"On s'est fait lyncher" : un DJ qui voulait venir en jet privé déprogrammé, comment les festivals font leur introspection écoresponsable

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Le festival Le Bon Air de Marseille a déprogrammé un DJ qui voulait utiliser un jet privé pour venir à Marseille, une décision extrême qui illustre la prise de conscience de certains producteurs, qui mettent en place des mesures pour réduire autant que possible leur impact carbone.

Une déprogrammation qui fera date. La première du genre en France, peut-être même en Europe. Le festival Le Bon Air a annulé la venue de I HATE MODELS, qui voulait prendre un jet privé depuis Leipzig en Allemagne pour venir à La Friche de la Belle de Mai, ce samedi 18 mai. Le DJ a été remplacé au pied levé par KI/KI. "C'est la première fois que ça arrive depuis la création du festival en 2016", explique Cyril Tomas-Cimmino, le directeur du festival électro, qui accueille plus de 60 artistes du 17 au 19 mai, aucun artiste n'a jamais utilisé de jet privé pour venir, on ne l'a jamais fait et on ne le fera jamais, c'est de la lucidité". Un jet, "c'est ultra-polluant, 50 fois plus de CO2 qu'un train, c'est une aberration écologique, économique et sociale", martèle-t-il.

Faire bouger les lignes

L'utilisation d'un jet privé est une pratique prisée des artistes qui cumulent les contrats sur une courte durée ou qui programment deux concerts ("double booking") le même jour, à 1500 km de distance, comme I HATE MODELS. Dans le monde des concerts, limiter l'empreinte carbone n'est pas une priorité. Le DJ français "n'est pas un cas isolé, il y a des centaines d'artistes qui pratiquent ça au quotidien, et c'est quelque chose qu'on n'arrive pas à concevoir", ajoute-t-il.

On s'est fait lyncher, on a durement abîmé notre 9e édition à J-2, on assume mais on espère surtout que les lignes de conduite vont bouger dans le secteur.

Cyril Tomas-Cimmino, directeur Festival Le Bon Air

France 3 Provence-Alpes

Les 70 artistes du festival Le Bon Air connaissent la feuille de route écoresponsable. "C'est écrit noir sur blanc, ils s'engagent à ne jamais valider le moindre transport sans l'autorisation de l'organisateur et ils s'engagent à privilégier le train ou les avions de ligne". La plupart des artistes optent d'ailleurs pour le train pour accéder à la scène de la Friche, située en plein de la ville, à quelques minutes de la gare Saint-Charles.

Un festival émet l'équivalent de 208 allers-retours Paris-New-York

Pour réduire l'impact des mobilités de ses têtes d'affiche internationales, le festival les accueille en résidence sur place aux côtés d'artistes locaux pendant trois jours. Cette année, l'Allemande Hélena Hauff, l'Anglaise Sherelle et Vanda Forte ont accepté de jouer le jeu de l'écoresponsabilité.

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De plus en plus de festivals tentent de mêler fête et conscience écolo, avec plus ou moins d'opportunisme. Ils sont nombreux à avoir supprimé la vente de bouteilles d'eau (malgré un net manque à gagner) et les gobelets jetables. D'autres réduisent la production de déchets en amont et les valorisent en aval... En 2023, le projet Déclic a lancé une démarche inédite pour évaluer l'impact carbone de 18 festivals, salles de concerts et producteurs de spectacles et accompagner la transition écologique de la filière. Cet état des lieux révèle qu'un festival émet en moyenne 742 tCO2e (tonne équivalent CO2), l'équivalent de 208 allers-retours Paris-New-York en avion. 

"Réfléchir à la décroissance"

Le Bon Air a fait partie du panel test. Le festival, qui rassemble 25 000 festivaliers en trois jours "expérimente" déjà des mesures pour limiter son impact environnemental, comme ses deux scènes alimentées à l'énergie solaire, des points d'eau en distribution gratuite, les toilettes sèches, etc. Il a aussi renoncé au mécénat de grandes enseignes de bière proposant 1200 fûts à prix cassés pour privilégier un fabricant artisanal local. Plus proche mais trois fois plus cher. Un engagement "important mais douloureux"  financièrement pour ce petit festival indépendant, financé à hauteur de 4,5% de financements publics. 

