Dérivée de la chloroquine, l'hydroxychloroquine est administrée dans plusieurs pays contre le Covid-19, mais son usage est désormais interdit en France. A Marseille, le professeur Raoult prône son association avec un antibiotique malgré les nombreuses critiques.
Méconnue et encore en vente libre, il y a six mois, au début de la crise du Covid-19, l'hydroxychloroquine est au centre d'un débat scientifique virulent en France depuis que le professeur Raoult, en a fait son traitement de choc au sein de son Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée Infection, à Marseille.
Le 27 mai, le gouvernement français a mis fin à l'autorisation de la prescription de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19 à l'hôpital, hors essais cliniques, à la suite d'un avis défavorable du Haut conseil de la santé publique (HCSP).
Depuis fin mars, l'hydroxychloroquine pouvait être prescrite à titre dérogatoire à l'hôpital et uniquement pour les patients gravement atteints, sur décision collégiale des médecins.
A Marseille, cependant, l'IHU Méditerranée Infection de Marseille a annoncé qu'il "continuera à traiter" ses patients "avec les traitements les plus adaptés". Près de 4.000 personnes infectées par le virus SARS-CoV-2 y ont été soignées dont la plupart avec une association d'hydroxychloroquine et d'azithromycine.
Meilleur traitement pour les uns, inefficace voire dangereuse pour les autres, la molécule fait couler beaucoup d'encre depuis plusieurs mois. Voici ce que l'on sait sur l'hydroxychloroquine.
Qu'est-ce que l'hydroxychloroquine ?
L'hydroxychloroquine (HCQ) est un dérivé de la chloroquine, prescrite depuis plus de 30 ans dans le monde contre le paludisme, une maladie infectieuse dûe à un parasite véhiculé par le moustique. Il est massivement utilisée en Afrique.L' HCQ est commercialisée en France sous le nom de Plaquénil, un antirhumatismal indiqué dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde et du lupus, pour ses propriétés antalgiques et anti-inflammatoires.
14 jours de traitement à l'hydroxychloroquine sous sa forme générique reviendraient selon les auteurs à moins d'un euro, soit près de 20 fois moins que d'autres molécules.
Quel est le traitement prôné par le professeur Raoult ?
Microbiologiste, spécialiste des maladies infectieuses, Didier Raoult associe l'hydroxychloroquine (200 mg trois fois par jour pendant 10 jours) à un antibiotique, l'azithromycine (500 mg le premier jour puis 250 mg/ jour, les quatre jours suivants).
"L'hydroxychloroquine a un effet anti-viral et anti-inflammatoire, c'est la raison pour laquelle ils sont utilisés et c'est probablement le seul groupe de médicaments qui peut jouer un rôle au début de la maladie et à la fin de la maladie", indiquait-il sur Twitter le 5 mai.
Dès le début de la crise, l'infectiologue a mis en place un dépistage massif dans son institut, 600 malades testés par jour.
Le professeur Raoult préconise son protocole dès les premiers symptômes aux patients et non à un stade avancé, en réanimation.
"Les malades, au moment où ils ont une insuffisance respiratoire, quand ils rentrent en réanimation, en réalité ils n'ont presque plus de virus, donc c'est trop tard", explique-t-il le 24 mars dans une vidéo postée sur sa chaîne YouTube.
"C'est quand ils ont des formes modérées, moyennes ou qui commence à s'aggraver qu'il faut les traiter, parce qu'à ce moment-là, on peut contrôler le virus qui se multiplie".
Très rapidement, l'efficacité du protocole Raoult a été remis en cause dans le milieu hospitalo-universitaire en l'absence de randomisation (patients choisis par tirage au sort), de "groupe témoin" (des patients reçoivant le traitement, d'autres non), et d'étude en "double-aveugle" (patients avec traitement et patients avec un placebo).Pour le professeur Raoult, l'urgence sanitaire justifiait que l'on donne largement ce traitement sans attendre les résultats de longs essais cliniques.
L'hydroxychloroquine est-elle efficace contre le Covid-19 ?
Selon la dernière étude parue dans la revue britannique The Lancet, le 22 mai, ni la chloroquine, ni son dérivé l'hydroxychloroquine ne se montrent efficaces contre le Covid-19 chez les malades hospitalisés, et elles augmentent même le risque de décès et d'arythmie cardiaque.
En réponse sur sa chaîne YouTube, le professeur Raoult s'interroge sur le sérieux d'une étude faite avec les "big data (...) qui prend des données dont on ne connaît pas la qualité et qui mélange des traitements, dont on ne sait pas quelle est la dose qu'on a donnée".
Concernant l'article du Lancet : il n'est pas possible qu'il y ait une telle homogénéité entre des patients de 5 continents différents. Il y a manipulation préalable, non mentionnée dans le matériel et méthodes, ou ces données sont faussées.
— Didier Raoult (@raoult_didier) May 26, 2020
Cf Table S3 https://t.co/iWvufdAvHg pic.twitter.com/YGBhC20x3u
Tout en rappelant que "hydroxychloroquine et chloroquine sont reconnues comme généralement sûrs pour les patients atteints de maladies auto-immunes ou de paludisme", l'OMS, suite à cette nouvelle étude, a décidé de suspendre "temporairement" les essais cliniques en cours dans plusieurs pays, par mesure de précaution.
Sur la base de cette même étude, en France, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a recommandé de "ne pas utiliser l'hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19" hors essais cliniques, que ce soit seule ou associée à un antibiotique.
L'Agence du médicament (ANSM) a annoncé de son côté avoir "lancé" la procédure de suspension "par précaution" des essais cliniques évaluant l'hydroxychloroquine chez les patients atteints de Covid-19.
