VIDEO. Procès de l’attentat de Nice : pour Kenza, une enfance gâchée par le traumatisme

Hager Ben Aouissi et sa fille Kenza, âgée de 4 ans à l’époque, sont passées entre les roues du camion, le 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais à Nice. Elles s'en sont sorties presque indemnes. Depuis six ans, la petite fille vit un traumatisme énorme qui l’empêche d’avoir une enfance normale. Sa mère nous raconte, alors que s'ouvre ce lundi 5 septembre le procès de l'attentat, au Palais de justice de Paris.

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Personne ne peut imaginer vivre une chose pareille. Personne ne peut s’imaginer vivre ce qu’ont vécu Kenza à 4 ans et sa maman, et survivre. Le 14 juillet 2016, elles sont passées entre les roues du camion qui a tué 86 personnes sur la Promenade des Anglais de Nice.

Hager Ben Aouissi se tenait devant un stand de bonbons quelques secondes avant le passage du camion. Sa fille, Kenza, la prévient alors : “Maman, il y a un camion…” Pour Hager, un camion ne signifie pas forcément un danger. Kenza répète sa phrase, avec plus de peur dans la voix. “Je revois encore son regard terrifié et je me rappelle du sentiment d’impuissance que j’ai eu en me disant : je vais voir ma fille mourir sous mes yeux broyée par un camion”, raconte-t-elle à France 3 Côte d’Azur, près de six ans après les faits. 

Alors que le camion approche, Hager se rend compte qu’il renverse plusieurs personnes sur son passage. Hager analyse (très) rapidement la situation : sur un côté, le stand de confiseries, tout autour d’elle une foule compacte - “c’était blindé” - et face à elle “déjà là”, le camion. La mère de Kenza ne voit alors qu’une seule solution, “passer en dessous”. Elle attrape sa fille et se jette au sol en la couvrant de son corps.

Persuadée qu’elle va mourir, Hager se dit qu’elle peut au moins sauver sa fille en la protégeant de son corps. “Je me souviens juste de ce temps où on est complètement dans le noir, où il y a ce bruit terrible quand on est sous le camion, un bruit de ferraille, et après, la lumière revient et je n’entends plus rien.” Elle voit le camion s’éloigner et comprend qu’elles sont saines et sauves. Le lendemain de l’attentat, Kenza racontera à la psychologue que sa maman l’a sauvée car elle l’a “remise dans son ventre”.

Mais l’horreur est encore partout autour d’elles, ce jeudi 14 juillet 2016. Elles voient une femme qui leur fait des signes à quelques mètres et Hager met quelques secondes à comprendre qu'il lui manque la moitié de ses membres désormais. Et ces scènes atroces se répètent presque tout au long de la Promenade.

Le traumatisme présent chaque jour 

Depuis six ans, la petite Kenza ne vit plus normalement. Survivre, c’est bien ce qu’elle et sa mère font depuis l’attentat du 14 juillet 2016. La petite fille a été traumatisée par cet événement. “C’est tellement horrible ce que ces enfants ont vécu, ça dépasse tout ce qu’on peut s’imaginer”, tente d’expliquer sa mère. Cette situation est difficile pour Hager car “pour protéger les autres”, elle s’est retenue de dire ce qu’elle et sa fille avaient vu et vécu ce soir-là. “Ces enfants ont vu des corps broyés, démembrés, dit Hager. Ma fille me parle de cuisses et de têtes d’enfants collées sur le sol. Personne n’est préparé à ça.”

Cela se répercute sur leur vie quotidienne. Après l’attentat, Hager part une semaine en Tunisie rendre visite à son grand-père puis elle a passé le mois d’août “cloîtrée” dans son appartement à Nice avec sa famille. Arrive alors le mois de septembre et la date de la rentrée scolaire. “Là, on s’est retrouvées face à nos vrais troubles, reconnaît Hager. Sur notre canapé, on n’avait pas de problème, personne ne voyait rien, on n’était pas obligé de sortir et faire bonne figure.” Mais le jour où Hager emmène sa fille à l’école, elle comprend l’étendue des dégâts.

Pour arriver à l’école, il faut prendre le tramway pour trois arrêts puis traverser la place du marché. “C’était jour de marché, il y avait des camions partout, se rappelle Hager. Le temps de traverser ce marché, Kenza s'était fait pipi et caca dessus, elle hurlait, il a fallu que je la porte pour l’amener jusqu'à l’école.” Et six ans plus tard, c’est toujours difficile.

Croiser l’objet du traumatisme quasiment tous les jours est une situation presque insurmontable pour Kenza. “Même devant le camion des espaces verts qui vient couper les plantes dans la cour, ça réactive tout, raconte sa mère. Elle se braque, elle ne veut plus sortir de la maison, les cauchemars reprennent.” Elles vivent une vie en “dents de scie” : “Des fois ça va et hop, d’un coup, ça ne va pas du tout”.

