Emmanuel Macron a jugé ce mercredi 26 janvier "impardonnable pour la République" la "tragédie" de la fusillade de la rue d'Isly, à Alger, qui a fait 46 morts et 150 blessés en 1962. De nombreux civils partisans de l'Algérie française étaient présents, parmi eux Sauveur Bucaro. Il se souvient.
"60 ans après, je ne sais pas comment je suis vivant" lance Sauveur Bucaro quand il évoque la fusillade de la rue d'Isly.
Aujourd'hui installé à Nice, dans les Alpes-Maritimes, ce rapatrié d'Algérie avait 25 ans le 26 mars 1962 et venait tout juste d'avoir son premier enfant.
Venu avec son beau-frère et une nièce d'El-Biar, dans la banlieue d'Alger, il ne s'attendait pas à ce que la manifestation se termine en bain de sang.
60 ans après je ne sais pas comment je suis vivant
Sauveur Bucaro, manifestant de la rue d'Isly
"Les gens de Bab El Oued étaient confinés chez eux. Ils ne pouvaient même pas descendre acheter le lait à l'épicerie pour leur enfant" explique Sauveur Bucaro quand on lui demande ce qui l'a poussé à manifester.
Ce blocus a eu lieu suite à la mort de plusieurs soldats français dans un affrontement avec l'Organisation armée secrète (OAS.), organisation clandestine opposée à l'indépendance, affrontement qui s'est déroulé dans le quartier de Bab El Oued.
Un défilé pacifique
Suite aux accords d'Évian du 19 mars 1962 sur l'indépendance de l'Algérie, différentes organisations de Français d'Algérie dont l'OAS appellent à défiler pacifiquement, notamment contre ce blocus de Bab El Oued.
Toute manifestation est alors interdite par la France.
Selon Gérard Crespo, historien diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales Paris (EHESS) et docteur en histoire, il y a eu "deux erreurs monumentales":
- "La première est de confier le maintien de l'ordre à l'armée".
- "La deuxième erreur est de le confier à un régiment de tirailleurs algériens".
Face aux tirailleurs, les manifestants défilent rue d'Isly à Alger, ils se regroupent devant les soldats pour tenter de forcer le passage vers Bab El Oued, bloqué.
C'est alors qu'un coup de feu se fait entendre.
"Les gens courraient à droite, à gauche"
Suite à ce premier coup de feu, l'armée réplique en tirant sur la foule. Sauveur Bucaro se souvient surtout du bruit des armes et des scènes d'horreur : "J'ai vu des gens descendre la rue pour se protéger dans les entrées d'immeubles".
Il n'explique pas l'origine de la fusillade mais maintient que la foule était pacifique : "soi-disant quelqu'un a tiré mais ça n'est pas vrai".
"Une énigme qui n'est toujours pas résolue" pour Gérard Crespo. L'historien évoque deux hypothèses :
- "Une provocation "barbouze". Un policier en civil qui aurait tiré pour faire peur au gens et disperser la manifestation".
- "La deuxième hypothèse est que l'OAS était engagée dans l'affrontement, ce qui est irréaliste car elle n'était pas prête à un affrontement direct avec l'armée".
"Ce jour-là les soldats français déployés à contre emploi, mal commandés ont tiré sur des Français (...) Ce jour-là ce fut un massacre", a ajouté le chef de l'Etat lors d'un discours à l'Elysée.
Emmanuel Macron
Emmanuel Macron s'est exprimé sur cette fusillade ce mercredi 26 janvier à l'occasion d'une rencontre avec des associations de rapatriés d'Algérie.
Plus de 60 ans après les faits, le président de la République a jugé le drame de la fusillade de la rue d'Isly "impardonnable pour la République".
"Ce jour-là les soldats français déployés à contre emploi, mal commandés ont tiré
sur des Français (...) Ce jour-là ce fut un massacre", a ajouté le chef de l'Etat
lors d'un discours à l'Elysée.
"C'est électoral"
À la question : "Est-ce que cette prise de parole du président est importante pour vous ? ", la réponse de Sauveur Bucaro fuse : "Ce qui aurait été plus important est qu'il ne dise pas que la colonisation a été un crime contre l'humanité".
Comme de nombreux "pieds-noirs", ce témoin direct de la fusillade de la rue d'Isly n'a pas pardonné ces propos à Emmanuel Macron.
Le chef de l'État avait qualifié la colonisation de "crime contre l’humanité" lors d’un déplacement à Alger en 2017.
"Ça a de l'importance quand même mais le moment est mal venu. C'est électoral" conclut Sauveur Bucaro en faisant référence à l'élection présidentielle d'avril 2022.
Les noms des "victimes innocentes" de la rue d'Isly sont inscrits depuis 2010 sur le mémorial national de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie mais l'Etat français n'a jamais reconnu de responsabilité dans cette fusillade qui a fait selon le bilan officiel 46 morts et 150 blessés.
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