Le cas du cuisinier du Poppies à Nice est délicat : l'homme était déclaré par ses deux employeurs mais il n'avait pas obtenu de titre de séjour, malgré une demande faite il y a deux ans auprès de la préfecture des Alpes-Maritimes. Après avoir été soutenu par la CGT, il a pris une avocate.
C’est une victime collatérale de l’opération de désobéissance civile. Moussa Ndieng, 34 ans, a été contrôlé le mercredi 27 janvier au restaurant le ‘Poppies’ de Nice. Son patron, Christophe Wilson, lui avait demandé de venir travailler en cuisine. Le restaurateur avait bravé l'interdiction d'ouverture, une opération de désobéissance civile annoncée à la presse. Moussa, lui, pensait faire de la vente à emporter. Il ne savait pas qu’il allait se retrouver au cœur d’un tourbillon médiatique.
Obligation de quitter le territoire
A l’heure du déjeuner, ce jour-là, les journalistes sont presque aussi nombreux que les policiers. Le cuisinier est arrêté puis interrogé à la caserne Auvare à Nice. Il en ressort à 17h45 avec une obligation de quitter le territoire français (OQTF, dans le jargon judiciaire). De son côté la préfecture des Alpes-Maritimes communique un peu vite sur cette opération de contrôle : « Son cuisinier, un étranger en situation irrégulière y travaillant a été placé en rétention. »
#NICE #COVID19
— PréfetAlpesMaritimes (@prefet06) January 27, 2021
1/2 Le restaurateur qui a ouvert son établissement à midi à Nice est ce soir en garde à vue.
Son cuisinier, un étranger en situation irrégulière y travaillant a été est lui placé en rétention.
Les réseaux sociaux et les médias s’emballent. Les autorités annoncent qu’il est placé en centre de rétention. Un lieu fermé pour les personnes qui doivent être expulsées. Certains annoncent que le cuisinier va être expulsé à cause de la fronde de son patron.
Bilan ce soir: le restaurateur est en GAV (pour une autre affaire). En plus d'avoir bravé une interdiction sanitaire, il employait un cuisinier en situation irrégulière. Le pauvre se retrouve en centre de rétention. Tout est glauque dans cette histoire... #Nice #Poppies https://t.co/GGUgVC34bG
— Nils Wilcke (@paul_denton) January 27, 2021
Chaque mot a son importance. Maître Hanan Hmad, désormais avocate du cuisinier, pense que les autorités ont confondu ‘être placé en rétention’ et ‘être retenu’, c’est-à-dire entendu par les policiers. Dans le bureau de son avocate, Moussa stressé, regarde régulièrement son téléphone portable. Après son arrestation, la CGT lui a affirmé qu’elle s’occuperait de son cas et l’aiderait.
Demande sans réponse
Mais quelques jours plus tard, il a préféré prendre une avocate. Il affirme qu’il a déjà fait une demande de titre de séjour auprès de la préfecture des Alpes-Maritimes il y a deux ans. Une demande restée sans réponse. « Ce qui arrive souvent », explique l’avocate. Moussa Ndieng a la double nationalité, ivoirienne et sénégalaise. Arrivé sur le territoire français il y a 10 ans, il a toujours travaillé.
Deux emplois à temps partiel
D’abord comme jardinier, puis ensuite comme cuisinier. Il a appris son métier sur le tas. Actuellement, il est employé par deux restaurateurs niçois. Au Poppies, il faisait le service du midi et chez un autre restaurateur, le soir uniquement. Deux emplois à temps partiel qui lui permettent d’avoir un salaire de 1700 euros environ par mois et donc d'être autonome financièrement.
"Mercredi, ma vie a été chamboulée"
Le cuisinier affirme qu’il a des fiches de salaire car ses deux restaurateurs l’ont déclaré :
Depuis 2014, je travaille en France, je paye mes impôts, je cotise à la sécurité sociale. Mercredi, ma vie a été chamboulée. Toute ma vie j’ai travaillé, j’ai fait 10 ans ici … J’ai peur d’être obligé de retourner au pays, c’est un peu dur pour moi
Son avocate confirme : « C’est une personne qui a travaillé pendant de plusieurs années, il a des fiches de salaire. Il entre dans le cas d'une intégration par le travail d'une intégration professionnelle ». Contacté, le procureur de la République précise que le restaurateur écope d’un rappel à la loi pour avoir employé un étranger sans titre de séjour. Une enquête sanitaire est en cours. Quant à la fermeture administrative, c’est la préfecture qui tranchera.
Circulaire Valls
Moussa Ndieng, lui, peut être expulsé à tout moment. Des démarches sont en cours pour obtenir sa régularisation. Me Hmad compte s’appuyer sur la circulaire Valls de 2012 qui permet de plaider la bonne intégration professionnelle. Une circulaire prévue pour permettre d’obtenir de la main d’œuvre dans les secteurs en tension. Mais le Covid est passé par là.
"Résider sur le territoire depuis 5 ans"
Que dit cette circulaire ? "Pour les salariés en situation irrégulière : ils doivent résider sur le territoire français depuis au moins 5 ans et avoir travaillé au moins 8 mois sur les deux dernières années ou 30 mois sur les 5 dernières années. Une preuve de l’emploi actuel ou une promesse d’embauche doit être fournie aux services de la préfecture." Moussa Ndieng pourrait correspondre à ces critères.
Médiatisation
Mais cette circulaire n'est pas appliquée de la même façon dans toutes les juridictions. Selon Me Hmad, la médiatisation peut être à double tranchant. Elle redoute que les autorités cherchent à faire un exemple. En clair, Moussa Ndieng pourrait être soit rapidement régularisé, soit vite expulsé.
Recours gracieux
En attendant, la juriste va demander un ‘titre de séjour de salarié temporaire’. Un titre renouvelable qui est délivré à certaines conditions. Elle va aussi déposer un recours gracieux auprès de la préfecture des Alpes-Maritimes et du Ministère de l’intérieur pour obtenir sa régularisation. Le destin du cuisinier, qui souhaite continuer à travailler à Nice, se jouera dans les prochaines semaines.