ENTRETIEN. "Un enfant sur deux confié à la protection de l'enfance souffre de trouble mental", un pédopsychiatre marseillais alerte les pouvoirs publics

À Marseille, une unité mobile de soins psychiatriques intervient depuis deux ans auprès d'enfants placés en foyer ou en famille d'accueil. Le pédopsychiatre Jokthan Guivarch réclame des moyens pour faire face aux besoins grandissants d'une enfance maltraitée.

Pionnière en 2021, ce fut la première unité psychiatrique mobile en France à accompagner des enfants confiés à l'ASE (Aide sociale à l'enfance), dès la naissance jusqu'à 12 ans. En deux années passées à leur rendre visite dans leur foyer ou leur famille d'accueil, cette petite équipe de six personnes s'est retrouvée débordée par la demande, passant de 10 à 60 enfants pris en charge à Marseille et ses alentours.

Rattachée aux hôpitaux de Marseille (APHM et CHS Valvert), l'unité est dirigée par deux pédopsychiatres, Tiphaine Krouch et Jokthan Guivarch, qui alertent : " un enfant, confié à l'ASE, sur deux souffre de trouble mental, soit quatre fois plus que pour le reste de la population, il faut plus de moyens pour leur venir en aide". Jokthan Guivarch répond aux questions de France 3 Provence-Alpes, tandis que la protection de l'enfance, priorité de campagne d'Emmanuel Macron. est au cœur de l'actualité.

France 3 Provence-Alpes : qui sont ces enfants que vous suivez avec votre équipe? 

Dr Jokthan Guivarch : ce sont tous des enfants placés sur décision de justice, bénéficiant de mesures de protection, confiés à des familles d'accueil, des pouponnières, des foyers ou placés à domicile. Dans leur histoire, ils ont été frappés, violés, sont victimes de maltraitance physique, psychologique ou sexuelle, mais la plus fréquente des maltraitances est la négligence. C'est celle qui a le plus d'impact sur l'enfant en termes de développement et de troubles mentaux. Cela va du manque de soins corporels ou d'alimentation, à la négligence émotionnelle. Les enfants ont besoin d'être aimés, "nourris" d'affection aussi. Cette souffrance induit des traumatismes complexes, allant de troubles de l'attention à la dépression, que nous cherchons à détecter le plus tôt possible. Et puis il y a des enfants qui sont témoins de violences conjugales pouvant aller jusqu'au féminicide, car c'est souvent la mère qui est visée par les coups. 

Vous dites être confronté de plus en plus souvent à la prostitution des mineurs à Marseille ? 

Un rapport récent de l'IGAS, l'Inspection générale des affaires sociales, mettait en avant que Marseille est la ville la plus touchée en France par la prostitution des enfants confiés à l'ASE. Nous avons vu récemment des enfants de moins de 12 ans tombés aux mains de trafiquants d'êtres humains ou agressés sexuellement, ce qui est un mode d'entrée dans la prostitution. Il n'est pas rare de voir dans les foyers, des jeunes filles, proies de proxénètes qui deviennent elles-mêmes des relais de proxénétisme. On a déjà fait des signalements au parquet, quand on voit un enfant partir régulièrement avec un adulte.

Votre dispositif est-il saturé ? Des enfants sont-ils mis en liste d'attente ? 

Pour l'heure, nous n'avons refusé aucun enfant, mais il faut éviter que cela arrive. Ils sont souvent multi-traumatisés, ce n'est pas une prise en charge classique. Nous devons les apprivoiser et nouer un lien de confiance avec eux. Donc, nous leur proposons des sorties, hors les murs et pour cela il nous faut des moyens financiers.

Au quotidien, c'est un jeu d'équilibriste : pas assez d'éducateurs formés, manque de foyers pérennes, les foyers d'urgence sont saturés et les enfants baladés. Cette réalité nationale est encore plus criante à Marseille.

Jokthan Guivarch, responsable de l'Unité mobile de soins psychiatriques pour enfants vulnérables

À Marseille, le taux d'occupation des foyers est de 100%, il faut compter parfois un an et demi d'attente pour un rendez-vous dans un Centre Médico-psychologique, il a des embouteillages partout et on manque d'éducateurs spécialisés : nous proposons de participer à leur formation sur le terrain !

La secrétaire d'État chargée de l'enfance, Charlotte Caubel, reconnaît que "la situation est incontestablement tendue " avec quelque 370 000 enfants placés, qu'attendez-vous des pouvoirs publics ? 

Au quotidien, il nous faut plus de structures d'accueil et plus de personnels, parce que nous voulons éviter d'en arriver au pire : réduire le temps de prise en charge des enfants, qui est de six mois en moyenne. Il faudrait aussi créer des lieux de répit pour accueillir des enfants agités dont personne ne veut et qui vont de foyer en foyer. Pour que l'on puisse s'occuper d'eux. Car notre objectif dans tout ça, c'est que ces enfants, maltraités par la vie, aillent mieux.

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