Cancer du sein : "Elles ne peuvent pas se soigner", comment les femmes précaires subissent davantage la maladie

Les femmes avec un environnement socio-économique défavorisé sont plus sujettes au cancer du sein et ont moins de chance de s'en sortir. Pour cause, la quasi-inefficacité des campagnes préventives qui entraîne un retard au diagnostic.

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En France, 61 214 nouveaux cas de cancer du sein ont été recensés en 2023. Cette incidence fait du cancer du sein le plus fréquent et le plus meurtrier chez la femme. En effet, 12 146 femmes en sont décédées en 2018. Si les traitements sont toujours de plus en plus efficaces, le cancer, lui, touche de différentes façons les patientes en fonction de leur environnement socio-économique.

Aurore Loretti, docteure en sociologie et maîtresse de conférences au Centre d’éthique médicale (CEM) du Laboratoire Ethics à l’Université Catholique de Lille, travaille sur les inégalités sociales de santé en cancérologie. Elle souligne d'emblée un constat global : il y a une forte inégalité sociale en matière de santé. Tous sexes confondus, il y a 13 années d’espérance de vie d'écart entre les 5 % de la population la plus riche et les 5 % les plus pauvres. "Ce chiffre permet de comprendre la problématique", illustre la docteure.

Retard de diagnostic et dureté au mal

Selon Aurore Loretti, l’inégalité sociale serait la première cause de mortalité. "En matière de cancer, il y a deux réalités : nous n’avons pas tous les mêmes risques d’être touchées et les milieux sociaux défavorisés ont plus de risques, explique-t-elle. La deuxième concerne la différence de survie, les personnes socialement défavorisées ont moins de chance de s’en sortir". Le lien entre un environnement socio-économique défavorisé et l’augmentation du risque de cancer est donc établi.

L’explication à cela est multifactorielle. Tout d’abord, les femmes vivant dans un environnement socio-économique défavorisé sont plus sujettes au retard de diagnostic. Diagnostiquées plus tardivement, elles se présentent avec des lésions cancéreuses plus avancées que les femmes de classes supérieures. Leurs chances de guérir diminuent.

Aurore Loretti met également en lumière le fait que ces femmes défavorisées n’ont pas la même sensibilité aux signes corporels. "Les personnes précaires ont une résistance à la douleur, une dureté au mal. Elles ne vont pas vouloir solliciter un médecin pour rien et ont donc tendance à attendre, trop longtemps." La spécialiste explique que ce retard au diagnostic est également dû à la précarité. "Ces femmes ont des contraintes quotidiennes. Leur vie, souvent compliquée, ne leur laisse pas le temps de consulter, et lorsque l’on a moins de ressources pour faire face aux problèmes ordinaires, cela peut interférer dans la prise en charge du cancer du sein."

La perte du travail est une angoisse

Le Dr Max Buttarelli, chirurgien en oncologie sénologique et gynécologique à l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille, ajoute même que le cancer est une cause de paupérisation qui accentue la précarité sociale. "Quand vous êtes malade, vous perdez en pouvoir d’achat. Et pour ces femmes qui sont déjà en limite, le risque financier ou de perte du travail est une véritable angoisse. D’autant que bien souvent, elles sont mères célibataires." Selon un rapport de l’Observatoire sociétal du cancer, le cancer contribue à l’appauvrissement d’environ un malade sur quatre.

La différence d’accès à l’information médicale s'ajoute aussi aux freins. "Savoir que plus on est pris en charge rapidement, mieux c’est, tout le monde n’a pas cette information. Les femmes les plus favorisées, elles détectent plus vite leur cancer et développent des stratégies pour accélérer leur prise en charge." Les femmes défavorisées ont également un rapport au temps différent, dû à leurs contraintes quotidiennes : "la planification est une pratique plutôt exécutée par les femmes favorisées", souligne Aurore Loretti.

Le dépistage pas du tout ancrée

La clé, pour réduire les formes graves de cancer du sein, reste le dépistage. Seulement là encore, les inégalités sociales font rage. Nadège Zaazou est gynécologue à la Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) Peyssonnel, dans le 3ᵉ arrondissement de Marseille et à la clinique Bonneveine (8ᵉ), nous parle de son expérience. "Je constate que sur mon activité dans le 3ᵉ, le dépistage à partir de 50 ans n’est pas du tout quelque chose d’ancrée chez les femmes précaires. Ça ne fait pas partie de leurs préoccupations. Elles se soucient plutôt de savoir où elles vont dormir le mois prochain, ou comment elles vont acheter les affaires scolaire de leurs enfants, relate-t-elle. Chez les femmes immigrées, il n’y a pas ce concept de dépistage dans leur pays", ajoute le Dr Max Buttarelli.

Moins coutumière des procédures préventives, les femmes précaires ont un rapport au milieu médical moins régulier. "Les femmes de classe sociale supérieure ont un suivi médical global, déclare le chirurgien. Alors que chez les femmes défavorisées, parfois, on voit des personnes qui n’ont jamais vu de médecin de leur vie. Il y a une dédramatisation de l’hôpital et de la médecine à proposer, car elles ont plus d’a priori". Sans oublier qu’il y a un véritable problème d’accès, au sens physique. Ces femmes sont souvent isolées dans des quartiers qui se situent loin des établissements médicaux spécialisés.

"L'aller vers" ces femmes, une solution

S’il y a 45 % des femmes qui répondent positivement à la campagne de prévention du cancer du sein lancée en France à destination des femmes de plus de 50 ans, cette démarche ne touche pas les femmes en situation de précarité. "C’est un vrai problème, détaille Dr Zaazou. Ils se basent sur les données de la sécurité sociale. Ce qui signifie qu’il faut avoir les droits de la sécu ouverts. Tout en sachant que celles qui ont l’Aide Médical d'État n’en font pas partie. Par conséquent, toutes ces femmes ne reçoivent pas la lettre. Sans oublier qu’il faut être stable au niveau de l’adresse."

Selon le Dr Zaazou, pour rendre les campagnes de dépistages efficaces et pour qu’elles touchent cette population, il est nécessaire d’avoir des campagnes plus ciblées. "Le dépistage, ça passe par la mammographie. Mais il y a plusieurs freins à ça : prendre le rendez-vous, difficulté à parler français avec des professionnels de santé qui ne sont pas formés pour accueillir ce public", soulève Dr Zaazou. Selon elle, l’une des solutions pourrait être de se tourner vers "l’aller vers", c’est-à-dire se rendre directement auprès de ses femmes. Avec une mammographie mobile par exemple.

Des médiateurs santé pour contourner les freins

En abordant ces freins, elle souligne l’importance d’avoir une prise en charge pluriprofessionnelle. "Il manque de médiateurs en santé pour accompagner ces patientes-là dans leur parcours de soin. Il faut aussi une assistante sociale formée sur les demandes d’asile etc. Ça serait plus simple, car ça serait plus parlant pour ces femmes." Elle s’appuie sur son expérience à la MSP, où il y a une médiatrice santé qui fait un vrai travail. Que ce soit de les accompagner dans les services hospitaliers pour se repérer à l’hôpital, leur réexpliquer les choses, faire en sorte qu’elles ne loupent pas leur rendez-vous.

"Ces femmes ne sont pas des patientes qui ne veulent pas se soigner. C’est qu’elles ne peuvent pas", insiste Dr Zaazou.

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