À la suite d'une décision du Conseil de l'Europe, publié le 14 février, l'avenir des sapeurs-pompiers volontaires pourrait être mis à rude épreuve. Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) accuse la France de discriminer ces volontaires et de ne pas respecter la Charte sociale européenne.
Mercredi 14 février, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a accusé la France de violer la Charte sociale européenne au sujet des droits des sapeurs-pompiers volontaires. L'organe du Conseil de l'Europe a publié sa décision en pointant du doigt les différences existant entre les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels. Cela fait suite aux réclamations portées par les syndicats, notamment Sud Sdis, depuis 2019. Mais pour certains, cette décision fait l'effet d'un coup de massue.
France 3 Provence-Alpes vous explique pourquoi les pompiers volontaires sont inquiets.
Pourquoi un syndicat de pompiers a alerté l'Europe ?
En octobre 2019, c'est l'organisation syndicale Sud Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) qui a lancé l'alerte auprès des instances européennes. Elle dénonce principalement le fait que les sapeurs-pompiers volontaires ne soient pas considérés comme des "travailleurs". "En Europe, pour être considéré comme un travailleur, il faut avoir une rémunération, un lien de subordination et des horaires à respecter. C'est le cas pour les sapeurs-pompiers volontaires", assure Rémy Chabbouh, porte-parole du syndicat Sud SDIS.
"Ils doivent bénéficier d'une période de repos de 11 h entre deux temps de travail et ne pas dépasser 2 256 heures annuelles", ajoute-t-il. Des conditions qui ne sont, aujourd'hui, pas respectées pour le syndicaliste. Rémy Chabbouh critique le volume du nombre horaire effectué par ces volontaires. "C'est cocasse pour une activité dite altruiste et généreux. Là, on impose des heures, alors qu'on devrait donner ce qu'on peut."
La situation en France est illégale.
Rémy Chabbouh, porte-parole du syndicat Sud SDISà France 3 Provence-Alpes.
Selon le SDIS, les mineurs sont parfois embarqués lors des missions incendies comme des "sapeurs-pompiers à part entière". "Ils ne sont pas là pour travailler, mais pour apprendre. Ils doivent être là comme des observateurs", soutient Rémy Chabbouh.
Autre question épineuse, les salaires, qui sont pour lui une "discrimination". "Les sapeurs-pompiers volontaires touchent entre 7 € et 11 € de l'heure lors des interventions, et la moitié de ce montant lors des gardes. Les professionnels, c'est aux alentours de 17 € l'heure pour des interventions." À l'inverse, les sapeurs-pompiers sont désavantagés pour les impôts "Ils sont imposés, alors que l'indemnité des sapeurs-pompiers est non imposable et insaisissable."
Pour Rémy Chabbouh, si les sapeurs-pompiers volontaires sont aussi réticents face à cette décision de justice, c'est parce qu'ils sont dans la "méconnaissance totale de leurs droits". Et si les casernes de pompiers ont besoin de ces effectifs volontaires, c'est avant tout parce que "ça coûte beaucoup moins cher" que des professionnels.
D'autant que pour le syndicaliste, les interventions ont évolué depuis quelques années. "On est de plus en plus sollicités pour le secours d'urgence aux personnes. On peut être appelé parfois pour emmener des personnes aux urgences pour des opérations programmées ou pour des ascenseurs bloqués. Ce ne sont pas nos missions de base."
Que contient la décision du Conseil de l'Europe ?
Le Conseil de l'Europe a rendu sa décision ce mercredi 14 février. Il accuse la France de "violer la Charte sociale européenne". La plupart des points abordés sont ceux mis en lumière par le syndicat Sud SDIS.
Le comité estime que ces volontaires devraient être considérés comme des "travailleurs" et qu'ils ne doivent pas subir un traitement discriminatoire sur leur temps de travail et leur rémunération, ou plutôt indemnité. Le comité condamne aussi la participation des sapeurs-pompiers mineurs lors des opérations de lutte contre les incendies et que les "mesures pour protéger la sécurité et la protection de la santé de ces adolescents sont insuffisantes".
Pour le SDIS, cette décision européenne a de grandes chances d'être respectée par le gouvernement français. "Aucune juridiction française ne prendra une décision contraire au CEDS", estime Rémy Chabbouh.
Selon Thierry Nutti, président de l'Union régionale des sapeurs-pompiers Sud méditerranée, il existe de grosses différences entre les différents pays européens. Compliqué donc de les juger au même niveau. Cette différence réside principalement dans le fait que les pays européens font beaucoup moins de secours à la personne, contrairement aux sapeurs-pompiers volontaires en France.
Pourquoi cette décision met en danger le fonctionnement des sapeurs-pompiers volontaires ?
Pour la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, cette annonce du CEDS est un coup de massue. "On est en colère, dénonce Bernard Schifano, président de l'Union pompiers 13. C'est la mort de l'engagement citoyen." "Aujourd'hui, on touche au dernier pan de la solidarité nationale", ajoute Thiery Nutti.
Il accuse la "haute technocratie européenne et française" de se plaindre de ce qui ne les concerne pas et dont ils ne connaissent pas les rouages au quotidien.
#Volontariat | Le volontariat est attaqué sur sa forme et son fond : pourquoi casser l'engagement citoyen des milliers de sapeurs-#pompiers, et détruire le modèle de #secours pour les concitoyens ?#FlashInfo ▶️ https://t.co/R8Ts4hp4ZI pic.twitter.com/QUciIdF5YB
— Pompiers de France (@PompiersFR) February 23, 2024
Selon Thierry Nutti, si le service des sapeurs-pompiers venait à s'arrêter, "les délais d'intervention seraient beaucoup plus longs", notamment pour les départs de feux.
Quant à Bernard Schifano, il affirme que la plupart des sapeurs-pompiers volontaires ne souhaitent pas que cette situation change. "On n'est pas des travailleurs, mais des passionnés. On ne veut pas être connus comme des travailleurs."
Pour lui, contrairement au syndicat Sud SDIS, les horaires ne sont pas imposables, ni contraignants. "On s'arrange. Par exemple, si vous devez aller chercher vos enfants à la sortie de l'école."
Pourquoi les Bouches-du-Rhône sont particulièrement concernés ?
Les Bouches-du-Rhône sont selon Thiery Nutti le département avec le plus de "risques quotidiens" et de "risques climatiques", comme les incendies et les inondations. C'est aussi l'un des départements en France qui fonctionne le plus avec les sapeurs-pompiers volontaires. D'après la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, 5 200 sont pompiers volontaires, 1 300 sont sapeurs-pompiers pour 2 millions d'habitants. "Aujourd'hui, 80 % de notre système de sécurité civile fonctionne avec les sapeurs-pompiers", précise Bernard Schifano.
Il souligne surtout que si les Bouches-du-Rhône doivent se séparer des sapeurs-pompiers volontaires, ce sera au contribuable de payer la facture. "Il faudra débourser entre 16 millions et 58 millions par an à la fin."
En parallèle, un rapport sur l'activité des sapeurs-pompiers, commandée par l'Inspection générale de la sécurité civile, a été publié en décembre 2023. Dans celui-ci, il pointe du doigt le nombre d'heures effectuées par les volontaires. 19 départements sur 101 dépassent les 600 h de garde individuelle en moyenne par an. Les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes en font partie. En conclusion, le gouvernement précise qu'il est urgent d'agir pour la "sauvegarde du modèle français".
"Aujourd'hui, on est prêts à se mobiliser pour faire entendre la voix des volontaires", conclut Thierry Nutti.