Un suivi irrégulier et insuffisant

Dès le lendemain de l’attentat, Kenza a vu une psychologue. Puis, elle a bénéficié d’un suivi très régulier pendant un an et demi. “Deux ans après, ça s’est un peu estompé”, estime la mère de Kenza. Elle précise les raisons selon elle de cette baisse de traitement : “Il n'y a pas beaucoup de psychologues formés au psycho traumatisme et ils n'ont pas le temps de la voir aussi fréquemment qu’il faudrait.” 

Hager Ben Aouissi reproche également à l’école de ne pas être une aide dans le rétablissement de son enfant. Elle affirme que la pédopsychiatre avait fait une demande d'AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire, ndlr), cela a été refusé car Kenza n’a pas de maladie ou un handicap. “J’aimerais qu’il y ait un référent qui puisse la rassurer psychologiquement et qui pourrait faire changer le climat pour elle au niveau de l'école”, dit-elle. En outre, la mère de Kenza assure que celle-ci a déjà été punie parce qu’elle avait été trop absente. Sa mère raconte : 

L’autre jour, j’ai amené ma fille aux urgences parce que je pensais qu’elle était très malade. Elle avait des maux de ventre et elle vomissait. J’ai compris après les examens, qui n’indiquaient rien de grave, que c’était les symptômes d’une crise d’angoisse déclenchée par un barrage de police devant lequel on était passées, à côté du stade de football, plus tôt dans la journée.

Hager Ben Aouissi, mère de Kenza

Ce genre d’épisode arrive régulièrement et la petite fille rate donc souvent des jours d’école. Hager assure que Kenza a déjà été punie pour ses absences à répétition par la maîtresse “alors qu’elle est en connaissance de cause”

En février, la directrice d'école nous a reçues. Kenza avait arrêté l'école un mois car le protocole sanitaire en janvier l'avait angoissée. Elle nous reçoit et elle lui dit “oh tu pourrais faire des efforts, moi aussi j'ai des enfants angoissés, moi aussi mes enfants font des cauchemars des fois”. Ils ne se rendent pas compte que ça n'a rien à voir.

Hager Ben Aouissi

Ces absences à répétition pèsent aussi sur Hager et son compagnon qui doivent sans cesse s’arranger avec leur employeur pour pouvoir garder Kenza à la maison. D’ailleurs, le traumatisme de cette soirée pèse aussi sur Hager. “Le sentiment d'angoisse qu'on ressent en tant que parent quand on se dit que notre enfant va mourir, il ne part plus”, explique Hager. 

Une association pour aider les autres enfants et parents victimes

Mais elle enfouit tout pour se consacrer au maximum au bien-être de sa fille. Elle a changé de travail pour aller vers une mission qui avait plus de sens pour elle. Et elle a créé en mars 2022 l’association “Une Voie des enfants” pour améliorer le suivi des enfants victimes de cet attentat. “Il m'a fallu du temps pour créer cette association parce qu'il a fallu que je me remette moi aussi de mes blessures et de mon traumatisme”, explique-t-elle.

Désormais, elle est entourée de parents qui, comme elle, sont souvent désemparés devant les troubles de leurs enfants depuis le 14 juillet 2016. 

Ils ont les mêmes symptômes psychosomatiques que Kenza, même quand il sont grands. Il y en a qui ont remis la tétine, qui ne dorment plus seul ou bien qui dorment avec des traitements quand ils sont en crise d’angoisse. Il y a des enfants devenus ados maintenant qui sont sous anti-dépresseurs…

Hager Ben Aouissi

Un procès pour se sentir mieux comprise

Pour Hager, ce procès est “le moment d’exprimer son désarroi”. “On est les seuls à pouvoir dire ce qui nous est arrivé, on est les seuls à pouvoir décrire la réalité d'une vie de victime après”, tente-t-elle d’expliquer. Elle aimerait que la société prenne conscience “du gouffre dans lequel on est et de notre impuissance”, dit-elle.

Elle veut montrer comment les parents peinent à se reconstruire quand ils dépensent toute leur énergie à essayer de reconstruire leurs enfants. La fatigue des familles qui ont un “rythme infernal entre les rendez-vous chez les psys, les orthophonistes, leur hyper vigilance qui est accrue…” 

Pour la mère de famille, le plus important est de "faire comprendre aux autorités, à l’Education Nationale et au gouvernement qu’il y a un vrai sujet à traiter” sur le suivi des traumatismes des enfants.

Car pour le moment, ces familles ne se sentent pas soutenues et six ans après le drame, il est trop tard pour rattraper les manques des dernières années.

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