La chaleur s'intensifie, la canicule frappe, la période est propice aux boissons rafraîchies. Mais problème, partout les stocks de glaçons sont à sec. Chez les fabricants, les machines tournent 24h sur 24 mais rien n’y fait et la pénurie se généralise.
"On ne privilégie personne et on en donne un peu à tout le monde" explique Ludovic Gardier, le technicien de maintenance de la Glacière de la Côte d'Azur à Nice.
Le jeune homme cumule les travaux en haute saison. Dès 4h le matin, dans les supermarchés, les stations-services, chez les professionnels de la restauration et de l’hôtellerie, il commence les livraisons des glaçons que l'entreprise familiale produit. Et il y a aussi toute la clientèle de l'évènementiel comme le Festival de Jazz ou des fêtes privées que Ludovic essaye de satisfaire.
Derrière le haut portail de fer qui interdit l'accès de l'usine au grand public, au 1er étage du bâtiment, dans le bureau paternel, trône une grande peinture noire, un tableau façon Ben, sur lequel est écrit "Toujours se remettre en question" ! C'est le leitmotiv du gérant de la fabrique de glace, Laurent Gardier. Sur son visage, les stigmates des nuits accumulées avec trop peu de sommeil. C'est la pleine saison pour les faiseurs de glaçons.
On pourrait croire que les chaleurs caniculaires sont une aubaine supplémentaire. Les commandes explosent mais l’année est exceptionnelle et rien ne va plus. "On a démarré depuis mi-avril avec une chaleur importante et les stocks ont fondu comme neige au soleil dès le début de mai. Les chaleurs n’ont fait que s’amplifier en même temps que la demande. Lors des pics il y a toujours des confrères qui nous aident mais aujourd’hui, à la mi-juillet, ils n’ont plus de glaçons. Comme plus personnes en Europe n’en n'a, ça devient très compliqué."
Le coeur du problème
Cela parait hallucinant mais le nœud de la crise du glaçon se situe en Espagne. Ce pays est le plus gros fabricant. Le groupe Procubitos Europe répond depuis plus de 30 ans aux besoins des consommateurs de glace les plus exigeants. C’est le leader du secteur avec 6 usines réparties dans tout l’Europe.
Parce que, aussi surprenant que cela puisse paraitre, il est bel et bien fini le temps ou des blocs congelés étaient extraits des glaciers de haute montagne et convoyés en train jusqu’en dans les villes. Depuis 1859, date à laquelle l’ingénieur français Ferdinand Carré a déposé le brevet d’une machine capable de produire des pains de glace, tout s’est accéléré. Le procédé a été miniaturisé aux USA dans les années 1920. La fabrication de la glace est restée un produit d’usine jusque dans les années 1950 ou l’utilisation du fréon comme gaz de refroidissement a permis la production en masse du réfrigérateur et du freezer !
Mais revenons-en à la crise du glaçon ! A titre indicatif, en 2018, l’Espagne a exporté 5.000 tonnes vers l’Hexagone. Elle venait, comme toujours, en complément, lors des pics de demande.
Il a fallu la pandémie coronavirus, ajouté à l’inflation exorbitante du prix de l’électricité dans la péninsule ibérique et la chaleur précoce pour mettre à mal l’industrie du glaçon. Les machines ont beau tourner H24, impossible de pourvoir à la demande. Inutile aussi de songer à stocker les glaçons hors saison. Ils reviendraient beaucoup trop chers.
Un produit raréfié
Les clients des bars et des restaurants, les particuliers, déboursent parfois plus de 2 euros pour rafraichir leurs boissons ou leurs glacières. Et dans le monde de la glace et du glaçon, il y en a de nombreux types : la glace paillette qu’utilisent les poissonniers, la glace pépite pour les seaux à champagne, la glace cocktail pour l'utilisation que son nom indique, les blocs de glace idéaux pour les glacières, la glace concassée pour rafraichir les bouteilles, les sculptures sur glace….chacune ayant des spécificités de pureté, de formes, d’utilité.
"Compte tenu de la pénurie, on substitue un peu de glace concassée pour rafraichir les bouteilles ce qui évite de mettre des glaçons dans les verres, explique Laurent Gardier. D’habitude, on augmente de 3 à 4 % chaque année mais avec des chaleurs comme ça c’est compliqué d’anticiper et on perd 8 à 10 tonnes de vente de glaçons tous les jours. Avant on achetait un camion par-ci ou par-là mais comme il n’y a plus de glaçons en Europe, avec ces chaleurs…" Le geste impuissant de la main en dit long.
Les fortes chaleurs ne ralentissent point. Aucune période d'orage de quelques jours en prévision qui permettrait de régénérer le stock...
Quand on sait que la valeur estimée du marché de la glace en France tourne à plus de 50 millions d’euros, on imagine aisément combien de centaines de kilomètres ont parfois parcouru les petits cubes glacés indispensables aux apéros avant de se retrouver au fond des verres.
Dans la famille Gardier, cet été, les amplitudes horaires ne cessent d’augmenter. "On fabrique au maximum, explique le gérant de l’entreprise. Les machines, qui datent de 1929, travaillent 24h sur 24 et j’espère seulement qu’aucune d'entre elles ne cassera."