Aurélie Rochette est sage-femme depuis 2009 et 2014 en libéral. Représentante syndicale, elle porte la voix de ces professionnelles qui prennent quotidiennement le pouls de la société. Violences sexuelles, procréation, IVG, santé mentale, burn-out... À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, elle revient sur son engagement.
Aurélie Rochette a choisi en 2014 d'exercer son métier de sage-femme dans un cabinet en ville, dans le 9ᵉ arrondissement de Marseille, après six années passées dans le milieu hospitalier. Représentante régionale de l'Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), principal syndicat de la profession, elle se définit comme omnipraticienne, en libéral, dans une profession en crise.
Mais c'est avec conviction qu'elle défend son poste d'observation privilégié de la vie des femmes, à l'occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars.
France 3 Provence-Alpes : Comment définissez-vous votre métier de sage-femme ?
Aurélie Rochette : C'est un métier "pivot", essentiel à la santé des femmes qui nous offre un accès privilégié à cette moitié de la population et à son intimité, à tous les âges leur vie. Je suis ce qu'on appelle une sage-femme libérale "omnipraticienne", dans mon cabinet, j'ai des patientes de 11 à 102 ans.
Je fais un peu de tout, à la fois de la gynécologie, de la prévention, des activités cliniques "historiques" autour de la grossesse, mais aussi la mise en place et la surveillance de la contraception, le dépistage des cancers féminins... Et puis s'exerce une vigilance sur les violences faites aux femmes et la santé mentale avec des problématiques telles que le burn-out. Chez les adolescentes, on veille au cyberharcèlement. Nous sommes un poste d'observation de la vie des femmes de toutes les générations.
Pourquoi les femmes se confient-elles à vous ?
On fait toujours un interrogatoire dans une consultation. Ça permet de repérer des éléments, on va dire somatiques, quand une patiente dit "j'ai mal au ventre, j'ai des douleurs de dos, de sciatique, je me sens très fatiguée", ce n'est pas anodin. On doit s'assurer qu'elle s'en occupe.
La femme n'est pas un utérus sur pattes ou un col qui vient faire un frottis. Nous abordons les patientes dans tous les aspects de leur vie, intime, conjugale, familiale et professionnelle.
Aurélie Rochette, sage-femme libérale à MarseilleFrance 3 Provence-Alpes
Et puis on va investiguer sur le champ de la santé mentale, "c'est difficile à mon travail, c'est difficile à la maison depuis l'arrivée du dernier enfant, difficile avec mon conjoint...", ce sont des informations qu'il faut savoir traduire, pour les orienter vers des spécialistes du médico-social ou du juridique si c'est nécessaire.
L'activité de la sage-femme a-t-elle évolué ?
Notre profession a muté très vite ces vingt dernières années et son évolution s'accélère. Le libéral prend de plus en plus de place. C'est lié aux politiques de santé publique, avec le fameux "virage ambulatoire".
Tout le monde a en tête Kate Middleton qui, peu de temps après son accouchement, pose sur les marches de l'hôpital. Aujourd'hui, six à douze heures après la naissance, avec la bonne surveillance, une femme peut rentrer chez elle.
Aurélie Rochette, sage-femme depuis 2008.France 3 Provence-Alpes
Les soins ne nécessitant pas un plateau technique particulier sont réalisés en ville, et cela coûte moins cher. Le temps de séjour en maternité a diminué, dans les années 90, on y restait une semaine après un accouchement, dix jours parfois à la suite d'une césarienne. Là, on est plutôt sur quatre jours maximum. Et des expérimentations d'accouchement en ambulatoire sont en cours en France comme dans d'autres pays européens. Pour ce qui est de l'IVG médicamenteuse, les sages-femmes réalisent des échographies obstétricales pelviennes... On peut faire beaucoup dans un cabinet en ville.
De votre point de vue, comment se portent les femmes aujourd'hui ?
Elles sont plus exigeantes de façon globale et elles ont raison. Elles exigent des explications et sont beaucoup moins passives devant les professionnels de santé. Et puis elles invitent les hommes dans nos cabinets. On parle beaucoup "d'empowerment", de "leadership féminin" et on le ressent à leur contact. Par contre, les charge mentale, plafond de verre, déséquilibre salarial, taxe rose etc, continuent de les impacter. Attention, elles n'ont pas la même vie selon leur catégorie socioprofessionnelle, leur culture ou leur parcours migratoire, alors je ne pourrais pas dire que les femmes, globalement, vont mieux.
La récente inscription de l'IVG dans la Constitution ?
C'est sécurisant quand on voit ce qui se passe en Europe. Je suis née et j'ai exercé après la loi Veil, mais j'ai grandi avec Simone de Beauvoir et son fameux "il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante". Donc c'est rassurant.
Maintenant, nous attendons des mesures concrètes, pas seulement des promesses : la réécriture du décret du 5 décembre, [qui autorise les sages-femmes à pratiquer les interruptions volontaires de grossesse instrumentales] mais aussi des réponses sur l'accessibilité à l'IVG, les délais de prise en charge, l'éducation à la santé pour que la situation ne se reproduise pas, l'accès à une contraception satisfaisante. Nous restons prudentes, en attendant de voir si toute femme, quelle que soit son origine, est en mesure d'interrompre de façon libre une grossesse, comme c'est désormais inscrit dans la Constitution.
Vous considérez-vous comme féministe ?
C'est une profession qui est de fait féministe. Je vois des femmes toute la journée et je me bats pour qu'elles restent en bonne santé. Je me bats avec elles, je me bats seule. Je suis avec elles pour qu'elles guérissent ou se réparent. Je suis avec elle pour qu'elles traversent la vie du mieux possible avec le plus de sécurité et le plus de confiance possible. Je milite syndicalement pour défendre un métier presque 100% féminin. Je suis féministe, il ne peut pas en être autrement.