La fermeture de leur maison senior à Marseille est prévue pour juin 2024. Pourtant, une poignée de résidents refuse de partir, soutenue par le collectif du Roy d'Espagne bien décidé à porter l'affaire devant les tribunaux. Leur avocat affirme que cet établissement, subventionné par de l'argent public, n'aurait jamais dû être vendu à un promoteur.
Il leur reste trois mois pour plier bagage et laisser derrière eux la résidence Entraide du Roy d'Espagne , promise à la destruction. Ce petit écrin de verdure et de lumière niché au pied des collines marseillaises, qui abritait 51 occupants, doit fermer définitivement en juin 2024, le terrain ayant été vendu à un promoteur pour y construire des logements. Depuis l'annonce de la direction début janvier, la résidence se vide, mais une vingtaine d'occupants vivent encore sur place. Certains, bien déterminés à rester, soutenus par les riverains. Leur collectif saisit la justice pour faire barrage au projet.
"À chaque départ, ce sont des pleurs"
Jean-Dominique est arrivé il y a peu dans la résidence, à l'été 2023, mais il campe depuis des semaines sur sa position : "je ne pars pas". Il est l'un des membres actifs de ce petit village gaulois, entré en résistance à l'intérieur de l'établissement. "Nous sommes cinq ou six à avoir pris la ferme décision de rester, puisqu'ils ont dit qu'ils seraient ouverts jusqu'au dernier occupant ! "
Alain, 75 ans, est sur la même ligne : "je resterai jusqu'au bout". Il occupe depuis novembre 2018 un petit studio avec un carré de jardin et pour lui, "partir c'est perdre ses amis, ses repères, et puis aussi les oiseaux, les arbres et les écureuils".
D'une même voix, tous deux dénoncent "une ambiance mortifère" au sein de cette maison sénior. "À chaque départ, ce sont des pleurs, ceux qui partent sont souvent sous tutelle ou curatelle, ils n’ont pas choisi", raconte Jean-Dominique, tandis qu'Alain confie que des personnes vulnérables sont victimes de pression psychologique de la part de la direction. "On les pousse vers la sortie" affirme-t-il, tandis que Jean-Dominique ne mâche pas ses mots : "ils ont traumatisé à outrance les résidents pour qu'ils s'en aillent vers d'autres structures".
"Il y a urgence face à un préjudice sanitaire"
"On vient voir les résidents tous les jours", racontent les membres du collectif du Roy Espagne, réunis jeudi 21 mars face à la presse. Parmi eux, Jérôme Bernard, interpelle les collectivités : "nous appelons les pouvoirs publics à se positionner en urgence face à un préjudice sanitaire". Ce riverain parle d'ambiance anxiogène, de stress important causé par le déménagement chez des personnes âgées en moyenne de 80 ans, qu'il est urgent de mettre en sécurité dans "l'apaisement".
"On déracine les résidents", insiste maître Olivier Le Mailloux, avocat du collectif du Roy d'Espagne, alors que "cette résidence subventionnée n'aurait jamais dû être vendue à un promoteur privé". Avant d'annoncer que le collectif se constitue en association pour pouvoir saisir la justice.
Une plainte en justice
"Vente du terrain ou pas, la résidence fermera quoi qu'il arrive", avait confirmé la direction du groupe Entraide, justifiant sa décision par un lourd déficit devenu ingérable. Elle s'était engagée à accompagner avec "dignité et humanité" le déménagement des personnes âgées et à assurer le reclassement des salariés.
Indigné, le collectif des riverains avait envoyé un courrier de signalement au procureur le 5 février 2024. Suivi de près par l'adjoint au maire de Marseille. Hervé Menchon dénonçant à son tour des maltraitances au sein de la résidence.
On aura gain de cause. Face à tant de forfaitures, d'erreurs de gestion, de manigances, n'importe quel tribunal nous donnerait raison.
Jean-Dominique, résident de la maison sénior du Roy d'EspagneFrance 3 Provence-Alpes
Mais aujourd'hui, Olivier Le Mailloux affirme détenir de nouveaux éléments apportés à la fois par les familles et les salariés de l'association Entraide, eux-mêmes : "je reçois tous les jours des coups de fil de personnes qui veulent mettre leur témoignage au service de la justice. J'ai réuni des pièces, qui viennent étayer le délit de favoritisme et l'abus de bien social".
"J'ai beaucoup misé sur ce référé"
"On est dans le service public là, pas dans le capitalisme sauvage" s'indigne l'avocat, reprochant à la direction de ne pas avoir tenté d'éponger le déficit ou cédé l'activité à un repreneur.
Pointée du doigt notamment, une subvention publique d'1,3 million d'euros, attribuée sous la condition de ne pas vendre l'établissement. Fin février, le journal La Marseillaise rapportait que la Carsat Sud-Est, qui avait financé la rénovation de cette résidence autonomie, assignait le groupe Entraide pour non-respect de ses engagements. Dossier sur lequel le juge des référés s'est prononcé incompétent le mercredi 20 mars 2024, à la grande déception des résidents.
Jean-Dominique, avoue qu'il misait "beaucoup sur ce référé" pour stopper le déménagement et sauver la résidence, mais il place aujourd'hui tous ses espoirs dans le collectif de riverains : "je pense que l'on va avoir gain de cause de toute manière, il ne peut pas en être autrement."