, explique de son côté Roland Huttier. Je suis très peu figurant. Cette tempête m’a marqué comme tout le monde. Cela fait deux ans et demi et on continue, c'est la preuve qu'il y a encore des besoins. On ne peut pas laisser ces gens à l’abandon. (...) Il y a des gens qui n'ont pas les moyens de réhabiliter leurs biens."
La gorge nouée, les larmes dans la voix, Chantal est toujours marquée par ses expériences vécues durant les week-ends de mobilisation : "C’est pour aider les gens. Ça me touche. On voit encore des carcasses de maison coupées en deux… C'est désolant… Des gens ont tout perdu."
On a aidé une femme d’un pompier qui a péri dans la tempête et d’aller chez elle pour remonter un mur... Ça me remue.
Chantal Mei
Alors Chantal Mei continue pour tenter d'effacer les traces du désastre climatique, pour que les gens "retrouvent un peu de bonheur. Qu’ils arrêtent de voir, chaque jour des pierres dans leur jardin."
"Reconstruire les vallées, les chemins, c’est redonner un aspect physique à la région", indique Roland Huttier.
Il y a aussi le plaisir des rencontres avec ces gens qu’on n’aurait jamais vu et connu. Il y a des gens chez qui on retourne pour dire bonjour. Il y a même des anciens sinistrés qui sont dans l’équipe. Il y en a quelques-uns qui nous aident autant qu’ils peuvent. C'est la grande famille des Week-Ends Solidaires.
Roland Huttier
Les relations humaines sont essentielles dans leur engagement. Pour Martial Lyonnais, fondateur de Mission Trekkeurs, c'est même ce qui fait venir les bénévoles : "Cela réchauffe le cœur des sinistrés et le cœur des bénévoles. Cette richesse humaine qu’on récupère... On part deux jours au minimum, parfois plus. Des fois les bénévoles qui ne se connaissaient pas il y a quelques heures et bien ils partagent des émotions et se retrouvent parfois ailleurs."
"On fait des sorties plages, kayak. On a fait un jour de l’an ensemble et des week-ends chandeleur. On essaie de faire des sorties... En dehors des samedis !", renchérit Chantal Mei.
Les paysages dévastés de la vallée de la Roya, parcourus depuis des années par ces bénévoles dans l'espoir de redonner vie au territoire, fait-il d'eux des héros ? "Ce qu’on fait, on le fait naturellement. Un héros se sacrifie, nous on ne se sacrifie pas, on y va tout simplement pour aider", estime Roland Huttier.
Au début, c’était horrible ce qu’on pouvait voir. On avait les larmes aux yeux le soir en rentrant. J’ai des souvenirs de gens qui voulaient nous dire merci mais il y avait tellement d'émotions. J’avoue avoir eux souvent les larmes aux yeux. Héros ? Non ce n'est pas le terme. On aide tout simplement. On ne se pose pas de questions, c’est tout. On y va.
Roland Huttier
"Je continuerai jusqu'à ce que mon corps dise : "je n'en peux plus"
"Pour l’instant on est là, encore en vie, on a des demandes et des ressources donc tant qu’on a de la ressource on continue. Il faut qu’on se préserve, nous et nos vies, mais, on a envie de continuer cette aventure humainement incroyable", répond Anne-Laure à propos de la durée de son engagement.
"Je continuerai jusqu’à ce que mon corps dise :"j’en peux plus." Je ne peux plus faire autant de samedis, je sens que dans les muscles, ça fatigue. Je continuerai tant que je peux physiquement", explique Chantal Mei.
Ce samedi 13 mai, un nouveau chantier va démarrer à Breil-sur-Roya pour venir en aide à un couple sinistré. Une passerelle sera construite, en trois phases par les deux associations et la fondation Vinci.
Preuve que les besoins sont encore importants dans la vallée. Anne-Laure Carrega et Chantal Mei ne seront, cette fois-ci, pas présentes. Roland Huttier a déjà programmé son samedi et sera bien au rendez-vous, de son côté, à Saint-Dalmas.