Après le feu vert des autorités sanitaires, l'expérimentation du cannabis thérapeutique est menée depuis fin mars dans de nombreux établissements de santé. C'est le cas à Marseille, à l'hôpital de la Timone.
Pauline a découvert les molécules de cannabidiol (CBD), le cannabis thérapeutique (différent du THC utilisé de façon récréative), il y a un an. Lorsqu'elle a été diagnostiquée porteuse de sclérose en plaques.
Assistante dentaire en orthodontie à Aix-en-Provence, c'est à l'occasion d'une poussée violente de la maladie qu'elle s'est renseignée pour trouver de l'apaisement.
"J’avais beaucoup d'effets secondaires au niveau du traitement, et malgré les médicaments qu’on me donnait pour la maladie et pour les effets secondaires, je souffrais de douleurs à la tête, au cou, dans les muscles...Quand on est en poussée, ça irradie partout, on a des fourmillements, comme une sciatique au niveau des bras, des jambes..." explique-t-elle.
Elle décide alors de tester le cannabidiol en gouttes, sur les conseils d'autres malades : "Je l'ai commandé sur un site belge, on m'a indiqué lequel était de confiance. ça m'a coûté une quarantaine d'euros. Je prends quelques gouttes sous la langue avant de dormir... ça soulage les douleurs, favorise un meilleur sommeil et ça détend", détaille Pauline.
Elle ne le prend pas quotidiennement, mais uniquement lorsque les douleurs ne sont plus supportables, "en dernier recours, comme je prendrais un relaxant".
Trois gouttes chaque jour depuis deux ans
Rodrigue en prend trois gouttes chaque jour depuis deux ans. Ce Marseillais est aussi atteint de sclérose en plaques depuis 23 ans. Il décrit un effet "phénoménal", notamment concernant le syndrome des jambes sans repos.
"Je ne l'ai quasiment plus, ça a disparu. En deux ans ça me l’a fait deux fois, contre une à deux fois par semaine auparavant", indique celui qui peut désormais laisser pousser ses cheveux car ils sont aussi plus forts.
Pour trouver le bon dosage, Rodrigue s'est fait conseiller par une personne qui vend du CBD à Marseille. "Il existe tout un protocole pour y aller progressivement, pour habituer son corps et aujourd'hui j'ai trouvé l'équilibre". Ce traitement lui coûte une dizaine d'euros par mois et il ne le changerait pour rien au monde.
Comme lui, beaucoup de sépiens, (porteurs de scléroses en plaque) attendaient le lancement de l'expérimentaiton du cannabis thérapeutique avec beaucoup d'impatience. Sans compter les autres malades atteints de cancers ou de maladies graves.
L'hôpital de la Timone parmi les sites pilotes
À Marseille, l'hôpital de la Timone fait partie des sites pilotes en France. Il accueille quelques-uns des 3.000 patients devant participer à cette expérimentation sur tout le territoire pendant deux ans. L'expérimentation est menée dans "215 centres en France", selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui a donné son feu vert.
Le ministre de la Santé Olivier Véran s'est rendu à cet effet au CHU de Clermont-Ferrand, fin mars, pour "la première prescription" de ce médicament.
"C'est un grand pas qui est franchi", s'enthousiasme le professeur Olivier Blin, chef du service pharmacologie de l'hôpital de la Timone de Marseille, un établissement faisant partie des sites chargés de surveiller les patients intéressés par l'expérimentation.
"Cela répond aux attentes des patients et des associations. Nous allons rester en vigilance sur les effets, les surveiller de près", précise le médecin qui étudie les caractéristiques médicinales du cannabis depuis plusieurs années. Il porte en effet un projet d’expérimentation du cannabidiol sur les malades de Parkinson.
Il précise qu'il ne s'agit pas de cannabis fumé. "On fait bien la différence entre cannabis récréatif et médical". Pour lui, le point clé de cette expérimentation réside dans le fait d'identifier les fournisseurs habilités à fournir des produits validés sur le plan de la qualité.
"L'un des problèmes principaux, dans l'absence de cadre c'est le fait que certains patients sont allés chercher dans la rue des produits identifiés comme étant du cannabis, mais qui n’en sont pas. Ils contiennent des polluants ou des produits de synthèse qui peuvent être mortels", détaille le professeur Blin.
"L’expérimentation vise donc à prévenir l’utilisation de produits dénommés comme cannabis par des dealers, mais qui n'en sont pas. C'est le seul moyen de maîtriser une grande partie des risques et d'évaluer les effets…", précise le spécialiste.
"Grâce au travail du réseau pharmacovigilance et addictovigilance qui encadrent cette expérimentation, nous saurons s'il existe des risques potentiels physiques cardiaques, mais aussi psychiques et comportementaux à utiliser cette molécule et quels bénéfices précis les patients en retirent", conclut Olivier Blin.
Une carte permet d'identifier les 170 hôpitaux impliqués dans l'expérimentation sur le site de l'ANSM.
Etudier l'efficacité et la sécurité du cannabis
L’objectif premier de cette étude sera d’évaluer "la faisabilité du circuit de mise à disposition" de l’huile ou des fleurs séchées qui seront prescrites aux patients, explique le ministère de la Santé mettant en avant une procédure "très sécurisée".
Quant au second ? Il s’agira de "recueillir les premières données françaises sur l’efficacité et la sécurité du cannabis dans un cadre médical", aux regards des résultats obtenus par ses molécules actives et notamment le CBD, relaxant, anti-inflammatoire et anticonvulsif, entre autres.
Qui est concerné ?
La première consultation doit se faire obligatoirement dans un de ces centres de référence avec des patients déjà suivis dans ces services hospitaliers spécialisés ou bien adressés par leur médecin traitant. La décision d'inclure ou non le patient revient aux médecins des centres de références.
Les patients sont éligibles s'ils souffrent de maladies graves: certaines formes d'épilepsies, de douleurs neuropathiques, d'effets secondaires de la chimiothérapie, de situations de soins palliatifs ou certaines douleurs de la sclérose en plaques.
Mais seulement "en cas de soulagement insuffisant ou d'une mauvaise tolérance" avec les traitements déjà existants, selon l'ANSM. Des enfants pourront être inclus, en particulier pour des formes d'épilepsie réfractaires aux traitements ou en cancérologie.
Comment le cannabis est-il administré ?
Ces médicaments, sous forme d'huile par voie orale (en flacons de solutions buvables) ou de fleurs séchées par inhalation à l'aide d'un vaporisateur, seront disponibles à différents dosages des substances actives - tétrahydrocannabinol (THC) et de cannabidiol (CBD).
La prescription, au départ dans un service hospitalier, se fait sur ordonnance sécurisée (pour 28 jours maximum), comme pour tout stupéfiant parmi lesquels le cannabis, illégal en France, est rangé.
Un médecin généraliste, formé et volontaire, peut prendre le relais. Le consentement des patients à cet essai, qui permet de recueillir les premières données françaises sur l'efficacité et la sécurité du cannabis médical, entraîne leur inscription dans un registre de suivi.
Le cannabis à fumer est donc exclu du protocole. L'épidémie de Covid-19 a contribué à retarder le lancement de cette expérimentation, autorisée par un décret d'octobre 2020 précisant qu'elle devait commencer avant fin mars 2021.
Dans l’Union européenne, 17 pays ont déjà autorisé des traitements à base de cannabis médical.