La municipalité a annoncé son intention de lancer son propre audit des écoles marseillaises lors du conseil municipal du 1er avril. Une première victoire pour l'opposition et les enseignants, qui craignent malgré tout "un voeu pieux", puisque depuis 2016 et la Une de libération, "rien n'a changé".
Après le naufrage du partenariat public-privé, retoqué par le tribunal administratif, la mairie a annoncé son intention de lancer son propre audit sur les écoles marseillaises lors du conseil municipal du 1er avril.
Si certains saluent cette prise de conscience, d'autres craignent un effet d'annonce qui viendrait "trop tard", et comptent bien forcer la ville à respecter ses engagements.
De son côté, la députée des Bouches-du-Rhône Cathy Racon-Bouzon affirme que la mairie a été "vexée" par son amendement visant à permettre au gouvernement de s'emparer du sujet.
"Ecoles à Marseille, la honte de la République". Chacun peut se rappeler la Une choc de Libération, en 2016, mettant en avant l'état d'insalubrité d'un grand nombre d'écoles de la ville. Punaises de lits, effondrements, chauffages défaillants... L'article du journal parisien fait l'effet d'un "électrochoc" à la municipalité, mais aussi au ministère de l'Education nationale.
Un premier coup de pied qui, deux ans après, n'a pas produit les résultats escomptés, regrettent l'opposition et les enseignants.A la une de Libé ce mardi : écoles à Marseille, la honte de la Républiquehttps://t.co/vfYZGNkzJC pic.twitter.com/FZ2RzyMSF6
— Libération (@libe) 1 février 2016
Aujourd'hui, la situation apparaît plus rocambolesque que jamais alors que la mairie se lance dans une course contre elle-même, à qui sera le premier à réaliser effectivement l'audit tant attendu. Un coup de sang qui arrive après avoir appris que la députée des Bouches-du-Rhône Cathy Racon-Bouzon avait fait voter un amendement afin de permettre au gouvernement de mettre son nez dans l'affaire.
Pas tout-à-fait une carotte pour faire avancer un âne, même si la députée convient que le but est "de maintenir la pression, et de faire en sorte que le gouvernement s'assure que la Ville, ou la prochaine majorité, fasse ce qui doit être fait".
2016, le premier audit qui n'en était pas un
Après l'alerte de Libération, la ministre de l'époque, Najat Vallaud Belkacem, annonce vouloir réaliser un premier audit de la situation des écoles de la capitale des Bouches-du-Rhône.Plutôt qu'un réel diagnostic, c'est un questionnaire qui est envoyé aux directeurs d'établissements par le rectorat, afin d'obtenir les remontées urgentes conduisant à des travaux curatifs, sur telle infestation de rats ou telle chaudière en panne en plein hiver.
Un petit pas déjà pas évident, comme le relève l'ex-ministre de l'Education dans une interview donnée à Libération le mois dernier :
Disons que dans un premier temps, il a fallu tordre la main de la mairie de Marseille, dont la toute première réaction a essentiellement consisté à minimiser les problèmes.
Selon l'inspecteur de l'académie des Bouches-du-Rhône, contacté par France 3 Paca, le tableau excel qui découla de cette première intervention de l'Etat a eu deux principales vertus :
- Montrer au corps enseignant que l'Education nationale ne restait pas inactive face au problème, même si elle est impuissante, le patrimoine relevant entièrement de la compétence de la mairie;
- Prioriser les besoins de travaux des écoles.
Seulement voilà, cette remontée d'informations du terrain n'avait rien d'un audit. "Nos directeurs d'école ne sont en aucun cas des architectes, ils ne peuvent pas établir de constat sur la pérennité structurelle d'un bâti", avertit Dominique Beck.
Depuis 2016, ce sont donc des "travaux du quotidien" qui ont été réalisés "à la demande", "dans des délais plus ou moins courts", convient l'inspecteur d'académie. Ce dernier insiste malgré tout sur les bonnes relations du rectorat avec les services techniques de la ville de Marseille. "Il y a 444 écoles, c'est énorme, les services techniques ne peuvent pas être partout".
Cathy Racon-Bouzon, députée des Bouches-du-Rhône, y voit plus un problème d'organisation qui viendrait se rajouter à une fâcheuse tendance à "minimiser" les problèmes. "À chaque fois que je reviens dans ma circonscription, quand je visite une école, le directeur ou la directrice vient me voir pour me dire que telle chose a mis trop longtemps à être réparée, ou que les travaux étaient mal coordonnés".
2019, la guerre des audits sur fond de municipales
Si depuis 2016, la situation structurelle n'a pas évolué, faute d'audit et de travaux conséquents, en 2019, l'approche des élections municipales pourrait bien faire bouger les lignes. Trois événements ont poussé la majorité Les Républicains à prendre en urgence le dossier en main.
Tout d'abord, l'annulation par le tribunal administratif du projet de partenariat public-privé à un milliard d'euros porté par la majorité à Marseille.
En deuxième viennent les événements de la rue d'Aubagne, qualifiés de "second électrochoc" par Dominique Beck, l'inspecteur de l'académie des Bouches-du-Rhône. Comprendre que ce risque existe également dans certaines écoles marseillaises ? Sans audit, difficile de le savoir.
