Déconfinement : apéros "sauvages" au Vallon des Auffes, à Marseille le ras-le-bol des riverains

Depuis le 11 mai, les riverains de ce quartier carte postale de Marseille voient chaque soir des centaines de personnes prendre l'apéritif sous leurs fenêtres. Nuisances sonores, mégots de cigarettes, bouteilles abandonnées... Le petit bout de paradis est devenu un enfer pour ses habitants.

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C’est un décor de carte postale, en contre-bas de la Corniche Kennedy à Marseille. En cette saison, on y vient pour un cliché de son port pittoresque. On y vient pour une baignade rafraîchissante, loin des plages de cailloux du Prado. On y vient aussi, pour un apéritif entre copains, à l’heure du coucher de soleil.

Mais l’on y vit aussi, et certains ont tendance à l’oublier. En dehors des locations saisonnières, 300 personnes habitent le Vallon Des Auffes toute l’année. Des riverains, qui ne supportent plus les incivilités de ces promeneurs de passage, principalement marseillais.

A 9 heures du matin, il ne faut pas chercher bien loin, pour comprendre l’exaspération des riverains : sous nos pieds, des dizaines de mégots, des tessons de bouteilles, des canettes de soda.

Autant de vestiges, d’une soirée bien arrosée entre copains. "Regardez, tout ça, ça part à la mer, il doit y avoir 1.000 mégots qui doivent partir à la mer chaque soir".

Charles Cieussa est désespéré. C’est le président de l’Amicale des plaisanciers, et le vice-président du Comité  d'intérêts de quartier du Vallon.

"Il va y avoir un drame un jour"

"Ce sont nous les riverains, les pêcheurs, qui nettoyons tous les matins", explique-t-il. "Regardez, le cantonnier du village !". Charles nous emmène voir Patrick Bertier. Cet avocat vit à une poignée de mètres du port.

Une balayette à la main, il est justement en train de ramasser mégots et paquets de cigarettes, qui ont passé la nuit ici. "Là c’en est trop ! Il va y avoir un drame un jour !"
Au détour d’une traverse, derrière le restaurant L’Epuisette, nous croisons Bettina et Christophe Ponthieux, les traits tirés : "Jusqu’à 4 heures du matin hier", lancent-ils à Charles en guise d'explication. Tout est dit. 

Bettina, en profite pour nous montrer la "pissotière" des fêtards, sous ses fenêtres. "Certains font même la grosse commission, et pourtant, c’est la jeunesse dorée de Marseille qui vient ici le soir".

Le couple, n’a plus de mots pour exprimer sa fatigue et sa colère.

Déconfinement et regroupement de personnes

Cette situation, les riverains du Vallon des Auffes, la subissent chaque année quand viennent les beaux jours.

Mais depuis le 11 mai, cela s’est empiré, selon eux. Pour Malik Zergua, qui vit sous le pont de la Corniche, pas de doute, c’est lié au déconfinement.

"Les bars, les restaurants sont fermés. Toutes les plages sont interdites à la baignade, et surveillées par des patrouilles de police. Ici au Vallon, et à Malmousque, ce sont les seuls endroits qui ne sont pas surveillés", explique-t-il.

Conséquence, "chaque soir, près de 500 personnes viennent au Vallon".

Et pourtant, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône, nous rappelle dans un communiqué que "les rassemblements de plus de 10 personnes sur la voie publique sont strictement interdits".

Elle ajoute qu’"il y a des patrouilles régulières et des interventions sur signalement. Une compagnie de CRS est dédiée à cette problématique". Inefficaces et insuffisantes pour les habitants du Vallon des Auffes.

"Tous les soirs nous appelons la police, depuis 15 jours, ils ont dû se déplacer cinq fois. Ils ne verbalisent pas. Les gens partent dix minutes, puis reviennent", se désole Malik Zergua.

Un risque sanitaire

Sur le chemin de son domicile, il ramasse une bouteille de verre : "Je vais attraper le Covid avec tout ça…".

Un peu plus loin, un tas d’ordures. Des boîtes de pizza, des coquilles d’oursins, un sac, avec une note de livraison… "Ici, nous sommes sur un terrain privé, alors la Métropole ne ramasse pas ces déchets", se désole-t-il.
"Si avec tout çà il n’y a pas de cluster de coronavirus au Vallon, cela voudra dire que l’épidémie est bien terminée à Marseille", ironise-t-il.

Malik a dû barricader sa maison, pour "empêcher les jeunes de s’installer sous ses fenêtres". Et pourtant, un mètre carré de déjections canines derrière sa barrière… "Ils ont même réussi à fabriquer un parc à chiens !".

