Témoignage. "Quand je suis rentré, j’étais effondré" : deux mois avec des migrants en mer racontés dans une bande dessinée

Publié le Écrit par Camille Astruc

En janvier 2021, Hippolyte, reporter et auteur de bande dessinée, passe deux mois à bord de l'Océan Viking, bateau de l'ONG SOS méditerranée, qui vient en aide aux migrants en mer. Une expérience intense et profondément humaine que l’auteur retrace dans une bande dessinée : "Le Murmure de la mer".

"J'ai toujours un peu caressé le rêve d’embarquer pour essayer de comprendre ces gens, savoir qui ils sont au-delà des chiffres qui sont trop factuels." En 2020, Hippolyte doit embarquer à Marseille sur l'Ocean Viking, bateau de l'ONG SOS méditerranée qui vient au secours des migrants en Méditerranée. Le journaliste et auteur a pour projet une bande dessinée sur le quotidien des femmes et des hommes qui viennent en aide à ceux qui tentent la traversée. Le Murmure de la mer a paru le 4 avril dernier. Son auteur revient pour France 3 Provence-Alpes sur cette expérience.

Ce jour-là, en juillet 2020, tout est prêt, sauf le navire humanitaire, bloqué en Sicile. "Ils ont 180 personnes à bord et le gouvernement italien estime que c’est au-dessus de leur capacité", raconte Hippolyte. "On leur explique qu'ils ont sauvé trop de monde. C'est d'un cynisme absolu." Le journaliste passe donc trois semaines à Marseille auprès des équipes à terre. "Ils font un travail indispensable."

Il faudra attendre six mois pour que la situation se débloque et qu'Hippolyte puisse embarquer à bord de l'Ocean Viking, en janvier 2021. Il y rejoint l'équipe de SOS Méditerranée, 23 personnes dont des "médecins, des secouristes, mais aussi des personnes qui s'occupent de la logistique, de la nourriture..." 

440 personnes secourues lors du premier sauvetage 

Depuis sa place de journaliste, Hippolyte suit la vie quotidienne du bateau. "J’étais à la fois avec les sauveteurs, l'équipe médicale, un peu avec tout le monde". Il participe à une formation de sauveteur pendant quinze jours, puis il prend le temps de rencontrer l’équipage, de raconter leur vie à bord. 

Lorsque le jour du premier sauvetage arrive, Hippolyte est prêt. Il monte à bord d’une petite embarcation avec une équipe. Ce jour-là, 440 personnes sont secourues, une expérience qui le marquera à vie. "Normalement dans ces moments-là, le journaliste doit être comme un fantôme. Il ne doit pas faire de bruit, de grands gestes, car la moindre chose peut mettre en péril l'embarcation". 

C’était un moment de beauté absolue.

Hippolyte, auteur de la bande dessinée "Le murmure de la mer"

C’est la règle, sauf quand il y a des bébés à bord. Dans ces cas-là, c’est à lui de s’en occuper. "Pour ce sauvetage, il y avait vingt bébés. Alors, je me retrouve avec un bébé dans les bras, raconte-t-il. Comme il est séparé de sa mère, il se met à pleurer. À ce moment-là, j’ai mon doigt qui caresse sa joue et qui trouve sa bouche. J'ai sûrement eu ce réflexe parce que je suis papa... C’était un moment de beauté absolue."

Passer par la petite histoire pour raconter la grande 

Une fois débarquées, les personnes secourues sont sur le pont. "C’est la première fois qu’elles se sentent en sécurité depuis deux ans, peut-être trois", raconte Hippolyte. Le journaliste arpente alors le bateau et se met à dessiner. "C’était presque frustrant parce qu’il y avait plus de 400 personnes à bord qui allaient rester pendant 4-5 jours. Et ce sont des personnes qui ont un parcours de vie tellement dense que c’est presque indécent d’aller leur demander de raconter leur histoire. En dessinant, je prenais le temps et les gens venaient me parler d’eux-mêmes". 

Hippolyte passe donc du temps à réaliser les portraits des rescapés. Des dessins qui lui permettent d’aller au-delà du simple témoignage. "Le dessin permet une économie de mots. Dans le tremblement d’un trait, dans la nuance d’une couleur, on fait passer des messages." Sur son carnet de croquis, il dessine ce qu’il voit, prends le temps d’observer. "Je m’attache à des détails, une marque sur un visage, ça raconte déjà une histoire. La bande dessinée a vraiment cette force-là." Pour lui, le dessin permet "plus d’humanité et de sensibilité". 

C’est juste des gens qui ont envie de vivre. Ils ont une soif de vie et sont portés par l’espoir

Hippolyte, auteur de "Le murmure de la mer"

 

Hippolyte ponctue également son récit de photographies. Des images réelles qui tranchent avec la bande dessinée. "Ce sont des images qu’on a vues partout, mais c’est important d'avoir cet aspect factuel, de contextualiser. Après, avec le dessin, je raconte ce qu’il se passe autour." 

Mettre des murs ça rend juste les migrations dangereuses et mortelles

Hippolyte, auteur de "Le murmure de la mer"

Car le message humaniste se veut également politique. "Ce que je raconte dans la BD c’est aussi la situation globale en Europe dans la gestion des réfugiés." Montrer la réalité des sauvetages en mer, donner à voir la Méditerranée comme une fosse commune est, déjà, un acte fort. "Mettre des murs, ça rend juste les migrations dangereuses et mortelles", affirme Hippolyte.

 

Une expérience bouleversante

De retour chez lui à la Réunion, Hippolyte retrouve son fils, mais reste profondément marqué par ces deux mois passés en mer Méditerranée. "Ça m’a totalement changé. Quand je suis rentré, j’étais effondré", explique-t-il. "Je pensais que les choses allaient changer, mais les sauveteurs sur le bateau continuaient à sauver des gens, des personnes continuaient à mourir noyées."

Hippolyte mettra quelques mois à se remettre de son expérience et à prendre du recul. "Aujourd’hui, j'ai vraiment conscience de ce qu’il passe, mais je sais ce que je peux faire. Si j’ai un message à faire passer, ce serait celui-là : il faut s’occuper de ce qu’on peut faire. Si tout le monde le fait un petit peu, le monde ira mieux." 

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