Justice. "La BAC Nord c’était le porte-avions de la police de Marseille"

Jugés pour des vols de drogue et d'argent quand ils étaient en fonctions, 18 ex-policiers de la brigade anticriminalité Nord de Marseille ont fait corps mardi, niant ou évoquant des "traits d'humour" face à une accusation qui dénonce un "sentiment de toute puissance.

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Dans une salle des pas perdus bondée, certains prévenus sont entourés de leur famille, d’autres des membres du syndicat Alliance les accompagnent. Tous attendent la reprise du procès.

La porte s’ouvre, un officier de police appelle "les personnes convoquées, les avocats, les journalistes et le public !"

Tout le monde s’approche, les hommes de la garde du palais saluent par un "check" chacun des mis en cause, qui entre dans la salle d’audience.

Ce mardi, place aux explications, des ex-membres de la BAC Nord de Marseille. La présidente rappelle qu’il s’agit notamment de vols aggravés, de transport et détention non autorisée de stupéfiants.

David Gabens, chef de groupe, rien vu, rien entendu

Le premier à venir, devant le micro, David Gabens 51 ans une carrure de joueur de rugby, une chemise en grosse toile de couleur grise. Les mains fermement accrochées à la barre.

La présidente Cécile Pendaries, lui rappelle les faits reprochés. Il est soupçonné d’avoir frauduleusement soustrait des cigarettes et des stupéfiants. Et aussi sa condamnation pour avoir exercé des violences sur sa compagne : "vous êtes le seul à avoir une condamnation sur votre casier judiciaire."

Les premières questions de la magistrate tombent, réponse du policier : "je ne vois pas ce qu’on me reproche, je n’ai pas fait quoi que ce soit, je n’ai pas vu mes collègues faire quoi que ce soit. Je conteste les faits."

La présidente du tribunal, essaie de mettre en confiance le fonctionnaire de police, lui pose des questions sur son travail, son rôle au sein du groupe A. Rien n’y fait l’homme reste campé sur ses positions.

La juge s’agace : "est-ce que votre position est crédible, de dire que vous n’avez rien vu ?" David Gabens répond dans un souffle : "oui."

La découverte de cannabis dans les faux plafonds des vestiaires de la BAC Nord ? "Ces vestiaires étaient ouverts à la division nord, tout le monde y avait accès."

"On a du mal à croire que n’avez vu aucun dysfonctionnement à la BAC, sachant que vous y étiez depuis 2008. Qu’est-ce que cela vous inspire de savoir que des collègues aient commis des délits ?"

"Je suis étonné", assure David Gabens.

"On avait une certaine légèreté procédurale"

Second à venir à la barre Matthieu Ponchant, la juge lui rappelle les faits des vols de cartouches de cigarettes et des bouteilles d’alcool.

Ce policier est plus loquace que son collègue. Il reconnaît avoir pris des cigarettes. Il était affecté au groupe C et ne s’entendait pas avec son chef Bruno Carrasco.

"Je n’ai jamais assisté à des faits délictueux, à la BAC nord on avait du chiffre à rendre, faut pas oublier que la BAC nord c’est la plus grosse BAC de France."

Ce fonctionnaire qui vient d’être muté à Bordeaux, dit, préférer le travail de nuit, "il y a moins de monde, là, on fait du flagrant délit pur !"

La présidente le questionne sur le vol de cigarettes. Matthieu Ponchant répond : "on a des cigarettes, comme ça, en abandon total. Elles sont là, par terre, et je n’ai pas le vendeur."

"Qu’auriez-vous du faire ?", interroge la Présidente. "Les remettre aux objets trouvés. C’est arrivé une fois", lui répond Matthieu Ponchant.

La présidente diffuse un enregistrement réalisé dans la voiture de patrouille, réalisé le 10 août 2012.

- Qui a des clopes ?

- Un autre : vous voulez récupérer des clopes ?

- Si tu veux.

- J'ai gardé ... les "mal" light pour ma copine si ça ne vous dérange pas (...).

- J’adorais, c'était de venir à pied là, putain, quand j'étais à l'UTEQ on leur raflait des cartons entiers !

Réaction de Matthieu Ponchant : "Si on avait pris le vendeur, on l’aurait interpellé et on avait les cigarettes, comme ça on faisait l’affaire… les bouteilles d’alcool, je le ai jetées. C’est un choix, une liberté. J’aurai dû faire une main courante."

"Votre attitude n’est pas très professionnelle. Ce ne sont pas des paroles adaptées", rétorque le Procureur.

"On avait une certaine légèreté procédurale", admet Matthieu Ponchant.

Du cannabis dans le casier de son vestiaire

Le troisième policier de la matinée à se présenter à la barre : Sébastien Laplagne, surnommé "Bob", n’a pas d’avocat. Il ne veut pas d’avocat. Il est moins costaud que ses deux collègues, vêtu d’un sweet capuche blanc.

La présidente lui rappelle qu’il a été retrouvé trois olives de cannabis d’un poids de 30 grammes, dans ses chaussures rangées dans son casier situé dans les vestiaires. Et précise que c’est le seul officier de police judiciaire.

L’ancien chef du groupe A, est offensif, il exprime son incompréhension, et se demande pourquoi il a été mis en examen quatre ans après sa garde à vue et indique que son casier a été perquisitionné en son absence.

Il montre des photos aux juges et précise que son casier est bleu et non jaune comme décrit dans le procès-verbal de perquisition. Et constate que dans la procédure, il n’y a aucune photo de son casier, ni des olives de cannabis.

