Dernier rebondissement en date, la mairie des Baux-de-Provence a été condamnée à payer 6,4 millions d'euros à Cathédrales d'Images. Est-ce l'épilogue d'un litige débuté en 2010? Rien n'est moins sûr, on vous résume les épisodes précédents pour tout comprendre de cette affaire.
Une immersion en images et en son. Au cœur de l'Egypte des pharaons, dans l'univers de Tintin ou ou encore dans les œuvres de Van Gogh, Monet, Klein, Cézanne, Kandinsky... Depuis plus de 35 ans, les anciennes carrières proposent des expositions immersives. Des spectacles vidéoprojetés sur les immenses blocs de calcaire. Cathédrale d'Images devenue Carrières des lumières avec le changement de gestionnaire, le site, qui accueille près de 800 000 visiteurs chaque année, est un haut lieu touristique des Alpilles, au pied du petit village des Baux-de-Provence qui en est propriétaire. Depuis 2008, il est aussi au centre d'une vingtaine de procédures administratives et judiciaires intentées par l'ancien gestionnaire contre la mairie et le repreneur des carrières, Culturespaces. France 3 Provence-Alpes rembobine le film et on vous résume l'affaire en 6 actes.
Acte 1 : Cathédrale d'Images évincée après 35 ans de gestion
Le 23 avril 2010, la mairie signe une convention de délégation de service public (DSP) qui confie l'exploitation des carrières à Culturespaces. Cette société privée, filiale d'Engie dédiée à la gestion de musées et monuments publics, devient le nouveau gestionnaire des spectacles sons et lumières qui ont fait la renommée des carrières des Baux, connue sous le nom Cathédrale d'Images. Le site est rebaptisé Carrières des Lumières.
Cathédrale d'Images, c'est le nom de la société créée en 1976 par le journaliste, peintre et photographe Albert Plécy. C'est à lui que la mairie de l'époque avait confié la transformation des immenses galeries désaffectées en centre de spectacles audiovisuels. Des projections sur les 4000 m2 de parois et sols de calcaire qui immergent le spectateur dans un univers visuel et musical féerique. Evincée "pour motif grave" par la mairie après 35 ans de gestion, la société Cathédrale d'Images saisit la justice, au pénal et au civil. C'est le début d'un long combat judiciaire.
Acte 2 : la justice juge la rupture de bail abusive
De requêtes, en rejets et appels, la guerre va jusqu'au Conseil d'État qui renvoie l'affaire devant le tribunal de Tarascon. Le 19 janvier 2018, ce dernier juge la rupture du bail commercial abusive, et condamne la mairie des Baux à payer une amende 5,8 millions d'euros à la société Cathédrales d'Images, au titre du "préjudice économique" subi par la perte du fonds de commerce et dommages et intérêts correspondant à la valeur de sa marque.
Dans son jugement, le tribunal indique notamment que "le congé est irrégulier, car la commune ne rapporte pas la preuve qui lui incombe".
Cette condamnation est confirmée par la cour d’appel d'Aix-en-Provence le 27 juin 2019. La commune s'est pourvue en cassation.
Acte 3 : Cathédrale d'Images attaque la DSP
Le 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille rejette la demande de la société Cathédrale d'Images de mettre fin à la convention de DSP signée le 23 avril 2010, entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces. La société Cathédrale d'Images fait appel de ce jugement.
Le 28 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille donne raison à la société Cathédrale d'Images sur l'illégalité de son éviction. Elle annule le jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 juillet 2020 et met un terme à la convention de délégation de service public litigieuse passée avec Culturespaces pour la gestion des Carrières des Lumières. La résiliation du contrat est fixée au 1ᵉʳ novembre 2023.
Mais quelques jours avant l'échéance, le 24 octobre 2023, le Conseil d'État annule la décision de la cour administrative d'appel d'Aix du 28 novembre 2022.
Le Conseil d'Etat a retenu que "la société Cathédrale d’Images ne justifie pas être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l’exécution de la convention de service public conclue le 23 avril 2010. La demande qu’elle a présentée devant le tribunal administratif de Marseille n’est ainsi pas recevable et sa requête d’appel doit, par suite, être rejetée". Cet arrêt est "pour nous une grande joie et un grand soulagement", cela signifie que "le contrat peut aller jusqu'à son terme" en 2027, réagit Etienne Devic, directeur des Carrières des lumières.
Acte 4 : Culturespaces poursuivie pour "parasitisme"
Le 12 juillet 2021, la filiale d'Engie fait l'objet d'une procédure commerciale au tribunal de commerce de Paris pour "parasitisme". Une infraction entre contrefaçon et concurrence déloyale. Elle vise une entreprise qui "se place dans le sillage" d'un concurrent, en vue de "tirer profit, sans rien dépenser, du succès et de la notoriété" de ce dernier. En clair, Cathédrales d'Images accuse Culturespaces d'avoir "usurpé" son "succès artistique et commercial accumulé pendant 35 ans" et chiffre à 15 millions d'euros son dédommagement. Le plaignant est débouté et interjette appel.
La Cour de cassation confirme le jugement le 9 février 2024.
Acte 5 : Culturespaces condamné pour "favoritisme"
En février 2023, le tribunal correctionnel de Paris condamne Culturespaces pour "favoritisme" dans l'obtention du marché des Carrières des Lumières. Dans son jugement, le tribunal reconnaît que Culturespaces a bénéficié d'informations "privilégiées" "par un acte contraire aux règles assurant l'"égalité des candidats".
La société est condamnée à 100 000 euros d'amende et son PDG Bruno Monnier, 67 ans, à six mois de prison avec sursis et 60 000 euros d'amende pour "recel de favoritisme".
La 11ᵉ chambre du tribunal estime également que la responsabilité pénale du maire de l’époque est engagée. L'ancien élu de 79 ans, Michel Fenard, qui avait accordé la DSP, est condamné pour "délit de favoritisme" à quatre mois de prison avec sursis.
Culturespaces, son PDG et l'ancien élu de la commune d'environ 400 habitants sont également solidairement condamnés au civil à payer 551 203 euros d'indemnisation à Cathédrale d'images. Ce volet pénal est toujours en cours, les condamnés ayant fait appel des jugements. Une décision est attendue en fin d’année de la cour d’appel de Paris.
Acte 6 : la mairie condamnée à 6,4 millions d'euros
Saisie sur le volet civil -sur renvoi de la cour de cassation- pour trancher la question de la réparation des préjudices liés à l'éviction de la société Cathédrales d'Images, la cour d'appel de Lyon juge que l'éviction est illégale. Après 16 ans de procédure, le 6 juin 2024, elle confirme la condamnation du tribunal de Tarascon de 2018 et aggrave le montant des dommages et intérêts. La commune est condamnée à verser au total 6,4 millions d'euros à Cathédrale d'Images : 4 479 846 euros d'indemnité d'éviction, 1 813 005 euros au titre de la perte du droit au maintien dans les lieux, 100 000 euros de préjudice moral et 20 000 euros de frais de justice.
Anne Ponistovki, la maire des Baux élue en mai 2020, qui a hérité d'une guerre menée contre ses prédécesseurs, a précisé à France 3 Provence-Alpes ce mardi 1 octobre que "tout a été soldé". L'élue déclare avoir fait un pourvoi conservatoire. Après toutes ces années de procédures, il serait temps selon elle de clore le dossier pour la sérénité de la commune et de ses habitants.