Harkis, abandonnés, mal-aimés : portrait d'un ancien habitant du Logis d'Anne à Jouques

Il ne reste plus rien du hameau de forestage des harkis du Logis d'Anne à Jouques (Bouches-du-Rhône), mais il reste la mémoire des anciens habitants. Malik Houamria veut raconter son histoire, teintée de souffrance, de trahison et d'abandon, pour que personne n'oublie.

Aujourd'hui, au Logis d'Anne, la végétation a repris ses droits depuis longtemps. Il ne reste plus rien de l'ancien camp de harkis. Il a été définitivement abandonné en 1995.

Ici, en 1963, l'Etat avait construit un "hameau de forestage", composé de bâtiments préfabriqués, destinés à accueillir des anciens harkis, menacés d'exaction ou même de mort dans leur pays d'origine, pour avoir choisi de soutenir l'armée française, pendant la guerre d'Algérie.

Malik Houamria est fils de harki. Il est aussi président de l'association action et communication de la communauté harkis de Provence. Il a vécu dans ce hameau avec ses six frères et sœurs.

"Les baraquements étaient mal isolés, humides; on avait froid, je mettais dix couvertures pour rester au chaud. On était huit ou neuf dans un trois pièces."

Le hameau du Logis d'Anne pouvait accueillir 25 familles, soit plus d'une centaine de personnes. Situé loin de la ville, il était difficile de trouver du travail et de s'intégrer. Malik Houamria a surnommé ce lieu, le camp de la honte.

"Pour moi, on a vécu la double peine, avec un sentiment mélangé d'abandon, de trahison et d'humiliation. On était rejeté, méprisé, c'était contre toute règle morale."

Video. Les conditions de vie de familles harkis à Jouques et au Logis d'Anne (22 avril 1976).


Les hameaux de forestage

Les hameaux de forestage, ou hameaux forestiers, ont été des structures mises en place dès 1962, pour accueillir les familles d'anciens harkis. 75 hameaux ont été construits en France, mais la grande majorité était située dans le quart sud-est du pays.

Dans les Bouches-du-Rhône, outre celui de Jouques, des hameaux ont été construits à La Ciotat, Fuveau et La Roque d'Anthéron. Quatre hameaux ont été construits dans le Vaucluse : Apt, Cucuron, Pertuis et Sault. Six, dans les Alpes de Haute-Provence : Bayons, Jausiers, Ongles, Saint-André-Les-Alpes, Sisteron et Manosque et un hameau a été construit à Rosans, dans les Hautes-Alpes.
Les hameaux de forestage étaient gérés par l'Office national des forêts (ONF). Ils étaient composés d'environ 25 familles, dirigées par un chef de hameau, le plus souvent un militaire, membre des SAS (Sections Administratives Spécialisées).

Les hommes travaillaient à l'entretien des forêts, au déboisement des bords de routes et à la lutte contre les incendies. Les femmes, encadrées par une monitrice d’action sociale, restaient sur place et s'occupaient de leurs enfants et de leur foyer. 

Des hameaux à l'écart des villes

Les hameaux de forestage étaient installés près des forêts, mais volontairement à l'écart des lieux d'habitation et notamment des villes. Les autorités craignaient des conflits avec les immigrés algériens. Les harkis étaient par conséquent isolés, sans possibilité de trouver du travail, sans possibilité d'intégration.

Au fur et à mesure des années, les familles s'agrandissant, les locaux devenaient trop exigus et dégradés. Les hameaux devenaient progressivement des ghettos.

Dans les années 1970 et particulièrement autour de l'été 1975, des heurts ont éclaté. Les harkis considéraient qu'ils étaient moins bien traités que les immigrés algériens.

Dans ce contexte, le hameau du Logis d'Anne a été l'un des plus actifs du mouvement harki, notamment durant l'année 1976. Avec le chantier de Cadarache, à proximité, le hameau a compté jusqu'à 350 habitants.

Ici, en avril 1987, une trentaine de chômeurs ont fait la grève de la faim pendant une semaine.

À partir de 1975, sur décision du Conseil des ministres de l'époque, les hameaux ont été progressivement fermés. Mais celui du Logis d'Anne n'a été définitivement abandonné qu'en 1995.

Video. Les manifestations harkis de l'été 1991 à Jouques et à Narbonne.
À Jouques, les harkis ont dressé un barrage sur la nationale 96, à proximité du camp du Logis d'Anne et incendié des voitures. 


Le devoir de mémoire et de reconnaissance

Avec son association, Malik Houamria collecte les témoignages et assure le devoir de mémoire.

"Il y a une ignorance de l'histoire. Il faut transmettre ce que nous avons vécu, sinon, les générations futurs nous verrons comme des étrangers naturalisés sans savoir que nos parents ont payé le prix de leur vie pour la France."

Aujourd'hui, Malik Houamria attend aussi une compensation financière de l'Etat français. "Il faut que l'Etat reconnaisse ce que nos parents ont fait, en tant que soldat français."
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