A Marseille, un squat de migrants signe une convention avec l'Etat, une première en France

Jeudi 13 octobre, les habitants d'un squat situé dans le 1er arrondissement de Marseille, signeront une convention d'occupation temporaire avec l'Etat, propriétaire de l'immeuble. C'est la première fois qu'une telle initiative est portée par les demandeurs d'asile eux-mêmes.

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Il est 16h30 au 25 rue Saint-Bazile. A l'heure où les enfants rentrent de l'école, les adultes terminent leur cours hebdomadaire de français. Ils viennent de Guinée Conakry, du Sierra-Leone, du Cameroun... 

Dans cet immeuble du 1er arrondissement de Marseille, quarante personnes vivent ici, dont six femmes et sept enfants. Tous sont, ou ont été demandeurs d'asile. Certains ont obtenu leur titre de séjour, mais attendent toujours un logement en Centre d'Accueil des Demandeurs d'Asile (CADA). Ils ont investi les lieux alors inhabités, en juin 2021.

Depuis, ils vivent ici, "comme une famille", explique Mohamed Senessie. Menacé de mort au Sierra-Leone, il a fui le pays à la mort de son père. Il a enduré les geôles libyennes, traversé la Méditerranée. En 2017, lorsqu'il arrive à Marseille, son droit d'asile lui est refusé. Sans adresse fixe, les documents pour faire appel sont perdus. Depuis, il vit une véritable errance administrative. 

"Cet endroit, c'est tout pour moi", raconte-il. Car avant de trouver ce toit, Mohamed a vécu longtemps à la rue, "à Saint-Charles, à la porte d'Aix... un peu partout".

"Ici, il y a six nationalités. Il n'y a pas de problème, pas de bagarre. Tout le monde s'entraide. Si tu n'as rien à manger, je vais partager mon repas avec toi", conclut-il. Mohamed a 22, ou 23 ans. Il n'est pas sûr... 

L'immeuble compte cinq étages. Il y a cinq chambres, une salle de bain, un toilette et une cuisine par palier. En empruntant les escaliers, nous croisons une maman. Un voisin l'aide aussitôt à monter la poussette au 1er étage...

L'ascenseur est désactivé par mesure de sécurité. Alors il faut compter les marches, aidé par les effluves d'un poulet en sauce qui mijote au 4ème. Il est 19 heures, bientôt l'heure de se mettre à table. Le cuisinier nous explique qu'il partagera son repas avec les résidents de son palier. 

Une association de demandeurs d'asile, porteuse du projet de Résidence auto-gérée

Si tous ces demandeurs d'asile cohabitent aussi bien, c'est qu'ils sont tous membres de l'AUP, Association des Usagers de la Pada (Plateforme d'Accueil des Demandeurs d'Asile). Crée en 2020 par les migrants eux-mêmes, l'association comptent 500 membres à Marseille. C'est un réseau d'entraide, dans le périple administratif qui les attend en France.

Alieu Jalloh en est le Président, et fondateur. Aujourd'hui régularisé, il met son expérience personnelle au profit des nouveaux arrivants. Car qui mieux qu'un ex-demandeur d'asile, peut renseigner un demandeur d'asile ? "Nous sommes des experts d'expérience", sourit-il. 

On voulait montrer que nous, les demandeurs d'asile, nous étions en capacité de gérer ce lieu. On a réalisé ce projet ensemble. Les associations, et l'Etat ont senti notre volonté, et ils ont trouvé qu'on méritait un soutien

Alieu Jalloh, Président et fondateur de l'Association des Usagers de la Pada

"Quand nous avons investi le squat en 2021, nous avons décidé de créer un règlement intérieur". La première des règles : aucun business dans l'immeuble, "ni alcool, ni drogue, ni prostitution". "Nous n'avons pas le droit d'héberger quelqu'un sans en informer le comité. Il y a un référent par étage, et nous avons des réunions hebdomadaires pour parler de ce qu'il se passe ici", ajoute Alieu. 

L'Etat reconnaît le projet, une première en France

Une rigueur, qui a séduit d'autres associations d'entraide, comme la Fondation Abbé Pierre, ou Habitat Alternatif Social (HAS). Ensemble, ils décident de contacter le propriétaire.

Le 25 rue Saint-Bazile est un immeuble vacant qui appartient à l'Etat. C'est l'Etablissement Public Foncier qui en a la gestion, et prévoit de vendre les murs pour en faire des logements sociaux en 2023.

Cécile Suffren, directrice générale de HAS a tout de suite compris, qu'il était possible de régulariser ce squat avec les autorités : "ce qui nous a marqué en visitant les lieux, c'est la capacité des habitants à faire valoir leurs droits, et ce, sans travailleur social. Il y a des référents, des rôles pour chacun. Et ils travaillent sur l'inclusion. Ils ont montré une réelle réflexion collective", explique-t-elle. 

HAS, et la Fondation Abbé Pierre ont investi 25.000 euros de travaux pour sécuriser les lieux, notamment en matière de plomberie et d'électricité. "Si l'Etat devait payer 30 nuits d'hôtel, à 40 personnes, pendant 9 mois, cela couterait 216.000 euros", calcule Cécile Suffren. 

Une stratégie gagnant-gagnant qui a convaincu l'Etablissement Public Foncier de signer une convention avec les migrants. "EPF a tenté cette innovation, en acceptant une sécurisation des lieux. Une mise au normes aurait coûté des centaines de milliers d'euros de travaux". 

L'HAS devient locataire, pour un loyer symbolique de 200 euros par mois pour les 40 résidents. Une convention d'occupation temporaire est signée cet été : les demandeurs d'asile pourront rester dans les lieux jusqu'au 31 mars 2023, date à laquelle le futur bailleur social prendra possession de l'immeuble. 

"En tant que locataire, nous prenons la responsabilité des lieux, que ce soit en matière d'assurance ou de responsabilité pénale. Mais ce n'est rien comparé au risque que prennent les migrants lorsqu'ils vivent dans des squats sous emprise, ou dans la rue", explique-t-elle. 

Jeudi, le préfet à l'égalité des chances, le représentant d'EPF, la ville de Marseille, tous viendront inaugurer ce qu'il convient d'appeler, une innovation sociale. 

80% des squats marseillais tenus par des marchands de sommeil ou des proxénète. 

Car des squats à Marseille, les associations en connaissent une trentaine. Ils concerneraient près de 3000 personnes, qui pour la plupart seraient sous "l'emprise de marchands de sommeil, de trafiquants de drogue, ou de proxénète", explique Pierre Albouy, bénévole à l'association des usagers de la Pada. 

Le projet Saint-Bazile, c'est donc un repos, dans le parcours d'un migrant. Une étape où chacun peut poser ses valises, sans peur de la violence de la rue, ou de l'expulsion par les forces de l'ordre. 

Du moins temporairement. Au 31 mars 2023, tous devront quitter les lieux. Certains auront trouvé une place en CADA. D'autres pourront espérer garder un logement auprès de la future résidence d'insertion. 

Mais cette expérimentation inédite à Marseille, et même en France, pourrait être renouvelée. "Un modèle à s'emparer, pour toutes les bonnes volontés". C'est en tout cas ce qu'espèrent les associations. Car rien que dans la cité phocéenne, plus de 4.000 demandeurs d'asile vivent dans la rue. 

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