"Il faudrait aller voir voir dans les écoles de Noailles, pour vérifier que la sécurité des élèves n'est pas en jeu, alerte Pierre-Marie Ganozzi du collectif PRE. On a quand même évacué 2.000 habitants à cause des effondrements d'immeubles, il serait temps de s'inquiéter pour les écoles".
Le troisième événement qui a poussé la municipalité à réagir, c'est le vote d'un amendement proposé par la députée LREM des Bouches-du-Rhône Cathy Racon-Bouzon. Ce dernier permettrait au gouvernement de mettre son nez, une fois de plus, dans cette affaire.
"Permettrait", car s'il a reçu l'aval du ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer, cet amendement doit encore passer devant le Sénat, à majorité LR. Il pourrait alors faire l'objet d'un contre-amendement, puis repasser devant les députés, et enfin devant la commission mixte-paritaire.
Dans l'absolu, la République en marche y étant majoritaire, l'amendement pourrait passer cette étape. Mais il devrait faire alors l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, puisque monsieur Gaudin a déclaré que cet amendement "n'est pas conforme à la constitution". Bref, un audit gouvernemental pour septembre paraîtrait, dans ce cas, compromis.
Qu'importe, pour la députée porteuse de cet amendement. "Tant que la mairie réagit, on est sur la bonne voie", déclare-t-elle, même si elle prévient vouloir rester "vigilante".
Je ne suis pas dans une course avec la ville de Marseille. La mairie a été vexée par mon amendement et a souhaité prendre de l'avance, c'est dans tous les cas une bonne chose si cela permet de la faire réagir.
Cathy Racon-Bouzon rejoint l'analyse de l'ex-ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem. "Le problème dans les écoles à Marseille a été minimisé depuis plusieurs années, l'objectif de mon amendement est de maintenir la pression sur la mairie. Je sais que si on relâche la pression, les choses n'évolueront pas, la preuve en est que depuis 2016 il n'y a pas grand chose qui a changé".
Un constat également partagé par Pierre-Marie Ganozzi, représentant du collectif PRE et membre du syndicat FSU.
"On ne peut que se féliciter que les écoles reviennent au centre du programme de la mairie. Maintenant, cela étant dit, en fins tacticiens politiques, on voit bien qu'ils prétendent s'agiter dans tous les sens pour le bien-être des élèves, mais on se dit qu'au bout de 25 ans c'est un peu gros".
Couper l'herbe sous le pied du gouvernement.
Le 1er avril, la mairie de Marseille a fait voter une autorisation de programme pour conduire son propre audit. La volonté de "couper l'herbe sous le pied du gouvernement" est affichée. Celle de demander une participation financière pour l'audit municipal à ce même gouvernement également.
Le coût total s'élèverait à 6 millions d'euros, rien que pour l'audit. La rénovation des écoles marseillaises, elle, à 700 millions d'euros, à en croire l'élu d'opposition Benoît Payan (PS).
Dans une interview au journal 20 minutes, le chef du groupe LR au conseil municipal, Yves Moraine, s'agace des suspicions qui assaillissent sa majorité.
"On en a marre des procès politiques. Les services municipaux sont tous les jours dans les écoles, mais on ne les croit pas. On confie donc à un bureau d’étude indépendant le soin de l’analyse".
L'élu PS, lui, ne croit pas à ce "réveil soudain" de la mairie de Marseille.
Au bout de 25 ans, se réveiller sans savoir dans quel état sont les écoles de la ville que vous avez dirigée pendant tout ce temps, c'est prendre les gens pour ce qu'ils ne sont pas.
Benoît Payan explique la raison pour laquelle il ne croit pas à cette audit made in Marseille. "C'est une intention qui a été votée. Les 6 millions d'euros nécessaire n'ont, eux, pas été ajoutés au budget qui a été voté dans la même journée. C'est un voeu pieux, un effet d'annonce".
Les écoles de Marseille se retrouvent donc aujourd'hui avec deux intentions d'audits, un non budgété à la Mairie, un autre qui doit encore finir son marathon législatif et qui dépend également de la loi pour une école de la confiance, puisque l'amendement y est inséré. Un statu quo qui ne convient pas à certains, et qui a poussé l'opposition marseillaise et le collectif pour la rénovation des écoles (ex collectif contre le partenariat public-privé) à réagir.
Une pétition pour "forcer la mairie à réagir"
Pour Benoît Payan, "l'argent nécessaire à la rénovation et à l'audit, nous l'avons. Tout est une question de choix". En termes de choix, l'élu PS fustige une politique de la ville de Marseille où, "pendant 25 ans, la priorité n'a pas été donnée à l'école, alors que c'est le coeur du métier d'une municipalité".
Dans cette optique, Benoît Payan s'est associé à Jean-Marc Coppola (PCF) et le collectif pour la rénovation des écoles, pour lancer une pétition afin de "faire enfin bouger les lignes".
Cette pétition s'appuie sur un vieil article du règlement intérieur du conseil municipal, qui dit que si 10.000 Marseillais le souhaitent, un sujet peut-être soumis à délibération.
Par cette méthode, l'opposition et le collectif PRE entendent "forcer la main" à la mairie pour que les paroles se transforment "enfin" en actes. "On sera content quand les truelles et les pelleteuses rentreront en action. En attendant, il faut continuer à se battre", conclut Pierre-Marie Ganozzi.