Plus de 23.000 élèves ont planché ce mercredi sur l'épreuve de philosophie, deux sujets de dissertation, un commentaire de texte, au choix. Un professeur agrégé marseillais nous révèle les écueils qu'il fallait éviter et les pistes potentielles qu'il était possible d'explorer.
L'épreuve de philosophie du baccaulauréat s'est tenue à 8h ce mercredi 14 juin. Les élèves ont pu choisir entre trois sujets : l'une des deux dissertations proposées ou le commentaire de texte. Le tout en quatre heures maximum. Les sujets 2023 auront-ils inspiré les élèves ? Quels sont les pièges qu'il fallait éviter, ou au contraire, les axes qu'il était possible de développer ? Nous avons posé la question à Marc Rosmini, professeur de philosophie depuis 25 ans, actuellement enseignant au lycée Antonin Artaud, dans le 13e arrondissement de Marseille.
Sujet 1 : "Le bonheur est-il affaire de raison ?"
La première risque c'est que l'élève fasse une lecture un peu réductrice du sujet, explique Marc Rosmini. A 18 ans, l'élève peut être préoccupé par des choses qui relèvent de l'affect, c'est le moment des premières relations amoureuses, le risque c'est d'avoir des sujets un petit peu plats.
Les meilleures copies seront celles où les élèves vont varier les exemples : peut-on démontrer que certaines conceptions du bonheur seraient déraisonnables ou irrationnelles ? Les meilleures copies sont celles où l'élève ne se limite pas à l'opposition un peu simpliste passion/raison, et notamment passion amoureuse, par exemple.
Dans ce sujet, plusieurs notions vues en cours peuvent être explorées, comme la notion de devoir, de technique ou encore la religion. Pour le devoir, exemple que l'on peut prendre, la question de la prostitution: est-ce que quelqu'un qui considère que son bonheur consiste à être travailleur du sexe, peut-on montrer que c'est déraisonnable ou pas ? Ou encore la gestation pour autrui (GPA), ça peut être intéressant aussi. Certaines femmes américaines disent qu'il y a peu de choses qui les a plus rendues heureuses que de porter un enfant pour une autre.
A partir de ces exemples, il y a la question du devoir, poursuit-il. A-t-on des devoirs envers nous-même? Ou bien est-ce que chacun doit définir librement sa conception de la dignité ? Ici la question du rapport entre raison et dignité est intéressante.
Autre piste soulevée par le professeur : la question du transhumanisme. Est-ce qu’il est raisonnable de baser son bonheur sur la transformation de son corps, un corps qui pourrait nous faire vivre 1.000 ans ou plus ?
Une autre partie du plan de la dissertation pourrait également aborder la question de la religion. Est-ce que la raison est capable de faire face à nos questionnements métaphysiques ? Ou l'homme a-t-il besoin d’autres choses ? Une expérience spirituelle, mystique, la foi…
Sujet 2 : "Voir la paix, est-ce vouloir la justice ?"
Sur ce sujet, il peut être utile de remplacer les termes du sujet par des X et Y. Vouloir X est-ce vouloir Y?", développe Marc Rosmini. Il y a deux lectures du sujet : est-ce identique ou est-ce que l'un conditionne l'autre. "La complexité du sujet est là. Est-ce que paix et justice sont synonymes ou bien l'une serait la condition de possibilité de l'autre. Est-ce que pour avoir la paix, il faut d’abord la justice ?
Ce sujet peut amener à réfléchir sur : qu'est-ce qui cause les guerres ? Pour la guerre ? Pourquoi la violence ? L'élève peut se demander : est-ce que la violence et la guerre viennent plutôt de la nature humaine, là c'est un enjeu anthropologique, et la justice ne peut pas suffire. La justice peut être prise en deux sens. Est-ce que c'est une justice punitive : elle sanctionne les manquements à la loi, ou bien une justice qui va créer les conditions d'une société dans laquelle les inégalités seront réduites.
Là, l'élève peut croiser une réflexion anthropologique sur la nature humaine et puis peut-être aussi se baser sur des observations empiriques, sur la société dans laquelle nous vivons, les sociétés plus anciennes, en se demandant si la probabilitié d'une guerre entre les individus serait plus forte si le monde est injuste, ou au contraire.
Sujet 3 : "La Pensée sauvage", Claude Levi-Strauss
Ce texte est un texte très connu, souligne le professeur agrégé. Il ne sera pas difficile pour l'élève de voir que ce texte aborde la notion de technique, une notion au programme, sur le travail également. Par contre, le texte n'est peut-être pas directement très problématisé philosophiquement.
L'élève va peut-être avoir du mal à voir les enjeux philosophiques, est-ce qu'il y a des enjeux éthiques, politiques... La difficulté selon moi, c'est de passer d'une répétition du texte, d'une description de ce que font les êtres humains lorsqu'ils bricolent, qui n'ira pas chercher très loin philosophiquement, à peut-être une problématisation sur quelle est l'évolution du monde du travail dont nous voulons ou pas.
Comment est-ce que nous voulons accepter un travail très normé par la science, par des institutions. Nous serions réduits à appliquer des tâches plus ou moins préétablies, ou est-ce que nous voulons revendiquer un monde du travail dans lequel l'imagination, la liberté, la créativité, l'inventivité auraient toute leur place. Cela peut toucher des enjeux éthiques, politiques, anthropologiques.
Je ne suis pas certain que les élève ont la capacité, à partir de ce texte-là un petit peu descriptif, à développer des problématiques philosophiques qui puissent leur permettre de s'engager dans une réponse.
Marc Rosmini, tout comme les autres correcteurs du baccalauréat, vont recevoir les copies sous peu. Les résultats tomberont le 4 juillet. Au sujet de la notation, l'enseignant balaye les idées reçues : "Oui, il y a une part de subjectivité, mais comme pour toutes les matières. L'objectif est de réduire cette subjectivité. Mais en général, la note du bac est sensiblement identique à la moyenne de l'année. Sauf catastrophe, mais cela peut aussi arriver dans les autres matières." Une réunion d'harmonisation des notes est prévue le 27 juin.