[#Covid_19] Nous avons initié, à titre de précaution, une procédure de suspension des inclusions de patients dans les essais cliniques menés en France sur l’#hydroxychloroquine
— ANSM (@ansm) May 26, 2020
➕d'information : https://t.co/3cnyUp3HIo pic.twitter.com/UkmKuWmyEt
Une étude réalisée dans des hôpitaux new-yorkais et publiée au début du mois de mai dans la revue américaine NEJM affirme que l'hydroxychloroquine n'a ni amélioré ni détérioré de manière significative la situation de patients en état grave.
Deux autres études récentes, une chinoise et une française, indiquent que l'HCQ ne réduit pas significativement les risques d'admission en réanimation ni de décès chez les patients hospitalisés avec une pneumonie due au Covid-19."Les pays qui ont utilisé l'hydroxychloroquine comme traitement ont eu une évolution de la dynamique des morts plus lente que les pays qui n'ont pas voulu l'utiliser, note pour sa part le professeur Raoult, ce qui explique peut-être pourquoi les pays d'Extrême-Orient et les pays du sud ont eu moins de morts que l'Europe et les Etats-Unis, qui ont un nombre de morts extrêmement plus important."
Régulièrement sur les réseaux sociaux, le professeur publie les chiffres clés de l'activité de l'IHU de Marseille sur le Covid-19.
Sa troisième étude portant sur plus de 1.000 patients montre selon lui qu'après dix jours, 91,7% n'avaient plus de charge virale. Pour ses détracteurs, ce chiffre est comparable à celui observé en cas d'évolution naturelle de la maladie.Chiffres clés de l'activité de l'IHU sur le COVID-19 au 4 mai 2020.
— Didier Raoult (@raoult_didier) May 4, 2020
Merci, à nouveau, aux services de radiologie et de cardiologie des Professeurs Jacquier et Deharo pour leur extraordinaire efficacité tout au long de cette crise. pic.twitter.com/a0dovk0tb5
Quels sont les risques de l'hydroxychloroquine ?
L'hydroxychloroquine présente des effets secondaires qui peuvent être importants, voire graves selon l'Agence Française du Médicament qui a particulièrement mis en garde contre les risques cardiaques liés à l'association HCQ-azithromycine.Le professeur Raoult souligne que ces effets secondaires sont très bien connus depuis longtemps et qu'avant de prescrire le traitement à son IHU, les malades sont soumis à un "électrocardiogramme et à un dosage du potassium".
"C'est sûr qu' on peut se suicider avec, si on en prend trop, comme avec le Doliprane, qui est en réalité plus dangereux que l'hydroxychloroquine", fait-il remarquer.
Derrière les critiques contre la chloroquine et son dérivé, le professeur Raoult pointe d'autres intérêts en jeu. "Faut-il détruire tous les vieux médicaments qui marchent depuis des décennies pour les remplacer par de nouveaux médicaments qui ne sont pas plus utiles et qui coûtent un prix fou?", questionne-t-il.
Qui utilise l'hydroxychloroquine ?
L'HCQ, plus rarement la chloroquine, sont administrées à des malades du Covid-19 dans de nombreux pays. Ce que confirme le professeur Raoult avec cette carte sur l'utilisation de l'hydroxychloroquine/chloroquine dans le monde.Depuis mercredi, le Brésil est à rajouter sur cette carte. Le ministère de la Santé a recommandé l'usage de chloroquine et de l'hydroxychloroquine pour les patients légèrement atteints.Utilisation de l'hydroxychloroquine/chloroquine dans le monde.
— Didier Raoult (@raoult_didier) April 2, 2020
Données non-exhaustives : n'hésitez pas à compléter en commentaire de ce tweet ! pic.twitter.com/8YpWKKDZc3
Aux Etats-Unis, l'agence du médicament (FDA) a autorisé l'utilisation, mais uniquement à l'hôpital "de manière adaptée, quand un essai clinique n'est pas disponible ou faisable". Et non à titre préventif, comme le président Trump s'en est vanté.
Au Sénégal, de nombreux malades du coronavirus ont reçu de l'hydroxychloroquine en milieu hospitalier. Elle est utilisée aussi au Tchad, en Syrie, Algérie, au Maroc...
Plusieurs états ont également intégré l'hydroxychloroquine ou la chloroquine dans leurs recommandations thérapeutiques dès les premiers symptômes du virus : les Pays-Bas, l'Iran, la Belgique, la Corée, l'Inde, la Russie...
Pourquoi la France interdit-elle l'hydroxychloroquine ?
La France a interdit le 27 mai, l'usage de l'hydroxychloroquine à l'hôpital, hors essais cliniques. La décision du gouvernement a été prise "sur la base de recommandations scientifiques", a affirmé Olivier Véran à l'issue du Conseil des ministres.Le médicament n'est pas officiellement interdit contre le coronavirus car "ce serait revenir sur la liberté de prescription des médecins", a fait valoir Didier Raoult au micro de Sud Radio. "Moi je considère que si un prescripteur s'affranchit des règles, il prend ses risques", a commenté le ministre de la Santé Olivier Véran.
La délivrance d'hydroxychloroquine était déjà interdite en ville pour traiter la nouvelle maladie, mais son usage habituel contre des maladies auto-immunes, comme le lupus, reste autorisé.
L'Agence du médicament (ANSM) a suspendu mercredi "par précaution" des essais cliniques évaluant l'hydroxychloroquine chez des malades atteints de Covid-19. Et l'essai européen Discovery a suspendu depuis dimanche l'inclusion de nouveaux patients dans le groupe recevant de l'hydroxycholoroquine.