Témoignage rare d'un prêtre originaire de Cannes qui accuse un curé d'abus sexuels. Neuf autres plaintes ont été déposées à l'encontre de ce curé.
Il témoigne de manière anonyme, nous l'appellerons Cédric. Notre équipe, Chantal Fazi et Séverine Nequelman, l'a rencontré à Cannes où il revient régulièrement voir sa famille.
Il aurait subit les agressions sexuelles d'un curé entre ses 14 et 17 ans. Il attendra 2019 pour porter cette affaire devant la justice.
Le curé est mis en examen pour agressions sexuelles sur mineurs de moins de quinze ans, il a depuis été démis de ses fonctions. Pour sept des plaintes, il y a prescription.
L'avocate du curé, Maitre Tina Colombani, dit soupçonner une cabale contre le prêtre, son client nie les allégations.
Pour l'affaire du père Cédric, les faits sont prescrits mais il sait que sa parole a du poid du fait qu'il est lui même dans les Ordres.
Des années sont nécessaires avant de parler
Il me faisait des caresses sur les fesses. Il enlaçait ses jambes dans les miennes, m'embrassait sur différentes parties du visage, sur les lèvres.
Le père Cedric* raconte: "Je devais avoir 13 ou 14 ans quand ça a commencé. J'étais un peu son "chouchou". Le soir, il venait juste avant de dormir, quand la lumière est éteinte et se rapprochait de moi.
Il me mettait sur lui, à plat ventre, et puis, il me faisait des caresses sur les fesses. Il enlassait ses jambes dans les miennes, m'embrassait sur différentes parties du visage, sur les lèvres et puis parfois il mettait un doigt dans ma bouche et jouait avec ma langue ou mes dents.
Dans ces moments là, j'étais mal à l'aise, j'attendais que ça passe. Je n'ai pas compris tout de suite à quel point c'était grave.
Il y avait cette relation d'amitié très forte avec lui, c'est un peu comme un second père, je me disais que c'était sa façon à lui de montrer de l'affection.
Je me disais, "moi j'aime pas ça, j'aime pas ces moments, mais c'est sa façon de me témoigner son affection"
Et un jour on prend conscience de la gravité des faits
"En fait, j'en ai pris conscience la première fois que j'en ai parlé à un psychologue. C'était pendant mes années de séminaires, je devais avoir à peu près 30 ans. Lorsque j'ai raconté ce qui m'est arrivé je me suis dis que ce n'était pas normal. Avec le recul j'ai compris que j'avais été sous emprise affective. C'était quelqu'un de très charismatique. Moi j'étais heureux d'être aimé, apprécié. Il me faisait beaucoup de cadeaux (ski, voyages...) il a même payé mes études de commerce."
Vient le temps de la procédure judiciaire
J'avais peur de la réaction de ma famille si je parlais, peur de les blesser, j'avais même peur de la réaction du curé.
"Moi j'étais encore en contact avec lui des années après (jusqu'en 2017-2018), je l'invitais à mes ordinations (sacrement de l'ordre). Quand l'affaire a éclaté, une première plainte a été déposée. Mes amis et ma famille m'ont demandé "est-ce que toi aussi? surtout toi, qui étais le chouchou ?".
Je n'osais pas répondre "oui", alors au début j'ai dis "non". J'avais peur de la réaction de ma famille si je parlais, peur de les blesser, j'avais même peur de la réaction du curé. Petit à petit j'ai pu leur parler et je me suis rendu compte que ma famille était capable d'entendre ces choses difficiles."
"Le déclencheur pour ma plainte, ça a été qu'en décembre 2017, je suis allé le voir à Nice et comme d'habitude donc on va manger au restaurant. Lors de la discussion je souhaite aborder ces "câlins". Là il me coupe la parole et me dit "ce que je t'ai fait est horrible je te demande pardon, je me suis soigné, grace à toi, je n'ai plus jamais recommencé après toi".
"Or en 2019, je rencontre une autre victime (présumée) qui me parle de son histoire et dont les faits se sont déroulés bien après moi. Je me rend compte alors que le père m'a menti. Là je comprend à quel point il est manipulateur et je décide de porter plainte."
La prescription
Il y a une phrase de l'évangile de Saint-Jean qui dit : "La vérité vous rendra libre". J'en ai fait l'expérience. La vérité, même si elle est dure à dire, libère."
"Les faits sont prescrits, j'avais jusqu'à mes 38 ans pour parler et j'ai porté plainte à 40 ans. Aujourd'hui j'espère que le delai de prescription pourra être allongé car 20 ans c'est trop peu pour faire ce travail douloureux de vérité."
"J'attends aussi que le père reconnaisse les faits car pour l'instant il nie. Aujourd'hui je suis prêtre, il y a une phrase de l'évangile de Saint Jean qui dit : "La vérité vous rendra libre". J'en ai fait l'expérience, la vérité, même si elle est dure à dire, libère, y compris pour l'agresseur."
"Si jamais il y a d'autres victimes, qui ont subi ce genre de choses et si mon témoignage peut les aider à avoir le courage de parler je serai très heureux."
Le rôle de l'église
"Je pense que ces abus sexuels ont toujours existé mais aujourd'hui, on est à un tournant de l'humanité, on ne garde plus le silence et c'est très bien."
"Certains hommes d'églises ont été défaillants, je pense que la prise de conscience a été très forte. Les évêques de France se sont réunis encore ce mois-ci (de février) pour aborder ce thème et mettre en place des mesures de préventions. On a fait beaucoup mais il y a surement encore davantage à faire."
Le procès de l'agresseur présumé du père Cedric* est prévu pour 2022.