Les riverains, ne semblent pas contre les apéros en bord de mer au Vallon. "Nous comprenons que les jeunes aient besoin de décompresser, mais il faut respecter ce lieu. On dit qu’on vit dans un paradis. Mais c’est un paradis d’hiver. L’été, c’est l’enfer".
La semaine dernière, ils ont installé de nouvelles barrières le long de l’étroite voie privée pour "empêcher les gens de s’asseoir sur notre allée".

Mais le jeune a soif de détente, "partout où il peut poser ses fesses, il les pose. Certains s’assoient même sur nos jardinières", explique Malik, un petit rire crispé aux lèvres.

Dominique, un ancien du Vallon, est d’ailleurs en train d’enlever les mégots de ses pots de fleurs.

A l’heure de l’apéro, le port change de visage

A 19 heures, changement d’ambiance. La quiétude des lieux, laisse place aux bruits des scooters qui descendent l’unique route d’accès au port, et au petit "poc" des bouteilles fraîchement débouchonnées.

Ils sont plusieurs dizaines, installés sur la terrasse du bar fermé, sur les berges du port, entre les jardinières de Dominique.
Une habitante, demande à chacun qui a laissé son scooter devant son entrée de maison.

"Un lieu comme ça, tout le monde a le droit d’en profiter", nous explique Marie. Elle est venue avec trois copains. "Et à quatre, on ne fait pas de bruit", ajoute-t-elle.

La petite bande, compile les mégots de cigarettes dans leurs bouteilles de verre vides . "On fait très attention à ne rien laisser derrière nous", assurent-ils.

Sur l’allée qui mène à la digue, malgré les barrières et jardinières posées par les riverains, une bonne cinquantaine de personnes a trouvé de quoi profiter des derniers rayons de soleil.

Derrière un petit panneau « Défense d’entrer », Emma, Louise et Camille sirotent des bières, en mangeant des chips "dans des petits paquets individuels, pour ne pas se contaminer".
"C’est vrai qu’on a enjambé la barrière, mais on n’est pas bruyantes, et on partira tôt, explique Louise, mais je comprends que les habitants soient énervés".

Ces quelques heures de détente, pour ces trois étudiantes en communication, c’est "un besoin".

"Normalement, on va dans un bar, ou à la plage, mais là, on a pas le choix. Et puis après deux mois de confinement, des journées en télétravail, où l’on ne voit que nos familles… On a besoin de ce moment", confie Emma.

Il est 20 heures, lorsqu’une patrouille de la police nationale descend au Vallon, à la recherche "d’un téléphone portable volé".

Après quelques vérifications de plaques, et une fouille, le chipeur de téléphone reste introuvable. Alors la patrouille se décide à faire évacuer les lieux.

"On ferme, pas de rassemblement. Rentrez chez vous", disent les policiers, d’une voie bienveillante. Une manœuvre qui prend presque une heure, le temps de finir son verre, et rassembler ses affaires.
Déception de la jeunesse, alors un policier répond : "Courage, c’est bientôt fini le confinement, plus que quelques jours". Les plages de Marseille, pourraient rouvrir le 2 juin.

Recommence alors le ballet des scooters, dans l’autre sens cette fois.

Un petit groupe s’est tapi dans les escaliers qui remontent sur la Corniche. C’est sûr, ils retrouveront place dans quelques minutes, lorsque la patrouille de police sera partie.

Au loin, un habitant verse des seaux de liquide sur l’allée, pour éviter que les amateurs d'apéros s’installent de nouveau. Malik Zergua, lui, se doute bien qu’il ne trouvera pas le sommeil très tôt cette nuit encore.

Quelles solutions pour le Vallon ?

Couvre-feu, présence policière comme à la plage des Catalans, interdictions des apéros sauvages, les riverains imaginent plusieurs solutions.

"On pourrait aussi rétablir l’accès à la digue par la Corniche, pour fermer la voie privée. Là bas, c’est loin des habitations, les jeunes ne nous gênent pas, suppose Malik Zergua, à condition qu’ils ne laissent pas leurs déchets une fois encore".

"Est-ce qu’on laisserait des gens faire une beuverie sur le port de Cassis ou de La Ciotat ? Pourquoi est-ce qu’on le tolère ici", s’indigne Linda Herpin, également Vice Présidente du CIQ.

"Un jour, un jeune se tuera en rentrant chez lui, après avoir bu sa bouteille de vodka ici...", ajoute-t-elle.
Les voisins ont déjà interpellé leur maire de secteur. Sabine Bernasconi a d’ailleurs écrit au Préfet de police des Bouches-du-Rhône.

Elle dénonce "de véritables attroupements (…) sur fond de beuveries et de tapage nocturne, avec une tolérance coupable des forces de police, pourtant alertées de ces situations".

Mardi soir, les habitants du Vallon des Auffes se réuniront "avec distance sociale", précisent-ils, dans le but de trouver des solutions. Et entrevoir l’espoir de retrouver "leur paradis perdu".
 
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