Violences, sidération, précarité... Hors délai pour avorter en France, le combat des femmes qui subissent une IVG à l'étranger

En France, la loi fixe le délai d'avortement à trois mois de grossesse. Au-delà, il faut se rendre à l'étranger, dans les pays où les délais sont plus longs. A condition d'avoir les moyens financiers et matériels.

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Lundi 4 mars, la France est devenue le premier pays au monde à inscrire explicitement dans sa constitution l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Ou plus précisément, la liberté d'avoir recours à une IVG. Un jour historique qui ne doit pas faire oublier que, dans les faits, beaucoup de Françaises sont encore confrontées à des difficultés pour accéder à l'avortement. C'est notamment le cas des femmes qui souhaitent arrêter leur grossesse au-delà du délai légal. 

En France, l'avortement peut être pratiqué jusqu'à la fin de la 14ᵉ semaine de grossesse, soit 16 semaines d'aménorrhée. En 1975, lors de la dépénalisation de l'IVG par la loi Veil, le délai était de 10 semaines. Il fut allongé à 12 semaines en 2001, puis à nouveau le 2 mars 2022. Encore trop court pour certaines femmes qui sont contraintes d'avoir recours à une IVG à l'étranger. Au total, avant la loi de 2022, 2 500 Françaises étaient contraintes d'aller à l'étranger au cours d'une année. 

Dans les Bouches-du-Rhône, le Planning familial rencontre régulièrement des personnes dans cette situation, et qui se heurtent au coût financier. Une cagnotte a été mise en place par l'association pour aider celles qui ne peuvent pas payer leur IVG au-delà du pays des droits de l'Homme. Des femmes de tous les âges, aux histoires très variées.

Des situations "toujours complexes"

"Les personnes ne sont pas juste irresponsables, elles n'ont pas juste laissé passer le temps, explique Raphaëlle Morel, conseillère au Planning familial des Bouches-du-Rhône. Ce sont toujours des situations complexes". "La moitié des personnes sont en situation de violence", détaille-t-elle. Elles souhaitent réaliser une IVG suite à un viol, à une situation de violence conjugale.

Parmi les appels à la solidarité relayés par le Planning familial, il y a notamment l'histoire de T. Cette dernière a découvert sa grossesse accidentelle après environ deux mois. Elle a pris rendez-vous à l'hôpital de la Conception, mais n’a pas pu se rendre au rendez-vous de l’aspiration car son conjoint l'a battue et séquestrée.

Mère d'une petite fille de 7 ans, T. n'avait pas les moyens financiers qui lui permettaient de financer son IVG. La perspective de garder la grossesse lui était insupportable dans la mesure où elle ne voulait absolument pas qu'un enfant vienne créer un lien à vie entre elle et ce conjoint maltraitant. Ce dernier la menaçant de partir avec l'enfant à l'étranger si elle s'avisait de le quitter.

"Ce sont aussi parfois des personnes très jeunes qui risquent des violences si la famille l'apprend", poursuit Raphaëlle Morel.

Mes parents vont me mettre à la porte.

H. 21 ans

C'est le cas de H. 21 ans. Elle ne s'est pas aperçue de la grossesse en raison de problèmes de santé, notamment au niveau du ventre. Elle n'a pas souhaité garder cette grossesse, car, dit-elle, dans sa famille "très religieuse", cela impliquerait de graves conséquences ("mes parents vont me mettre à la porte", "mes frères vont mal réagir sous l’emprise de la haine").

D'autres femmes se retrouvent confrontées à devoir aller à l'étranger pour une IVG lorsqu'elles sont confrontées à des situations traumatiques : "des personnes qui ont perdu leur conjoint, qui sont prises dans un deuil. Le deuil a fait écran et elle ne sont pas rendu compte qu'elles étaient enceintes".

Le Planning familial rencontre également des femmes en situation de grande précarité, à la rue, SDF, sans papiers, au parcours très difficile. "Elles sont prises dans des préoccupations tellement importantes qu'elles peuvent passer à côté de la grossesse."

Sans parler de toutes celles qui n'ont pas de symptômes de grossesse. Le fameux "déni de grossesse", qui porte mal son nom selon le Planning familial. "On se méfie de cette notion psychologisante. Certaines personnes n'ont juste pas l'information qu'on peut être enceinte et avoir ses règles. Ce n'est pas une question de déni". Enfin, il y a parfois des diagnostics médicaux erronés. Des médecins qui leur ont dit qu'elles étaient stériles ou qui n'ont pas diagnostiqué une grossesse.

Cela s'est passé pour une patiente, qu'a rencontré Raphaëlle Morel, à l'hôpital d'Aix-en-Provence. "Elle était venue trois fois aux urgences, avant d'apprendre qu'elle était enceinte de plus de 14 semaines. Elle était bouleversée, heureusement très soutenue par son compagnon. Malgré la responsabilité hospitalière, ce n'était plus possible d'avorter en France". 

