L’enquête démarre fin 2011 et va durer sept ans et demi. A Marseille, l'affaire ébranle la police. Quand le scandale éclate, le procureur de la République d'alors, Jacques Dallest, parle d’une "gangrène". 18 policiers de la BAC Nord comparaissent devant le tribunal correctionnel.
Dans ce dossier, 20 membres des trois groupes de l’équipe de jour de la brigade anti-criminalité Nord de Marseille ont été mis en examen. Sept d’entre eux seront incarcérés pendant deux mois et demi.
Les qualifications de violences aggravées et d’extorsions, retenues contre eux sont criminelles. À ce moment-là, la majorité de ces policiers de la BAC Nord sont passibles de la cour d’assises.
En juin 2019, les accusations criminelles sont abandonnées et deux fonctionnaires bénéficient d’un non-lieu. Les 18 mis en cause restants seront jugés par le tribunal correctionnel de Marseille à partir de lundi. Ils encourent dix ans de prison notamment pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
Dans les faux plafonds cannabis, argent et bijoux
L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) est saisie de l’enquête. Des moyens exceptionnels sont mis en œuvre. Pendant plusieurs mois, des lignes téléphoniques sont placées sur écoutes, des micros installés dans les voitures du service et les bureaux de la BAC Nord.
"Les bœufs carottes" procèdent à des perquisitions dans les domiciles, les vestiaires et les douches. Ils découvrent dans les faux plafonds du cannabis, des sommes d’argent et des bijoux.
Certains policiers reconnaissent avoir remis à des "tontons", des informateurs dans le jargon, des stupéfiants saisis pour "faire de plus belles affaires". L’un d’eux dira qu’il s’agit de "dérives administratives" en raison de la politique du chiffre voulue par leur hiérarchie.
Tous ces mecs qui se gavent (...), Ça fait trente ans que je suis flic, et ça m’énerve.
Un autre, devant la juge d’instruction qui le met en examen, précise : "on a des réflexions de notre hiérarchie sur le nombre de mises à disposition à effectuer (interpeller et présenter des individus, ndlr), j’ai entendu dire des officiers à des collègues : "hé, les gars, vous êtes au chômage ou quoi ?""
Plus tôt, ce policier expérimenté fond en larmes : "tous ces mecs qui se gavent, je ne le supporte pas. Ça fait trente ans que je suis flic, et ça m’énerve. Moi, je me lève tôt, tous les matins pour aller travailler".
En toute fin d’interrogatoire, la magistrate lui reproche d’exercer des méthodes de voyous pour chasser les voyous. Le fonctionnaire répond : "je ne suis pas un voyou. J’ai essayé de bien faire au mieux. J’aurais dû rester planqué dans un bureau".
Au final le juge d’instruction qui a clos le dossier, relève que "les pratiques professionnelles des policiers des trois groupes de la BAC de jour étaient largement dévoyées, tant dans les contrôles réalisés, que dans l’application de la procédure administrative ou pénale (…) la réalisation systématisée d’infractions pénales, allant bien au-delà du laisser-aller professionnel ou d’un manque de rigueur".
Très vite, le ministre de l’Intérieur de l’époque Manuel Valls, décide de dissoudre l’équipe de jour de la BAC Nord. "Il n’y a pas de place pour ceux qui salissent l’uniforme de la police, qui est un honneur pour ceux qui le portent".
Révocations, blâmes et exclusions
Les sanctions disciplinaires tombent. Trois policiers sont révoqués, un est rétrogradé. Des exclusions temporaires et des blâmes sont prononcés.
Maître Dominique Ramirez, défend l’un des quatre policiers qui ont été blâmés pour avoir rapporté du produit stupéfiant au commissariat sans faire de procédure de saisie.
L'avocat dénonce "un coup d’éclat pour faire plaisir au ministre. Cette affaire est partie comme un feu d’artifice et s’est terminée en pétard mouillé".
Comme pour lui donner raison, son client a repris son activité dans un commissariat du Var, "sa hiérarchie s’est rendu compte que c’est un bon professionnel, qu’il fait du bon travail. Chaque année il reçoit des félicitations".
Selon Me Ramirez, l'ancien de la BAC Nord a hâte de pouvoir s’expliquer. L’avocat plaidera la relaxe.
On est passé de la gangrène au rhume des foins.
Me Alain Lhote défend Bruno Carrasco, l’un des policiers mis en cause dans cette affaire, révoqué en 2014.
L'avocat regrette que ce dossier soit jugé près de neuf ans après les faits et dénonce un emballement judiciaire et une communication tonitruante du procureur au début du dossier, pour au final arriver à des qualifications pénales revues à la baisse.
Selon lui, "on est passé de la gangrène au rhume des foins". Il rajoute : "la hiérarchie était parfaitement au courant, elle se défausse en jouant les tartuffe. À la BAC, c’était la culture du chiffre."
Pour le conseil de l’ancien "bacqueux", ce sont des "manquements déontologiques et pas des infractions pénales".
Dès l’ouverture du procès, l’avocat demandera l’audition des sonorisations. Il explique, qu’entre 67 à 70 % d’entre elles sont inexploitables et inaudibles. Il plaidera la relaxe.
L’audience doit s’ouvrir lundi 12 avril pour deux semaines de procès.