"50h par semaine à sauver des vies pour 1 620 euros", le blues des internes en médecine

Après huit années d'étude, les internes en médecine touche moins de 1.650 euros par mois pour contractuellement 48 heures de travail par semaine. Mais la réalité est tout autre, à plus de 50, voire 60 heures. En première ligne pendant la pandémie de Coronavirus, un interne de Marseille témoigne.

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Ce vendredi, Rémi* termine sa semaine, comme souvent sur les rotules. Quand il quitte officiellement son hôpital marseillais de formation, l'interne en médecine vient de clore plus de 50 heures de travail sur cinq jours.

Diagnostiquer, prescrire, examiner : Rémi, étudiant en 8e année de médecine, travaille comme tous les médecins de son établissement public. Mais contrairement à eux, lui n'est que médecin en formation et touche à peine 1.650 euros par mois.

Sa situation était aussi la même avant la crise sanitaire, mais là, après deux mois de Covid-19, la pilule financière est trop difficile à avaler. Rémi a posté sa feuille de salaire sur les réseaux sociaux pour partager, alerter.

"Quand on met en relief le nombre d'heures et notre qualification, c'est un manque de considération et de respect. Il y a des personnes sans qualification, sans diplôme, qui gagne autant voir plus que moi. J'ai des personnes qui m'ont contacté et qui travaille dans la restauration rapide et qui gagne plus que moi. Vous trouvez ça normal, alors que nous soignons les gens et nous sauvons des vies".

Cette semaine-là, Rémi doit terminer chaque soir à 18h30 aux urgences. Mais à la fin de son service, démarre la garde de son remplaçant et avec, la transmission des informations concernant les patients.

"Je ne peux pas partir sans lui avoir tout dit sur les patients du jour. Cette transmission représente au minimum 1h par soir. Je vous laisse faire le compte pour la semaine", explique l'interne.

En première ligne face au Covid-19

Au mois de mars et avril, pendant la pandémie de coronavirus, les internes étaient en première ligne, notamment aux urgences.

"On envoyait les patients graves en réanimation. Cela a été une organisation difficile, un vrai baptème du feu, avec plus d'heures et de pression, mais on a fait face", rapporte Rémi.

Sur cette période, son temps de travail continue d'augmenter, le risque de contamination pour lui est grand, mais le salaire reste le même.

"Comme d'habitude, on s'est adapté. On est en formation, enfin parfois on se le demande, car on travaille comme des docteurs en pratique. Heureusement dans notre service, nous sommes bien suivis par nos encadrants. Mais,c'est pas le cas partout", affirme Rémi.

Un temps de travail sous-évalué

Malgré le nombre d'heures indiqué sur leur bulletin de salaire, les internes sont au forfait. 

Pour avril, Rémi a touché 1.620 euros de la part de l'assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) alors qu'il a fait plus d'heures que le mois précédent. Mais sur son bulletin apparaît 178 heures, comme d'habitude.

"Peu importe le nombre d'heures, on touche pareil. Dans les faits, on doit faire entre 40 et 60 heures selon les semaines, mais toute l'année, c'est plus souvent proche des 60", témoigne l'interne.

D'après une enquête de l'Intersydicale nationale des internes (Insi), en 2019, les internes de France travaillent en moyenne 58,4 heures par semaine.

Ce chiffre dépasse de plus de dix heures le maximum légal de 48 heures, fixé par l’Union européenne et par le décret de 2015 sur le temps de travail des internes.

"Les internes ont un grand sentiment d'anxiété, de dépression. En France, la base légale sur le temps de travail est de trente-cinq heures", explique Justin Breysse, président de l'Insi et interne en rhumatologie à l'hôpital Sainte-Marguerite à Marseille. 

"Il est réservé la possibilité de travailler plus, à condition que cela ouvre le droit à une compensation rémunérée ou du repos supplémentaire. Ces deux options ne nous sont pas accessibles, car il n’existe pas de décompte horaire du temps de travail".Par rapport à la dernière enquête datant de 2012, et malgré le décret de 2015, "les conditions de travail se sont dégradés. Le respect du repos de sécurité, 11 heures après une garde de 24 heures, un tiers des internes ne le prennent pas", souligne Justin Breysse.