Qualifié de "bon élève" dans le rapport Déclic, avec ses 284 tCO2e émises, Le Bon Air veut faire encore mieux. "Plus que jamais on est convaincus à continuer à réfléchir à un format de festival plus micro qu'il ne l'est déjà et réfléchir à la décroissance", assure Cyril Tomas-Cimmino. "Aller plus loin, c'est se dire qu'on n’a pas la nécessité de devoir être attractif en termes de remplissage pour faire venir des artistes internationaux ou qui ne partagent pas nos valeurs". 

Des tournées mutualisées pour réduire l'impact carbone

Les données récoltées par le projet Déclic ont montré le poids des mobilités dans la production de CO2. Elles représentent en moyenne 69% des émissions de gaz à effet de serre d'un festival. Cela a permis au festival Les Suds, à Arles, déjà engagé de longue date dans cette démarche, de faire son introspection. D'après le projet Déclic, le festival émet 841 tCO2e avec plus de 7000 festivaliers en sept jours. Il s'en sort bien sur la mobilité de ses artistes internationaux comme hexagonaux. "Comme les tournées sont assez mutualisées, on ne fait pas venir un artiste pour une seule date mais dans le cadre d'une tournée, on arrive à répartir l'impact de la tournée sur différents organisateurs", explique Rémy Gonthier, directeur administratif du festival.

Les artistes sont également fortement encouragés à préférer le train. "C'est une discussion qu'on a chaque fois avec les producteurs, dès qu'on travaille sur l'arrivée d'un artiste", ajoute le directeur qui vient de refuser à un artiste de Brest de prendre l'avion plutôt que le train. "Effectivement c'est plus long, concède l'administrateur du festival, mais il faut qu'on soit cohérent avec nos engagements, on ne peut pas faire des efforts sur des projets collectifs et accepter des choses qui sont de l'ordre du confort et non de la nécessité". 

 L'enjeu des déplacements polluants des festivaliers

Sans surprise, pour ce festival estival, en zone semi-rurale, moins bien desservi par les transports en commun qu'une ville comme Marseille, la mobilité du public est le premier poste de production de CO2.

78% de notre bilan carbone c'est la mobilité du public.

Rémy Gonthier, directeur administratif Festival Les Suds

France 3 Provence-Alpes

 

Cela représente 55 kilos équivalent CO2 par festivalier. Rien d'étonnant, le public connaisseur venant souvent de loin pour écouter les musiques du monde à l'affiche. Plus d'un festivalier sur deux vient avec sa voiture. "C'est là-dessus qu'il faut qu'on travaille", reconnaît Rémy Gonthier. Mais comment inciter le public à laisser son auto au garage quand il n'y a plus de train qui circule après 21 heures ? "Aujourd'hui, on n'a pas de solution mais cela va être aussi l'enjeu avec des projets comme Déclic de pouvoir sensibiliser les pouvoirs publics et les tutelles, leur dire qu'on a un réel impact et on a besoin sur ces périodes-là, il faut nous accompagner pour pouvoir réduire nos émissions", estime Rémy Gonthier, convaincu que la solution c'est le train. 

Dans ses conclusions, le rapport Déclic identifie trois principaux facteurs d'influence sur le bilan carbone des lieux de spectacle comme les festivals et les concerts. Plus la structure culturelle s'agrandit et plus l'empreinte carbone augmente. Son contexte géographique impacte par ailleurs directement les émissions associées aux déplacements du public, surtout quand il se fait en voiture thermique. Enfin, la singularité et le pouvoir d'attraction de la programmation exercent une influence notable, souligne le rapport, car il incite des spectateurs à venir de plus loin et à parcourir de longues distances pour voir un artiste sur scène. 

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