Voici l’histoire d’une famille qui se lance dans la plus grande expédition de sa vie. Brice, habitant d’Allauch est marié à Krystyna, d’origine ukrainienne. Avec son fils et des bénévoles, ils partent chercher des réfugiés. Un convoi de l'espoir à vivre en immersion.
Lorsque le conflit éclate dans le pays de sa femme et que toute sa belle-famille se retrouve en pleine zone de guerre, ce quarantenaire ressent, pour la première fois de sa vie, le besoin d'être utile. Il décide alors de lancer un appel aux dons sur la page facebook “J’habite à Allauch”.
Tout s’enchaine rapidement, les gens répondent massivement. La mairie relaye et mobilise son réseau : crèches, écoles, pharmacies, médecins. Les bénévoles du Lions Club et l’ONG Actions Humanitaires rejoignent l’initiative.
L’objectif ? Acheminer des produits de première urgence pour venir en aide aux hôpitaux ukrainiens. Le convoi part pour rejoindre Medyka, en Pologne, ville la plus proche de la frontière ukrainienne, où de nombreuses aides humanitaires s’arrêtent.
Parti de rien, Brice Lacreusette réussit à trouver trois camions et deux mini-bus et à mobiliser 12 conducteurs, dont son fils de 19 ans, Mathias. Étudiant en alternance, il n’a pas hésité une seconde à partir à l’aventure avec son père et sa belle-mère.
Un périple de 4.000 kilomètres les attend, eux qui n’ont aucune expérience de "routiers". Ils ont accepté de nous embarquer avec eux. Laura Cadeau, Valérie Smadja et Pauline Guigou sont journalistes à France 3 Provence-Alpes.
C'est sur la route des réfugiés d'Ukraine que nous allons vous raconter cette histoire humaine pendant près d’une semaine : 2 jours aller, 2 jours sur place et 2 jours retour. Ils ont prévu de revenir, en France, avec 14 femmes et enfants ukrainiens, et de trouver des familles pour les héberger.
Jeudi 10 mars, premier jour
4h30 ce jeudi matin. "Nous retrouvons l’équipe de bénévoles sur un parking à Allauch". Pour le début de cette histoire, c'est Laura Cadeau qui nous raconte.
Brice Lacreusette, tout sourire, est une vraie pile électrique. Une basket dans un pied, une croc dans l’autre avec un bandage : "je me suis fait une entorse au pouce, un peu de morphine et ça passe !"
À ses côtés, chevelure blanche, lunettes imposantes et chapeau dandy sur la tête, Jean-Michel Temmos, le président de l’ONG Actions humanitaires a fait le déplacement pour les voir avant le départ.
Si ce convoi peut partir, c’est grâce à une collecte de toute la région, auprès de tous les habitants d’Allauch ou encore de Cabriès, des pharmacies, des commerces, des particuliers.
"On a l’habitude d’aider l’Ukraine depuis de nombreuses années, d’acheminer notamment du matériel dans les hôpitaux des Carpates. En plus de ce convoi, nous envoyons dimanche un semi-remorque de 100 m3 qui va partir de Garéoult", précise Jean-Michel Temmos.
À l’initiative de ce grand projet humanitaire : Brice Lacreusette, un allaudien d’une quarantaine d’années, ancien gérant d’un karting. "Ça pique un peu mais c’est bien on est tous revigorés, on a les 12 chauffeurs qui sont là, tous motivés à fond !", dit-il en se frottant les mains pour se réchauffer.
Sa femme ukrainienne Krystyna, vêtu d’un ensemble de jogging vert pétant, l’accompagne dans ce périple. Son fils Mathias de 19 ans également. Une certaine complicité se dégage avec sa belle-mère.
Voyant ses chevilles nues, il n’hésite pas à la taquiner : "mais tu vas avoir froid avec des petites socquettes comme ça!".
Et quand on lui demande pourquoi il n’a pas hésité à se lancer dans l’aventure, il répond instantanément : "Par rapport à ma belle-mère qui est ukrainienne, et pour aider mon père. Il avait besoin de chauffeurs et voilà je me suis proposé ! C’est pour la cause, le fait que tous les allaudiens se retrouvent pour collecter, que ça parte d’un petit village comme ça, c’est beau !"
Tous revêtent le même tee-shirt blanc à l’image de l’ONG Actions humanitaires avant de prendre un dernier café.
5h, le convoi prend le départ
Sur le devant de son camion, Brice a exposé le dessin d’Alex, un petit garçon venu lui apporter son soutien quelques jours plus tôt.
Je prends la route avec Grégory, 45 ans apiculteur, et Christophe, 60 ans, restaurateur. Ils viennent tous les deux de La Ciotat et ont voulu se rendre utiles à leur façon. En cherchant des initiatives, ils sont tombés sur celle d’Allauch.
