"Elle a rendu chic le narcissisme", comment la téléréalité a-t-elle impacté notre société ?

Les "Marseillais", cette émission emblématique fait partie des programmes à succès de la téléréalité. Mais comment cette téléréalité a-t-elle impacté notre société, que l'on soit consommateur ou non ? Constance Vilanova, journaliste, a écrit un livre, "Vivre pour les caméras" répondant à la question.

La téléréalité a fait sa première apparition sur nos écrans il y a 23 ans. Désolée pour le coup de vieux à ceux dont l’adolescence a été rythmée par ces émissions. Loft story a ouvert le bal en 2001 et depuis les programmes se sont multipliés. Secret Story, Les Marseillais, Les anges de la téléréalité… autant de programmes phares que de candidats qui se sont aujourd’hui professionnalisés. Et parmi les candidats les plus célèbres, on retrouve beaucoup de Marseillais.  Jessica Thivenin, Julien Tanti, Carla Moreau… Constance Vilanova, journaliste indépendante et férue de téléréalité, avait rendez-vous tous les soirs à 17 h 30 pour ne manquer aucune miette des clashs.

"La téléréalité est à l’intersection de toutes les luttes"

Alors que son engagement féminisme grandissait, la jeune trentenaire continuait de surconsommer de la téléréalité. C’est cette contradiction qui a été le point de départ de son enquête publiée début mai Vivre pour les caméras. "Ces programmes sont à l’antithèse du féminisme, de l’égalité femme/homme, etc", détaille Constance Vilanova. Celle qui pensait enquêter sur les questions féministes, se rend compte en réalité que "la téléréalité est à l’intersection de toutes les luttes, que ce soit le sexisme, le racisme avec un casting très blanc, l’homophobie avec très peu de couples lesbiens en 20 ans et les personnages homosexuels masculins sont ultra-stéréotypés. Il y a aussi une lutte contre le classisme et le mépris de classe, qui se retrouve particulièrement dans les Marseillais." 

Elle explique que ces deux émissions régionales, les Chtis et les Marseillais, ont été produites dans l'idée d'user tous les clichés possibles et imaginables sur des régions. "Les Marseillais et les Chtis, ce sont deux franchises faites par des parisiens pour se moquer de deux régions considérées comme des terreaux à la classe populaire", déclare Constance Vilanova.

Les boîtes de production ont capitalisé sur les classes populaires et se sont moquées d’elles.

Constance Vilanova, journaliste et autrice de "Vivre pour les caméras"

Pour elle, la téléréalité nous a tous influencé, même ceux qui ne la regardent pas. "C’est un phénomène culturel qui a bouleversé notre façon de se mettre en scène", assure Constance Vilanova. Selon elle, la téléréalité a rendu l’intime spectaculaire, avec une volonté de tout montrer, de dramatiser et de surjouer. "Elle a créé un "je" surdimensionné, rendu chic le narcissisme qui n’était pas une valeur avant et l’individualisme est devenu une valeur suprême", affirme la journaliste, en donnant comme exemple le fait de se filmer en train de pleurer et des jeunes femmes qui se filment tous les jours après leur rupture amoureuse avec le #break-up. "Ça, selon moi, c'est de la téléréalité".

Selon elle, la téléréalité va même jusqu’à influencer les politiques. La recherche de la punchline au cœur des débats, comme au sein des épisodes des Marseillais par exemple, ou encore de l’intimité est mise en scène. "Depuis l’apparition de la téléréalité, il y a une injonction à tout montrer, à être dans l’extimité plutôt que l’intimité", explique Constance Vilanova.

Féminité et rapport au corps

La journaliste soulève également le fait que ces programmes ont très largement influencé le rapport aux corps, avec une banalisation de la chirurgie esthétique, avec notamment deux personnages emblématiques des Marseillais : Maeva Ghennam, souvent comparée à Kim Kardashian, et Jessica Thivenin. "Je pense que même moi, en regardant ces programmes en étant ado et donc pétrie de complexes, j’ai d’autant plus complexé sur ma petite poitrine", confie-t-elle.

Tous les jours, à l’heure du gouter, à un âge où les ados sont complexés, ils se retrouvent face à des corps et un modèle de beauté inaccessible et inatteignable.

Constance Vilanova, journaliste et autrice de "Vivre pour les caméras"

"Les candidates elles-mêmes se présentent parfois comme des victimes de ces injonctions-là." Elle prend l’exemple de Victoria Mehault, autre candidate des Marseillais, arrivée tardivement dans le programme, qui avait confié qu’après s’être vue à la télé lors de sa première apparition dans l’émission, ne s’était pas appréciée. À la suite de quoi elle avait multiplié les interventions de chirurgie esthétique, jusqu’à en devenir addict. Tout cela peut mener à des dérives chez certaines candidates, comme la Marseillaise Luna Sky, ex de Paga, qui se sont fait faire des injections d’acide hyaluronique dans les fesses et qui ont frôlé la mort à cause d’infections.

Harcèlement et vision du couple réactionnaire

Constance Vilanova explique dans son livre que la téléréalité impacte également la vision que l’on a du couple et de l’amour. "Alors qu’ils se vantent être des programmes en avance sur leur temps, ils proposent une vision du couple réactionnaire et traditionnel : demande en fiançailles, mariage, enfants…" Ce qui permet aux boîtes de productions de générer de la séquence et de créer des nouveaux produits télévisuels comme Kevin + Carla = Bébé Ruby, encore un programme 100 % marseillais.

La journaliste explique que dans ces programmes, on donne aux hommes une image de "charo", "jaguar" (comme l’était surnommé Kevin Guedj) qui multiplie les conquêtes et qui se calmera avec le mariage. Tandis que la copine en face pleure et est victime des infidélités. Là encore, que ce soit Julien Tanti ou Kevin Guedj, à chaque saison, ils enchaînaient les conquêtes malgré le fait qu’ils étaient en couple. 

Être un insatiable séducteur est alors une valeur positive.

Constance Vilanova, journaliste et autrice de "Vivre pour les caméras"

Et si les femmes acceptent cela, c’est que pour exister dans un programme, elles sont obligées d’être en couple et qu’on les pousse dans les bras de mecs toxiques, explique Constance Vilanova. "Et ça, je pense que ça nous a influencés et moi particulièrement, avec la vision que l’amour doit faire mal, être toxique, parce qu’un couple qui va bien, ça ne crée pas d’image."

Selon elle, la frontière entre le harcèlement et le clash est très fine. "Pour exister dans un programme, une femme doit faire couple ou alors être une grande gueule. Donc il y a cette dimension de la féminité qui est assez paradoxale. Elles doivent être bonnes à marier et crier plus fort que les autres. Et comme les candidates reviennent d’un programme à un autre et deviennent des professionnelles de la séquence, le clash vire très vite au harcèlement", explique Constance Vilanova. Elle détaille que pour son livre, elle a montré une scène très connue à une thérapeute spécialisée du harcèlement scolaire, qui lui a affirmé que les dynamiques étaient les mêmes, avec l’effet de groupe, les insultes, la meute qui valide le harceleur…

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