Coronavirus : consommateurs accros, dealers "confinés", quand le trafic de drogue s'adapte à Marseille

Comme tout commerce, le trafic de stupéfiants est ralenti par le confinement. Avec le gel logistique et les contrôles policiers renforcés dans les villes, le réseau se serait même nettement affaibli. A Marseille, certaines plateformes se maintiennent, mais la plupart optent pour un système D.

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Quand on recherche “Marseille” sur Twitter, on ne trouve pas forcément ce qu’on pourrait espérer : les premiers résultats sont d'étonnantes vidéos publicitaires diffusées par des réseaux nationaux de stupéfiants.

Ces derniers font la promotion de leurs produits et promettent un service de livraison, même durant le confinement.

Cette méthode n'est pas nouvelle. La police la connaît bien, jusqu'à surnommer ce petit trafic l'"uber shit" ou "uber coke" en référence à la démocratisation des plateformes de livraison...

Et force est de constater que la pratique s'est fortement développée avec le confinement.

Sur ces annonces publiques, les dealers affichent leurs numéros WhatsApp ouvertement. Lorsque nous les avons contactés, l'un d'entre eux a accepté de nous répondre via l’application cryptée.

"Le travail a beaucoup changé depuis le confinement. Les contrôles sont fréquents, on a dû s’adapter", reconnait-il. Mais comme tout bon commerçant, tant qu'il y a de la demande, il y a toujours des moyens de vendre. 

Inflation des prix

Le vendeur affirme qu'il livrait déjà avant le Covid-19, mais qu'il a désormais dû consacrer toute son activité au e-commerce pour contourner le confinement.

Le service de livraison étant plus risqué, notre dealer explique aussi avoir augmenté ses tarifs : chez lui, le gramme de cannabis est passé de 10 à 15 euros.

Le haschich au semi-gros a ainsi augmenté de +40%, en passant de 2.500 à 3.500 euros/kg, la cocaïne au détail a bondi de +66%, en passant de 60 à 100 euros/gr.

Le commerçant a aussi modifié ses conditions de vente : "Il faut faire des commandes groupées. On se déplace pour un minimum de 200 euros. D’habitude c’était 50".

Ce montant minimum permet de limiter les transactions, les allers-retours et donc les risques pour les charbonneurs (les revendeurs). Les consommateurs se redistribuent ensuite la marchandise entre eux, détaille notre revendeur et deviennent ainsi un relais logistique gratuit pour les dealers.

Au fil de la conversation, on comprend que si son commerce a été nettement déstabilisé au tout début du confinement, désormais tout est rentré dans l'ordre. "Ça va, on se débrouille, on s’adapte. On ne se plaint pas".

Sur l'annonce en ligne, l'homme assure livrer partout en France. Quand on lui pose la question de son approvisionnement logistique, il refuse toutefois de répondre et se contente d’une phrase : "Ça a changé légèrement."  

Paralysie logistique

Ce "changement" a aussi été constaté par les services de lutte contre le trafic de drogue. Dans un rapport récent, l’Ofast (OFfice Anti-STupéfiant) confirme le discours du dealer et affirme que ces méthodes de vente se sont généralisées dans tout le réseau, depuis le confinement.

Selon l’Ofast la quarantaine "affecte la quasi-totalité des trafics sur le territoire national". Le rapport ajoute que "tous les vecteurs par lesquels les stupéfiants alimentent les points de vente sont fortement ralentis ou à l’arrêt complet. Cette situation ne permet plus d’acheminer les quantités auxquelles le marché s’était habitué."

La fermeture des frontières aurait par exemple bloqué les trafics routiers, mettant à l’arrêt les "go fasts". "Les chargements de cannabis en provenance du Maroc et d’Espagne ne rentrent plus en France depuis le 15 mars", assure l’Ofast. 

De grandes quantités de stupéfiants seraient actuellement en attente sur le territoire espagnol. Selon l’Ofast, seule perdure l’importation de cocaïne par conteneurs maritimes.  

Le réseau décimé à Marseille

Le confinement aurait ainsi engendré une forte désorganisation des réseaux. Jusqu'à Marseille et ces cités des quartiers Nord considérés, comme plaques tournantes du trafic phocéen.

La plupart des points de vente auraient ainsi fermé, selon le commissaire Patrick Longuet, chef de la division Nord. "Seuls les plus importants survivent", assure l'homme de terrain. Le policier ne compte plus que quatre "points de deal" encore actifs dans la ville.

En plus des ruptures d’approvisionnement, les trafics sont aussi affaiblis par la multiplication des contrôles. La police marseillaise l’assume : elle mène la vie dure aux réseaux de stupéfiants, et s'attaque désormais aux consommateurs aux abords des cités.
 

On a saisi l'occasion du Covid-19

Pour la brigade de Patrick Longuet, la crise actuelle a presque été une aubaine. "D’habitude on ne peut pas vraiment verbaliser l’acheteur. Désormais, on peut le cibler avec les contrôles de déplacement, et le verbaliser pour non-respect du confinement. On a saisi l’occasion du Covid-19 pour utiliser ce nouvel instrument."  Une méthode qui fait ses preuves, d’après le commissaire : "Il y a un net ralentissement de l’activité globale. On casse complètement leur business. On est tous les jours dans les cités, pour contrôler et faire sauter les points de vente. La plupart ont fermé ou sont en grande difficulté"

Le ralentissement dont parle Patrick Longuet ne serait pas encore quantifiable. Toutefois, la police rappelle que des saisies sont encore faites tous les jours.