Un ras-le-bol général

Face à cette situation, à la pression du quotidien, Rémi en a eu ras-le-bol comme certains de ses confrères. L'une a eu dernièrement un accident de voiture dû à la fatigue, un autre a fait une tentative de suicide.

"On en a marre. Le pire, c'est qu'on est complètement anesthésié, tellement fatigué par le travail qu'on a plus la force de se battre, de défendre nos droits. Cette crise a été un coup de massue", affirme Rémi.

Même constat du côté de l'Insi. Les internes de sept specialités font, selon leur enquête, plus de 70 heures par semaine, la première place revenant à la neurochirurgie avec 82,24 heures par semaine.

"Beaucoup sont au bord de l'épuisement. Il y a également eu quatre décés depuis le début de l'année, probablement des suicides", selon Justin Breysse.

Des externes à 1 euro de l'heure

Actuellement dans les hôpitaux marseillais, des externes sont également à pied d'oeuvre. 

"Le système sans eux ne tournerait pas. Ils vont voir les patients, nous débroussaillent le terrain. C'est du temps de gagner pour tout le monde", souligne Rémi.

Un bon apprentissage pour ces étudiants en 4e, 5e, 6e et 7e année de médecine, mais leur rémunération n'est pas à "la hauteur de leur investissement".

"Il ne touche que 100 euros par mois pour 20 heures par semaine. C'est très difficile pour eux aussi", d'après Rémi.

Une grève rapidement stoppée

Pour protester contre leurs conditions de travail et de rémunération, les internes se sont mobilisés en décembre dernier.

Cette grève illimité s'est arrêté rapidement, notamment à cause du coronavirus. La crise sanitaire a rappelé l'indispensable présence des personnels soignants, quels qu'ils soient, dans les hôpitaux. 

"Si on s'arrête, c'est la catastrophe. Nous avons aussi la pression hiérarchique, nos postes futurs dépendent de nos chefs de service. C'est un risque pour la carrière, mais surtout pour la vocation, on est là pour soigner les gens, c'est toujours plus fort que la grève", rapporte Rémi.

"Nous sommes bloqués. On ne peut pas arrêter de soigner les gens, l'Etat en profite bien", indique Justin Breysse.

Les réseaux sociaux libèrent leurs paroles 

Grâce aux réseaux sociaux, la parole des internes se libèrent. De nombreux comptes décrivent, avec ou sans humour, le quotidien de ses étudiants en médecine.

"Avant, c'était un peu tabou, mais aujourd'hui avec les réseaux sociaux la parole est libérée, des comptes évoquent nos problèmes. Cela permet de faire plus de bruit et les seniors sont totalement avec nous", raconte Rémi.

Cela permet aux soignants de montrer leur quotidien, souvent dans l'anonymat malgré tout, par crainte de répercussion pour leur travail. 

La prime ne répond pas à la problèmatique

Actuellement, la priorité de l'Insi est d'obtenir pour les internes le décompte horaire du temps de travail.

"C'est tellement une source de dérive. Mais aujourd'hui, nous sommes exclus des décisions et des discussions", explique le président de l'Insi.

L'Etat prévoit en effet de verser 500 ou 1.500 euros de prime aux soignants. A Marseille, les internes devraient recevoir 1.500 euros, selon le décret paru au journal officiel le 14 mai, car les Bouches-du-Rhône font partis des 40 départements les plus touchés.

Mais pour Rémi, comme pour Justin, "cette prime ne répond pas aux problèmes des internes de l'hôpital public". 

"On n'aurait besoin de plus chaque mois, même si là, c'est un bon treizième mois. On n'a aussi besoin de plus d'infirmières et de personnels en général", explique l'interne aux urgences.

Quoi qu'il arrive, les internes vont continuer à soigner, mais surtout à se mobiliser en espérant "des avancées pour les générations à venir".
 
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