Grégory est déjà habitué au milieu associatif. Chrétien pratiquant, il met des ruches sur les églises et aide par exemple les familles monoparentales. "C’est vrai que ces dernières années de Covid, on avait l’impression d’être passif. Là on veut passer à l’action pour prendre le dessus et se sentir vivant. C’est dans ces moments-là qu’on se sent exister car on fait quelque chose de beau et de bon !"
Au volant, avec 48 heures de route devant soi, on discute. L’un a peur d’une guerre mondiale, l’autre ne veut pas l'imaginer "même si ce conflit a démontré à quel point la France était dépendante. 30 millions d’euros de perte pour le Shipyard à la Ciotat avec l’annulation des yachts russes, par exemple", commente Christophe. "Il va falloir que les Européens se ressaisissent", lâche-t-il.
Une heure plus tard, premier arrêt à l’entrée d’Avignon, sur l’aire d’autoroute de Plan d’Orgon. Le soleil commence à peine à se lever. C’est ici que le rendez-vous a été donné à la deuxième partie du convoi. Trois minibus chargés de marchandises, mais qui serviront surtout à ramener des réfugiés ukrainiens pour le retour.
Stéphane, bonnet bleu et jaune aux couleurs de l’Ukraine sur la tête, en est le meneur. C'est aussi l'heure de prendre une pause petit-déjeuner, avant de poursuivre vers l'Allemagne.
(Re)ire l'épisode 2 le convoi de l'espoir en Pologne pour récupérer des réfugiés
(Re)lire l'épisode 3 le convoi de l'espoir arrive au camp de réfugiés de Medyka
Lyon, Strasbourg, Nuremberg
"Dans un élan de solidarité, je me rends compte que tout part à chaque fois d’un effort personnel, en l’occurrence celui de Brice qui s’est démené pour ce convoi", lance Gregory, qui reprend le volant, en direction de Lyon puis de Strasbourg.
Quelques heures plus tard, aux alentours de 12h, c’est la pause déjeuner sur une aire. Aucun n’est routier expérimenté, ils préfèrent donc s’arrêter régulièrement pour éviter les risques inutiles.
Le pique-nique se fait à même le sol, entre deux camions. Des chips d’Allauch accompagnent les sandwichs. C’est le moment pour Brice et Stéphane de discuter des places restantes pour les réfugiés.
"On ne peut être sûr de rien. Je t’ai fait un tableau Excel à la main, c’est pareil sauf que là les traits sont tordus", plaisante Stéphane, qui a plutôt tendance à se laisser porter par les événements. À l’inverse de Brice, qui s’applique à être bien organisé depuis le début.
C’est d’ailleurs comme ça que le décrit son ami depuis plus de 25 ans, Laurent. Un look biker, le crâne rasé et des bras tatoué : "Il a le cerveau qui va à 100 à l’heure. Le temps que j’arrive à sa réflexion, une semaine s’est déjà écoulée ! Alors, quand il m’a proposé de me joindre à lui dans cette aventure, je savais que c’était une bonne idée, que ça allait être bien organisé, et fait en toute sécurité !"
Ces deux-là sont inséparables. Dès que l’un approche de l’autre, une accolade ou une taquinerie s’en suit forcément. Ils se sont rencontrés lors de leur premier job, la vente de textile au mètre. "Mais lui le commerce, ce n'était pas son truc !", se souvient Laurent.
À 50 ans, lui a désormais un double métier : mécanicien sur le port de Marseille-Fos et masseur. "Je répare les voitures et je répare les gens", dit-il en souriant.
À peine une heure après le déjeuner, une autre pause s’impose. Ambiance routière à notre arrivée sur l’aire de la porte d’Alsace. Du linge est étendu sous les capots des camions, une cuisine de fortune installée dans leur soute.
Les bénévoles du convoi commencent à ressentir la fatigue. Ils tentent de dissimuler l’odeur d’urine, présente sur l’aire, par celle du café. Plus que quelques heures avant la fin de la journée.
"Moi je suis prêt à dormir", plaisante Ronan, derrière ses lunettes miroir de cycliste. "Aider les gens, c’est ce qui m’a motivé à rejoindre le convoi humanitaire, peut-être aussi mon côté sapeur-pompier volontaire", affirme ce développeur logiciel pour le service informatique du port autonome de Marseille.
Même raison pour Cyril, policier à Marseille et habitant de Plan-de-Cuques :
"Cette guerre en Ukraine m’a fait énormément de peine, je me suis identifié à ces familles, c’est juste à côté de chez nous !"
Les cheveux en brosse, ce quarantenaire fan de l’OM et supporter Ultra, a pris plusieurs jours de congés pour participer au convoi.
Sur la route, les noms des pancartes se transforment tout à coup. Nous venons de passer la frontière allemande. Dernière escale du jour pour le convoi : Nuremberg.