Dans les quartiers Nord de Marseille, la crise économique frappe de plein fouet les plus démunis. Beaucoup vivent de "petits boulots" non déclarés et ne peuvent pas bénéficier du chômage partiel. Pour venir en aide à ces familles sans revenus, des chaînes de solidarité se mettent en place.
A la cité Maison Blanche, dans les quartiers Nord de Marseille, au moins 60% de la population vivrait d'emplois non déclarés : c'est ce qu'affirme Naïr Abdallah, membre du collectif Maison Blanche.
Aides à domicile, ménages et autres commerces dissimulés... Avec le confinement, ces petits boulots sont eux aussi à l'arrêt, sans aucun filet de sécurité pour les travailleurs.
Pour des familles entières, "il n'y a plus de rentrée d'argent, il n'y a plus rien", regrette le jeune homme de 28 ans.
Des dons quotidiens
Pour venir en aide à cette population démunie, les membres du collectif Maison Blanche organisent depuis plusieurs jours des distributions de nourriture gratuite, au pied des immeubles.Ce-matin là, le collectif a reçu des cageots de fraises, données gracieusement par un maraîcher. Elles sont envoyées par une certaine Bernadette de 84 ans, qui laisse un petit mot : "Bon courage à vous tous, je pense bien à vous".
Sous les fraises, une grande palette de boissons chocolatées en briquette, offerte elle aussi, par une épicerie du quartier.
Alors chaque jour, la journée de Naïr et des autres membres du collectif commence par ce qu'ils appellent "la tournée".
Dès 9 heures, ils grimpent dans leur camionette, en route vers des commerces et entrepôts alimentaires, dans l'espoir de récupérer quelques denrées.
Quand ils font chou blanc, comme ce jour-là, le Secours Populaire leur tend la main. Arrivé dans le hangar de l'association, une palette de nourriture déjà prête les attend.
Paquets de pâtes, de purée en poudre, briques de lait, conserves et boîtes de semoule : Naïr est rassuré. Aujourd'hui encore, il va pouvoir nourrir son quartier. "Il y en a pour au moins cinquante familles", estime-t-il en découvrant la palette.
Midi, une file d'attente se forme dans le quartier. Devant le grand étalage de nourriture, une petite foule se forme, en respectant tant bien que mal les gestes barrières.C'est une bouée de sauvetage, c'est de l'oxygène.
Naïr appellent les habitants à approcher un par un. Sac de courses en main, mères de familles et enfants viennent chercher ce qui leur servira de repas pour les prochains jours. Les aliments sont rationnés par les membres du collectif, qui distribuent soigneusement chaque produit.
"C'est une bouée de sauvetage, c'est de l'oxygène", reconnaît un vieil homme, en remplissant son sac de quelques aliments.
Une femme dispose les paquets dans les rangements de sa poussette. Elle est soulagée. "Heureusement qu'ils sont là pour nous aider, parce que sinon je crois qu'on crèverait de faim à Marseille".
"Ça me fait du bien de savoir que toutes ces familles peuvent manger dignement" se réjouit Naïr en regardant la file d'attente.Pour ces gens, la situation est devenue extrêmement grave depuis la quarantaine.
Le jeune homme a grandi dans ce quartier, il connaît cette misère. "La majorité ce sont des mères de familles actives, qui font du ménage ou du travail au noir. Pour ces gens, la situation est devenue extrêmement grave depuis la quarantaine" .
Avec le confinement, Naïr explique avoir été témoin de situations poignantes : "Y'a une famille du bâtiment qui mangeait des oignons, midi et soir. Uniquement des oignons. Il y a urgence ! On est là pour les aider."
Pas d'argent, mais de l'ingéniosité
Pour éviter de sortir de chez eux, certains habitants font preuve d'ingéniosité. Les humanitaires distribuent parfois la nourriture par système de poulie, avec des cordes ou des draps noués, pour l'envoyer jusqu'aux balcons, dans les étages.Jenny Gratier, membre du collectif, livre aussi les paniers aux plus fragiles. Au huitième étage, une retraitée ne peut se déplacer. La militante lui apporte alors elle-même un sac de nourriture sur son paillasson. "Ça fait du bien", assure timidement la dame âgée, qui ne peut cacher son sourire en récupérant le colis.
Pour ces maraudes, Naïr et ses acolytes doivent parfois mettre la main à la poche, sur leurs deniers personnels. Les six membres du collectif ont pris pour habitude de consacrer une partie de leurs revenus à leur mission humanitaire.Les pouvoirs publics ? C'est nous. On est le pouvoir du public.
"A nous six, on gagne 6.600 euros par mois. Alors on a mis nos salaires en commun et on a réussi a mettre 2 ou 3.000 euros de côté chaque mois", expliquent-ils.
"D'habitude, on consacre cet argent aux activités ou aux sorties des petits du quartier. Depuis le confinement, on le consacre aux achats pour ces familles" .
Il ajoute : "Les pouvoirs publics ? C'est nous. On est le pouvoir du public".
Le collectif récolte et distribue de la nourriture, mais pas seulement. Dans leur local, des manuels scolaires et des fournitures de classe sont destinés aux enfants de familles précaires.
Pour Naïr, ça fait partie des besoins de premières nécessités, que n'ont pas forcément les habitants du quartier.
Voir le reportage Covid-19 : la solidarité s'organise dans les quartiers nord de Marseille
Effet boule de neige
Des initiatives comme celle du collectif Maison Blanche, il en naît dans de nombreux quartiers de Marseille depuis le confinement. Sur Internet, les cagnottes se multiplient pour nourrir et soutenir les plus précaires.A la cité des Rosiers par exemple, dans le 14ème arrondissement, ce sont les enseignants de l'école qui ont pris les choses en main. Ils ont monté une cagnotte en ligne, qui a déjà récolté près de 6 000 euros.
Dans l'annonce, les instituteurs écrivent : "La cantine, gratuite pour les familles les plus pauvres, était parfois le seul vrai repas de la journée pour les enfants."
Ils réclament ainsi de l'argent pour acheter des produits alimentaires aux familles, mais aussi des produits d'hygiène et d'entretien, ainsi que des fournitures ludiques ou scolaires pour les enfants.