ENTRETIEN. "OM, dans les yeux des miens", le documentaire de Philippe Pujol, regarde les supporteurs en face tout au long d'une saison de foot

Le journaliste et écrivain Philippe Pujol signe un documentaire tourné durant la saison dernière avec des supporteurs marseillais. "OM, dans les yeux des miens" se veut un film social inspiré de trois cinéastes Paul Carpita, Ken Loach et Robert Guédiguian dont Marseille est le décor.

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Le journaliste et écrivain Philippe Pujol, récompensé du Prix Albert Londres en 2014 pour une série d’articles sur les quartiers nord de Marseille et auteur de plusieurs ouvrages et documentaires, signe un film sur les supporteurs de l'Olympique de Marseille.

"OM, dans les yeux des miens" retrace son immersion durant une saison de football auprès de celles et ceux qui ont leur club dans la peau. Pour France 3 Provence Alpes, il revient sur un documentaire qu'il qualifie de film social, grand public.

Pourquoi avoir choisi d'aller cette fois sur un terrain déjà foulé de nombreuses fois par d'autres documentaristes? 

Philippe Pujol : Ce n’est pas un film sur le foot, c’est d'abord un film sur les émotions, sur une passion commune au sens philosophique, celle des gens qui vivent l'OM, pas seulement les supporteurs, et sur les comportements primitifs qui régissent l'âme humaine. Le football génère des émotions dans un instant très court chez une masse de personnes considérable. Il n'y a rien au monde qui produise cet effet-là. Le football est un vecteur d'émotions sincères par opposition avec les émotions que j'appelle "cœur avec les doigts", marketing, celles qui se résument en cinq pictogrammes chez Facebook... et dans un second temps, c'est un film sur Marseille.

Vous pouvez prendre tous les Oscars, les Césars et les Palmes d'or réunis, cela génère moins d'émotions qu'un OM-Brest l'hiver au Vélodrome.

Philippe Pujol, réalisateur

France 3 Provence-Alpes

Qui sont les personnages de votre film ?

Le titre est une référence à Patrice de Peretti, dit Dépé, décédé en 1999, une sorte d'étendard du supportérisme social, pas le premier, mais le plus connu. Il a porté le supportérisme comme mode de vie. Dépé se mettait toujours dos à la pelouse et quand on lui demandait pourquoi, il répondait "le match, je le regarde dans les yeux des miens".

Et moi, je regarde Marseille dans les yeux des Marseillais. Tout le monde est représenté, de la bourgeoisie aux milieux les plus populaires. Je ne traite pas des bagarres, des ultras, des embrouilles, je reste centré sur une quinzaine de personnages. Cela va du rappeur Muge Knight alias Michäel, un ami d'enfance, à des "voyageurs" de la Cayolle en passant par des syndicalistes du port de Marseille. À travers eux, c'est Marseille que je filme.

Quel accueil avez-vous reçu de la part des dirigeants du club olympien ? 

Je suis supporteur de l'OM depuis toujours, je vais au stade avec mon père depuis que j'ai cinq ans. À la naissance du projet, les dirigeants ont souhaité me rencontrer. Ils craignaient que j'enquête sur le club, comme dans mon livre La Fabrique du Monstre, mais ce n'était pas mon but, sinon j'aurais fait un livre et je me serais attaqué au PSG ! Non, l'OM, c'est tellement important pour moi que je voulais montrer pourquoi c'est important.

Quand je vais au stade, je ne vais pas voir le match, je vais ressentir cette union populaire que je ne trouve qu'au Vélodrome. Et puis en tant que journaliste, j'aime m’y connaître. Quand je rencontre des dealers dans mes enquêtes sur la drogue, l'OM permet d'avoir des conversations !

En quoi votre film est-il social et politique ? 

Les clubs de supporteurs figurent parmi les dernières tribunes politiques. Un club, c'est un endroit où l’on s'unit, on décide, on revendique et on lutte pour quelque chose. Il y a une faculté à résister dans la durée qui est rare. Selon les clubs, il y a des obédiences différentes, certains sont radicaux, d'autres, plus dans la négociation avec les instances du football... Les supporteurs adhèrent à leurs clubs en fonction de leur idéologie. Pour les jeunes, c'est une initiation à la citoyenneté.

Aujourd'hui le foot business veut éliminer le foot passion, à l'instar de Paris. On supprime les milieux populaires des stades pour les remplacer par des classes moyennes, voire riches qui vont dépenser de l'argent. Et on met devant la télé les milieux populaires parce que c'est plus facile à gérer.

Philippe Pujol, écrivain

France 3 provence Alpes

Pourtant, les supporteurs de football souffrent d'une mauvaise image de marque, vous essayez de les réhabiliter ?

Les supporteurs se savent pointés du doigt comme "des bourrins des villes" et c'est un postulat dans le film. Mais dans un stade, on retrouve la sociologie et les déviances de la société toute entière. Un stade est un lieu de transgression tolérable : on insulte, on décharge une colère, on agit, on revendique. Si on supprime cela, la violence s'exprimera à l'extérieur, dehors. Et c'est dangereux, car aujourd'hui l'unique mode d'expression est la violence, la casse, les émeutes. Alors certes, ce que l’on entend au Vélodrome est ultra-vulgaire, mais c'est un lieu nécessaire. Je ne crois pas qu'il faille légiférer sur la vulgarité, à l'exclusion bien sûr du racisme, de l'homophobie ou autres dérives.

Ce film s'adresse-t-il aux seuls aficionados de l'OM ?

Je voulais apporter mon regard de journaliste, tout en restant accessible à tous, je ne vise pas un public averti. Je ne suis pas dans la dénonciation, mais dans une contemplation de ma ville. Marseille est une ville populaire où le foot s'est enraciné, parce que les gens qui la composent ont souvent fui et perdu quelque chose. Et ce complexe d'infériorité, cette petite paranoïa, celle des loosers de la mondialisation, s'exprime dans le foot, avec une fierté exacerbée et cette façon d'être bavard. De cet interculturalisme est née la capacité à être ensemble.

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