Le brigadier-chef explique le fonctionnement de la BAC nord, les difficultés rencontrées dans l’exercice quotidien de l’activité. Il précise que lorsqu’il est arrivé, en 2003, deux anciens policiers qui l’accueillent dans le service lui disent : "à partir de maintenant tu vas avoir la réputation d’un voleur."

"File-nous deux barrettes", "une discussion avec de l’humour"

La présidente évoque la réunion organisée, en janvier 2012, par le directeur départemental de la sécurité publique, au cours de laquelle il est évoqué les révélations par le magazine Le Point d’une enquête en cours sur la BAC nord et ses agissements délictueux.

Pascal Lalle, le directeur de l’époque, avait recadré ses équipes et l’action des policiers sur le terrain. Quelque temps plus tard la hiérarchie avait demandé aux groupes de la BAC nord d’arrêter de "faire du plan stup."

Madame Pendaries diffuse à nouveau un enregistrement réalisé dans une voiture de patrouille. C’était le 9 septembre 2012. L’équipage composé de quatre hommes dont notamment David Gabens et Sébastien Laplagne. Ils contrôlent un voleur qui détient des chaînes en or. 

- Eh viens voir. C’est de l'or ? La chaîne, c'est de l'or ou pas ?

- L’individu : ch'ai pas.

- Tu les as arrachées et tu sais pas? 

- Non, je les ai pas arrachées. 

- Bon allez file-nous deux barrettes et on te laisse tranquille, on repasse dans une heure.

Sébastien Laplagne indique qu’il s’agit d’une conversation isolée. "Vous êtes le chef du groupe. Qu’est-ce que cela vous inspire ?", lui répond la Présidente. "Je ne peux pas avoir la maîtrise de la parole de tous."

"C’est normal qu’on s’interroge quand on entend un policier dire à un jeune donne nous deux barrettes de cannabis."

Pour Sébastien Laplagne, il n'y a pas de problème : "cela reste une discussion avec de l’humour."

"La BAC nord, c’est le porte-avion de la police de Marseille"

En début d’après-midi, c’est au tour de Stéphane Joly. Il lui est reproché des vols aggravés et d’avoir notamment détenu et transporté des stupéfiants.

Tout de suite le gardien de la paix, reconnait avoir détenu et transporté des stupéfiants. En revanche il conteste notamment d’avoir fait "une mexicaine" (fouille ou perquisition illicite, ndlr).

Le policier explique au tribunal le fonctionnement du service et de son groupe et l’utilisation des services des "indicateurs", qui, par les informations données permettent aux policiers de faire de "belles affaires".

Le fonctionnaire précise ne pas connaître le principe, légal, de gestion des sources au sein de la police. 

"L’important, était le résultat avant tout parce qu’on est dans une politique du chiffre qui est prégnante, les moyens employés pour atteindre un résultat, ça n’intéresse personne, les seuls contacts avec la hiérarchie c’est quand on a fait une belle affaire, ils viennent, ils disent bravo les gars et donnent une tape dans le dos."

"On vous dit, les stups, vous n’y allez pas. On vous dit, les gars vous n’y touchez pas. Et vous y allez. Je ne comprends pas !", interroge André Ribes.

"Si vous n’y touchez pas ; les guetteurs vont prendre de la graine. Ils s’approchent de nous, parfois jettent des pierres, répond Stéphane Joly. On leur dit d’arrêter, sinon on attaque le charbonneur (le vendeur de produits stupéfiants, ndlr) on maintien comme on peut l’équilibre et on est tous les jours dans les cités."

En fin d’interrogatoire, le gardien de la paix Joly s’adresse aux deux représentants de l’accusation et au tribunal : "la BAC nord c’est 4.500 interpellations par an. La BAC nord c’est le porte-avion de la police de Marseille. Il fallait fournir du chiffre et continuer cette culture."

Sacrifié de la BAC Nord

Puis c’est au tour de Bruno Carrasco, surnommé "tonton". Le chef du groupe C est accusé notamment de vol aggravé de stupéfiants et de numéraires. Il a été révoqué de la police en 2014.

Il a 60 ans, aujourd’hui il travaille au centre de vidéo surveillance de la ville d’Aubagne. L’ancien brigadier-chef, dit avoir travaillé avec des anciennes méthodes, il n’a jamais passé d’examen pour devenir chef de groupe.

Il a expliqué que lorsqu’il s’est retrouvé en garde à vue dans cette affaire "le monde s’est écroulé".

Il reconnait avoir pris quelques barrettes de cannabis : "C’était pour mon voisin qui était fumeur, je voulais qu’il me donne des informations sur le quartier, autour de chez moi, où j’habitais à Aubagne."

A propos du cannabis stocké dans les faux plafonds des vestiaires de la BAC Nord, Bruno Carrasco précise n’avoir jamais vu quelqu’un y mettre quelque chose.

Sur la politique du chiffre : "à la BAC, il fallait faire 56 mises à disposition par mois (interpellation, ndlr). On a toujours fait le boulot au mieux. Le mot d’ordre de tous les officiers qui sont passés, c’était interpellation ! Interpellation ! Interpellation !"

Et de préciser sur la gestion des indicateurs : "Les indics, dans la police il y en a toujours eu. Il y a ceux qu’on déclarait et ceux qu’on ne pouvait pas. On les rémunérait avec des barrettes de cannabis. Avant on leur faisait sauter les amendes."

Bruno Carrasco a écrit, en 2015, un livre, portant le titre Sacrifié de la BAC Nord, dans lequel il décrit son métier de policier et sa descente aux enfers.

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