Hélios Azoulay, auteur et musicien originaire de Nice, raconte dans son dernier livre la belle et triste histoire de Bedrich Fritta et son fils Tommy. Alors qu'il était enfermé dans un camp de concentration près de Prague, Bedrich Fritta a dessiné un livre pour le 3e anniversaire de son fils. Cet ouvrage a traversé des générations.
Une histoire si riche devait être racontée dans un livre. Le 18 janvier dernier, Hélios Azoulay, un Niçois expatrié en Normandie, a publié son sixième livre. Pour Tommy raconte une histoire qui n'aurait pas pu être inventée tant elle porte son lot de péripéties, souvent tragiques, et de preuves d'amour.
Hélios Azoulay est un artiste multifacettes. Né à Cagnes-sur-Mer dans les Alpes-Maritimes, il a passé toute son enfance et sa jeunesse à Nice. Mais Hélios Azoulay n'est pas parvenu à développer son art dans la capitale de la Côte d'Azur et a préféré migrer vers Paris puis la Normandie. Là-bas, il a pu développer ses talents de compositeurs, clarinettiste, pianiste et écrivain.
Accompagné d'un violoncelliste et d'une chanteuse, Helios Azoulay et sa clarinette ont interprété des berceuses et des musiques composées dans le camp de Terezín le 23 janvier dernier :
Alors qu'il s'était spécialisé dans l'interprétation de musique jouée dans les camps de concentration lors de la Seconde guerre mondiale, Hélios Azoulay a découvert une histoire qui l'a bouleversé.
Cette histoire, c'est celle racontée dans « Pour Tommy 22 janvier 1944 » aux éditions du Rocher.
Un père résistant
En 1941, un homme juif originaire de Prague est déporté au camp de Terezin, ou Theresienstadt en allemand, un camp connu pour avoir accueilli de nombreux intellectuels juifs.
Son nom est Bedrich Fritta. Au camp, il est forcé de dessiner des affiches de propagande qui prétendent que les conditions de vie sont bonnes dans ce camp alors que les prisonniers sont maltraités et sous-nourris.
Mais Bedrich Fritta, tout comme le reste de l'équipe des dessinateurs enfermés, a une âme de résistant. Il se cache pour dessiner Terezin dans toute son horreur et sa noirceur.
Ces dessins clandestins sont bouleversants de densité. Ils gueulent la vérité là où ce n'est pas permis. Pour moi, ce sont de purs chefs-d'œuvre.
Hélios Azoulay, auteur.
En parallèle de ses dessins sombres, Bedrich Fritta crée aussi un petit livre pour son fils Tommy, qui se trouve détenu avec lui et sa femme au camp de concentration. À l'intérieur, "des aquarelles très lumineuses" qui montrent un petit garçon qui aurait une vie plus normale, celle où il aurait le droit à un gâteau d'anniversaire ou à un colis plein de nourriture. Sur la couverture, on peut lire : "Pour Tommy, Pour son 3e anniversaire. À Terezin, 22-1-1944".
Les dessins sont d'une telle grâce et d'une telle beauté quand on connait la réalité des camps de concentration. C'est l'amour d'un père pour son fils qui transparait.
Hélios Azoulay.
Quand il découvre l'existence de ce livre, Hélios Azoulay brûle d'envie d'en savoir plus. Il veut lire ce livre en entier. Il se lance alors à sa recherche et il parvient à entrer en contact avec un enfant de Tommy, David, petit-fils de Bedrich Fritta. Il lui apprend que Tommy est décédé en 2015, mais qu'il a "la volonté de faire vivre la mémoire de son père". Le Niçois et David deviennent amis et ce dernier lui raconte la suite de l'histoire.
Des dessins qui disent la vérité
Dans un projet résistant, Bedrich Fritta a souhaité faire voyager ses dessins qui racontaient la vérité du camp de Terezin au-delà de ses portes. Mais malheureusement, ses dessins ont été découverts par les Nazis. Lorsque l'homme apprend que son acte résistant a été mis au jour, il rassemble très rapidement ses "300 à 400 dessins" et les place dans une malle qu'il va cacher dans la cour d'une ferme.
"Au fond de la malle, se trouvait le livre Pour Tommy", révèle Hélios Azoulay.
Après avoir subi de la torture, Bedrich Fritta est déporté à Auschwitz, où il trouve la mort. Un membre de l'équipe des dessinateurs, Leo Haas, lui avait fait la promesse d'adopter son fils s'il ne revenait pas vivant du camp de la mort. Leo Haas survit, ainsi que son épouse, et ils parviennent à adopter Tommy.
Heureusement, Bedrich Fritta avait pu confier à Leo Haas le secret de l'emplacement de sa malle à dessin. À la libération, ce dernier va récupérer la malle et retrouve tous les dessins de Bedrich Fritta sur le camp de Terezin, ainsi que le livre Pour Tommy.
Le fameux Tommy a finalement récupéré le livre qui lui était destiné 15 ans plus tard, à l'âge de 18 ans. Jusqu'à la fin de sa vie, "il a toujours gardé le petit livre que lui avait dessiné son père", explique Hélios Azoulay.
Une histoire d'héritage
Le livre d'Hélios Azoulay qui raconte cette histoire est autant pour les enfants, qui peuvent admirer les dessins de Bedrich Fritta, que pour les adultes, qui s'émouvront de la preuve d'amour qu'un père a souhaité transmettre à son fils.
Désormais, le livre original Pour Tommy, qui contient les dessins si précieux de Bedrich Fritta, se trouve à Berlin. David, le petit-fils de Bédrich Fritta, a décidé d'en confier la garde au Musée juif de Berlin. "Symboliquement, c'est vraiment magnifique", s'émeut Hélios Azoulay.
Ils sont allés ensemble le remettre aux conservateurs du musée. "David n'a pas eu la force de feuilleter le livre pour la dernière fois, raconte Hélios Azoulay. Il m'a juste regardé et m'a dit "Last time without gloves" (NDLR : La dernière fois sans gants). C'était fort."
Ce livre est une histoire d'héritage : un petit de 3 ans qui hérite de l'œuvre d'un père, Leo Haas qui donne ce livre à son fils adoptif, puis Tommy qui recherche son père à travers ce livre, David et les enfants de Tommy qui continuent à le faire vivre et enfin, maintenant le voilà au musée.
Hélios Azoulay
Finalement, c'est en voyant leur récit familial raconté par un tiers que les petits-enfants de Bedrich Fritta ont pu saisir l'ampleur historique de cette histoire. À présent, cette histoire peut se retrouver dans toutes les mains. D'ailleurs, le livre connaît déjà un franc succès : en 10 jours, le premier tirage était déjà épuisé !
"Je ne savais pas que ça allait raisonner à ce point-là, s'étonne l'auteur. Mais je crois que ça renouvelle la manière de parler de ce sujet. On y rentre par le biais de l'enfance. C'est quand même un point de vue assez unique et bouleversant. C'est un condensé d'intensité avec au milieu de ça un gamin de 3 ans. On ne peut plus toucher Tommy mais Tommy peut nous toucher."