En 2022, 44 femmes sont venues voir le Planning familial 13 en situation de délai dépassé. Ce sont des femmes de tout âge, les violences conjugales pouvant toucher toutes les générations, les accidents de vie pouvant survenir à tout moment. Mais de façon générale, le public du Planning familial est précaire. "Elles ne feraient pas appel à la caisse si elles avaient les moyens de se payer l'IVG à l'étranger". 

Jusqu'à 2 200 euros

Pour les femmes qui se retrouvent hors délai en France, il est possible de se rendre aux Pays-Bas, où l'IVG est accessible jusqu'à la 24ᵉ semaine de grossesse, tout comme au Royaume-Uni, en Espagne, jusqu'à la 22ᵉ semaine de grossesse, en Suède, 18ᵉ semaine. En Espagne, l'IVG coûte entre 595 et 2 200 euros, nous détaille Raphaëlle Morel. Le prix dépend de l'avancement de la grossesse. À cela s'ajoutent les frais de transport, d'hébergement. La grande majorité des femmes concernées dans les Bouches-du-Rhône vont donc au plus près, et au moins cher : en Espagne.

On a vraiment un accès à l'avortement à deux vitesses, selon qu'on a de l'argent ou pas. 

Planning familial 13

Quant à la question traumatique de devoir avoir recours à l'IVG à l'étranger, le Planning familial a de bons retours sur la manière dont sont soignées les femmes en Espagne. "Le problème n'est pas forcément l'IVG en elle-même, mais le fait de se trouver avec une grossesse non désirée avancée. Les personnes sont dans des états de sidération. Beaucoup disent : "je ne réalise pas, je n'ai pas d'émotions, je suis paralysée par la situation"". 

L'IMG, l'autre solution

Pour celles qui ne peuvent pas aller à l'étranger, il y a la solution d'accoucher sous le secret. Le Planning familial oriente également parfois les personnes vers l'interruption médicale de grossesse, l'IMG, aussi appelé "avortement thérapeutique". L'IMG est possible à tout moment de la grossesse, en cas de mise en péril de la santé de la femme ou de l'enfant. Depuis la loi de 2022, la possibilité de faire une IMG a été étendue pour raisons psychosociales. "Typiquement, des gens en grande précarité peuvent demander une IMG", détaille Raphaëlle Morel. Depuis, le Planning familial 13 constate une baisse du nombre de demandes d'avortements à l'étranger. 

Mais parfois, c'est un nouveau parcours du combattant. "L'IMG doit être soumise à un accord collectif des soignants de l'hôpital, il arrive qu'il faille attendre, une à deux semaines avant une réponse, avec un risque de dépasser le délai de l'IVG en cas de refus…". Une IMG accordée de façon variable selon les hôpitaux, relate Raphaëlle Morel. Et de manière générale, une pratique de l'IVG inégale selon les territoires.

Des hôpitaux qui ne respectent pas la loi

En 2022, 234 000 avortements ont été enregistrés en France, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiées en septembre 2023. Le chiffre le plus élevé depuis trente ans. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur a le plus fort taux de France : 22,6 IVG pour 1 000 femmes. Et comme le souligne le Planning familial 13, tous les hôpitaux ne respectent pas la loi. 

"Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les femmes n'ont pas accès au délai des 14 semaines. Il faut aller à Manosque, où l'IVG est acceptée jusqu'à 10 semaines de grossesse. À Digne, le délai se réduit à huit semaines.

Comme l'explique la conseillère, le Planning familial alerte régulièrement l'Agence régionale de Santé (ARS), mais celle-ci n'arrive pas à faire respecter la loi. "Il y a une réticence des médecins à pratiquer l'IVG. La loi va dans le bon sens, mais il y a vraiment des zones blanches". 

Dans les Hautes-Alpes, il n'y a qu'à Gap qu'une femme peut espérer avorter à 14 semaines. 

Normalement, tous les hôpitaux devraient respecter la loi.

Raphaëlle Morel, conseillère planning familial 13

Dans d'autres établissements, le problème n'est pas le délai, mais la méthode. "A Nice, dans un hôpital, l'IVG est pratiquée à 14 semaines de grossesse par médicament, sans anesthésie, avec un risque d'hémorragie très important. Cela peut être très traumatisant." En France, l'IVG médicamenteuse est possible normalement jusqu'à 9 semaines, l'IVG instrumentale privilégiée ensuite. 

A Marseille, comme le souligne le Planning familial, l'hôpital de la Conception assure "un très beau travail". "Ils se sont mobilisés très rapidement pour faire appliquer la loi", tient à souligner Raphaëlle Morel. Le département est "bien loti", même si, dans d'autres hôpitaux, "cela se passe très mal". 

"L'avortement est un droit fondamental. Le combat n'est pas terminé, car la loi n'est pas appliquée partout", martèle la conseillère qui regrette le choix d'avoir inscrit le mot "liberté" et non le mot "droit" dans la constitution. "Avoir la liberté, c'est une chose, mais avoir accès concrètement à l'IVG en est une autre". 

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