"Elles peuvent aller de 500 à 10.000 euros en une journée", complète une source policière. Avant d'ajouter : "Ces jeunes entrepreneurs ne cessent d’être innovants face à une crise qui affecte leur marché. Il ne leur manque plus que le SIRET pour être de vrais commerçants."

Ces derniers jours, la division Nord que dirige Patrick Longuet a concentré ses actions sur les consommateurs, toujours plus nombreux, qui se concentrent sur les derniers points de vente restants.

"Les gens viennent de plus en plus loin pour acheter. Ils arrivent de toute la région avec des attestations bidons". Si le commerce de stupéfiants se serait affaibli dans son ensemble, il est resté plus dense sur certains points, "qui récupèrent la clientèle et obtiennent le monopole".

"Notre travail, c’est de harceler ces points stups. On a multiplié les contrôles dans et à proximité des cités", se félicite le commissaire.

Au tout début du confinement, des vidéos circulaient sur Twitter. Elles montraient une file d’attente devant la cité des Oliviers, l'un des ensembles ciblés par les policiers anti-stups. Les internautes prétendaient qu’il s’agissait de clients venant s’approvisionner, avant la quarantaine. 

PTDRRRRRR pas de confinement pour la drogue à Marseille guettez la queue de malade et je suis mort pic.twitter.com/5gojdaAXFm

— glory university (@BigGucciSosv) March 17, 2020
Le commissaire a vu ces images. Il doute de leur véracité. "Je ne sais pas ce que ça valait comme info, je ne l’ai pas constaté par moi-même". 

Néanmoins, l’Ofast affirme que ce même point de vente aurait réalisé des journées à plus de 150.000 euros de chiffre d’affaires, au début du confinement. 

Le policier reconnait l'existance d'afflux excessifs, contre lequel il lutte : "Dans ces cités les habitants honnêtes respectent le confinement. Ceux qui ne le respectent pas, ce sont les trafiquants, et les gens qui viennent de façon massive pour acheter du stup", répète-t-il. "C'est pour ça qu'on y est tous les jours."

Une guerre des territoires à craindre

Dans son rapport, l'Ofast redoute une augmentation du nombre de violences : "Les tensions actuelles mettent les trafiquants en stress, et portent en germe de nombreux risques en termes de sécurité : [...] les risques de violence entre trafiquants pour récupérer les manques à gagner, ainsi que leur emprise territoriale".

Selon un source policière, cette crainte de l'Ofast ne serait pas tout à fait fondée, ou du moins pas applicable à Marseille. Pour l'heure, cette source rappelle qu'aucun règlement de compte n'a eu lieu depuis le début du confinement.

Un calme inhabituel qui s'explique, justement, par le confinement. "Les règlements de compte sont organisés. Il y a une stratégie, tout un travail d’investigation. [...] Il faut repérer sa cible, ses habitudes, donner le top, etc... Avec le confinement, les guerres de clans et règlements de compte sont beaucoup plus difficiles à organiser logistiquement."

Malgré tout à Marseille, selon l'Ofast, les cartes devraient être redistribuées au profit des équipes les plus structurées qui passent leurs marchandises, "notamment par semi-remorques depuis l’Espagne" au détriment de celles "qui fonctionnent par rotation de transporteurs individuels depuis Barcelone".

Des consommateurs accros

Si le confinement provoque une importante désorganisation du réseau, il entraîne aussi des comportements à risque chez certains consommateurs.

L’association Plus belle la nuit, qui lutte contre l’addictologie à Marseille, reçoit de nombreux témoignages d'usagers en détresse depuis le début de la crise. 

Victor Martin, à la tête du collectif, s'inquiète de la situation. "Certaines personnes ont fait des stocks en grande quantité avant le confinement. Elles se retrouvent à la maison avec plus de drogue, ce qui les pousse à la consommation".

"Avec la solitude, l’ennui et l’anxiété, les conditions du confinement sont propices à une surconsommation de cannabis", ajoute l'associatif. 

Les risques de sevrage sec

Autres risques détectés par le militant, les arrêts brutaux et les reports de consommation.  

"Ceux qui n’ont plus accès à leurs réseaux habituels à cause des ruptures de stocks se retrouvent en sevrage sec, avec l’anxiété que ça comprend et le risque de rechute violente", redoute Victor Martin.

"On constate aussi beaucoup de reports de consommation. Certains fumeurs de cannabis compensent avec de l’alcool ou des anxiolytiques." 

Pour étudier ces comportements, l'association a lancé une enquête sur l'impact du confinement sur les consommateurs de drogue.

Avec l'association Bus 31/32, ils ont récolté plus de 4.000 témoignages d'usagers réguliers. Via ce sondage en ligne, les consommateurs se confient sur leurs habitudes de consommations, leurs états psychiques, et notamment, leurs techniques pour s'approvisionner durant le confinement.

Pour l'heure, l'étude ne peut pas encore déboucher sur des données chiffrées, mais selon Victor Martin, la dégradation du réseaux est déjà notable

"Il y a des accès aux produits très disparates selon les réseaux et les zones géographiques. On constate des ruptures d’approvisionnement ou des décalage de stocks, notamment pour les réseaux en milieu rural".

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