Reportage photos. La solitude des pompes funèbres face aux morts du coronavirus

Documenter la solitude des travailleurs des pompes funèbres. C’est le point de départ du photo-journaliste marseillais Clément Mahoudeau. Des images qui ont fait la une de grands quotidiens internationaux et qui mettent en lumière une profession esseulée face aux morts du coronavirus.
 

Pigiste régulier à l’Agence France Presse, à Marseille, le photo-journaliste Clément Mahoudeau a choisi de travailler sur le métier d’agent funéraire.

Une profession mal connue, souvent dans l’ombre, et elle aussi mise à l’épreuve durant l'épidémie de coronavirus Covid 19.
 

Il fallait un sujet fort ou les images parlent seules.

"J’étais seul, il fallait donc que les images parlent d’elles-mêmes, sans le texte ou l’explication d’un rédacteur. Ces moments-là, ceux du recueillement, sont tellement forts qu’il n’y a pas besoin de mots", explique Clément Mahoudeau.

Après une première demande infructueuse, le photographe obtient une réponse positive d’un petit groupe familial à Aix, les pompes funèbres Pueyo. Loin de la ville de Marseille et de ses grands cimetières, l'entreprise existe depuis 30 ans.

"Ils m’ont accepté sans problème, les personnels étaient disponibles et souriants". Anthony Pueyo, le directeur, n’a en effet pas hésité une seconde à dire oui. La suite, c'est lui qui l'a raconte. 

"On a personne lors des obsèques en ce moment, on était mieux avec lui. Et puis c’est rare que l’on parle de nous".
Les 11 salariés n’ont effectivement jamais fait la une des quotidiens. Mais comme tous ceux qui sont exposés de près ou de loin au Covid, ils travaillent eux aussi parfois la peur au ventre.

"Lors des mises en bière, on sait bien que le virus est toujours actif sur le corps des défunts. Il faut faire vite", explique Anthony Pueyo.

On n’a pas envie de ramener ça à la maison

La plupart des salariés de l’entreprise sont parents ou grands-parents, la crainte est souvent pour leur famille, plus que pour eux.

"On n’a pas envie de ramener ça à la maison, on se déshabille même avant de rentrer chez nous", témoigne Anthony Pueyo

Alors encore plus que d’habitude les agents se protègent : masques, gants, combinaisons. Des protections qui sont ensuite jetées dans une filière de déchets spécifiques.

Plusieurs fois par jour, les voitures de la société sont aussi désinfectées, à l’alcool, pour ne laisser aucune chance au virus.

Sur l’une des photos de Clément Mahoudeau, on voit d’ailleurs l’un de ces véhicules. Seul, sur un parking du crématorium d'ordinaire si plein, pour accompagner les défunts.
"C’est un peu un paysage lunaire, car d’habitude il y a au moins 30 autres voitures qui viennent avec nous au crématorium", explique Anthony Pueyo.

"Mais eux aussi sont sous-confinement. Jusqu’à présent ils n’acceptaient plus personne. Mais depuis le début de la semaine, cinq membres de la famille peuvent venir... Ce n’est rien cinq personnes."

Bien sûr, les églises sont également fermées. Pour les offices religieux, des prêtres se déplacent dans les cimetières ou lors de la mise en bière. Une aide précieuse selon Anthony Pueyo.

"Je les remercie, vraiment, ils sont présents, c’est un vrai réconfort, pour les familles."
 

On boucle une vie avec cinq personnes et en dix minutes.

Cette épidémie de Covid a bouleversé le quotidien de ces professionnels de la cérémonie funéraire. Aujourd’hui, ils doivent faire vite.

"On a à peine quelques minutes pour mettre en bière les défunts; et puis lorsque la famille est là, souvent, il y a à peine un discours. On boucle une vie avec cinq personnes et en dix minutes", raconte Anthony Pueyo

C’est également très rapidement que Clément Mahoudeau a pris cette photo, dans un entrebâillement de porte. On y voit le prêtre et on devine quelques proches du défunt.

"J’ai pris cette photo de loin, on m’a demandé de sortir et j’ai évidemment dit oui. Je suis dans le couloir et pour ne pas faire de bruit en déclenchant j’ai changé mon boîtier. Ça dure quelques instants à peine."
Lorsque la famille arrive le cercueil est déjà fermé, personne ne reverra plus le corps du défunt. C’est la règle pendant l’épidémie.

Des histoires comme celle-ci Anthony Pueyo en a, malheureusement beaucoup.

"L’autre jour, c’est le mari d’une dame qui est mort. Il est tombé malade. Il est parti à l’hôpital et elle ne l’a pas revu, du moment où il a quitté leur domicile jusqu'à l’urne funéraire. Vous vous rendez compte du choc. Ça va marquer psychologiquement des générations entières."
Une épouse qui ne dira jamais au revoir à son mari. Alors parce qu’il est humain, et même s’il n’en sans doute pas le droit, Anthony Pueyot a fait un petit film de la mise en bière. Des images tournées avec son portable, qu’il a donné à la veuve.

Anthony Pueyot a raccroché son téléphone pour repartir au crématorium. Il aura encore trois enterrements ce jour-là, trois mémoires à honorer.
L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Provence-Alpes-Côte d'Azur
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité