1 an après avoir perdu la concession du kiosque vendant les fameux pan bagnat, "Chez Félix" ouvre dans un autre lieu. La famille Allais officiait depuis 50 ans dans le quartier Magnan. Désormais, c’est sur l’avenue Jean Jaurès que cette véritable institution niçoise rebondit grâce à ses clients fidèles.
Jean-Charles Allais et son épouse Marie, s’activent entre les tomates, les radis, les petits pains ronds, les anchois et les œufs durs. Il faut prendre ses marques dans ce nouveau local. On sent de l’énergie à revendre, l’envie de démarrer, une nouvelle aventure, et l’impatience de retrouver les clients fidèles.
"C’est grâce au soutien qu’on a reçu pendant des mois et des mois qu’on est là, explique le fils de Felix. On recevait des centaines de coups de téléphone pour nous demander si on allait ouvrir quelque part ailleurs, si on avait trouvé un nouvel emplacement, quand est-ce qu’on allait recommencer à préparer nos pan bagnat. Tous ces encouragements, ça nous a fait chaud au cœur. C’est ça qui nous a poussé, à notre âge, à continuer l’aventure de chez Felix."
"La mort du kiosque à Felix"
"C'est la mort du kiosque à Felix. Il doit se retourner dans sa tombe" exprimait une cliente en pleurs à l'annonce de la perte de la concession par la famille Allais. "Mes parents nous emmenaient là manger le pan bagnat, et moi-même, j'y viens avec mes enfants maintenant."
Il y a un an, le 20 juin 2022, Jean-Charles et Marie quittaient, le cœur en lambeaux, les 9 m² de kiosque qui avait vu passer quatre générations de gourmands. Une clientèle, modeste, simple, populaire, attachée aux traditions niçoises et à son patrimoine culinaire.
Les quartiers de la Madeleine et de Magnan oscillaient entre tristesse, dégoût et colère. Une pétition circulait, recueillant des centaines de signatures. La mairie était interpellée haut et fort. Il faut dire que depuis 1966 que Felix et son épouse, Mathilde, avaient fondé le kiosque à pan bagnat, il était devenu plus qu'une institution. La référence locale du fameux sandwich rond aux légumes qui fait la fierté des Niçois ! Plus important encore, un lieu essentiel de lien social dans ces quartiers éloignés du centre-ville.
Felix et Mathilde avaient même acheté ce petit bout d’espace à deux pas de la caserne des pompiers et de la piscine Jean Médecin.
Et puis, Jean-Charles, leur fils les avait rejoint, et puis, il s’était marié, et puis, son épouse, Marie, à son tour, avait rallié, dans ce bout de paradis, le reste de la famille. Tout le monde s’activait dans le petit kiosque et papotait avec les clients.
Les clients, explique Marie les yeux brillants d’émotion, c’est pas des clients. C’est devenu des amis au fur et à mesure des décennies. Ils attendent toujours que Jean-Charles raconte des anecdotes. Moi, les petites mamies, je les materne, c’est dans ma nature. Elles me racontent leurs histoires, je les écoute. Mes beaux-parents étaient comme ça aussi. C’est une façon d’être. On prend le temps.
Marie.
Et puis, la règle du jeu a changé. Brutale. Inique. Oublié l’achat du kiosque par Felix et Mathilde. Bonjour les mesures d’attribution de concessions sur le domaine public et la loi des appels d’offres.
Félix et Marie font une proposition honnête, qui ne sera pas retenue. Fin février 2022, le couperet tranche : après 56 ans d’exploitation, le rideau tombe. Jean-Charles et Marie sont sous le choc.
"Heureusement que mes parents n’ont pas vu ça, disait Jean-Charles, au moment de quitter les lieux."
Le 29 juin 2022 il remet les clés du kiosque devant un parterre des clients en larmes. C’est la fin d’une époque et d’une certaine humanité.
"Je ne sais pas ce qu’on serait devenu"
L’affaire vire au scandale et devient quasi politique. Élus et responsables prennent partis. Certains parlent même de modifier la loi au regard de l’ancienneté dans les lieux. La mairie montrée du doigt se voit contrainte de proposer des solutions de replis. Aucune ne donnera satisfaction au fils de Félix. "J’ai bientôt l’âge de la retraite dit Marie, c’est sûr que s'il n’y avait pas eu tous ces soutiens, l’amour de tous ces amis-clients, de tous ces fidèles, je ne sais pas ce qu’on serait devenue."
"À partir du mois d’octobre, on s’est mis à chercher un local, explique Jean-Charles. À Magnan, on voyait la mer. On ne pouvait pas prendre un lieu qui donnait sur un mur. Et quand on a trouvé ce petit local, tout en longueur, en face du lycée Massena, et de la coulée verte, on a compris que c’était le bon. Il y a eu 2 mois de retard dans les travaux. Les commerces voisins nous ont accueilli avec énormément de gentillesse. Ça aussi, ça nous fait chaud au coeur."
On sent leur sensibilité pas loin de déborder... Ouvert depuis quelques heures, à peine le bouche-à-oreille a cavalé dans toute la ville et les clients se pressent dans la petite boutique.
"J’étais en deuil vraiment dit cette cliente en entrant dans la boutique", le visage rayonnant. "Moi j’ai connu ses parents", raconte une autre.
Un pan-bagnat de roi
Pain souple et croustillant, légumes et œuf dur émincés très fin, assaisonnement généreux, joie en bandoulière… Les rires ont remplacé les larmes, même si, dans les yeux de Marie et de Jean-Charles, elles ne sont jamais très loin, tant l’émotion est forte.
L’avenue Jean Jaurès a désormais trouvé un supplément d’âme. La tradition et le patrimoine ont vaincu. Félix et fils sont revenus !