"Il y a une réflexion sur le vivre-ensemble marseillais" : avec "Dans la peau", le réalisateur Pascal Tessaud pose un regard d'auteur sur la ville

Le deuxième long-métrage de Pascal Tessaud est entièrement tourné à Marseille avec des techniciens et acteurs locaux. Primé au début du mois de juin au Brooklyn film festival, il est passé aussi par le FIDMarseille 2024.

Dix ans après son premier film, Brooklyn, Pascal Tessaud revient cette année avec un nouveau long métrage avec en toile de fond Marseille. Le fil rouge, c'est une romance contrariée par le statut social des personnages, symbolisée par la fracture géographique des quartiers sud et nord, mêlant aussi un style de danse : le krump.  Primé au Brooklyn film festival, avec un Spirit Awards du meilleur long métrage et présenté au FIDMarseille 2024.

"À la manière de Paul Carpita"

Pascal Tessaud aime raconter la vie, la vraie. Celle qui se déroule sous ses yeux, sans fard ni artifice, comme le réalisateur Ken Loach, qui a préfacé son livre d'entretien, Paul Carpita, cinéaste franc-tireur, coécrit en 2009 avec le réalisateur Paul Carpita.

Paul Carpita a été censuré dans le cinéma français pendant 30 ans pour avoir osé montrer la réalité de la grève des dockers à Marseille durant la guerre d'Indochine. Les bobines ont été saisies par la police durant la projection. Un film tourné entre 1953 et 1955 sans autorisation, caméra épaule et avec des acteurs non-professionnels. "L'inventeur du cinéma néo-réaliste français", selon Pascal Tessaud.

Et ce n'est pas pour rien que le réalisateur s'est penché sur l'œuvre et la carrière de son aîné. Il y trouve ce qu'il recherche dans le cinéma. "Filmer le quotidien de jeunes des quartiers nord de Marseille qui se confrontent aussi à une forme de préjugés, de rejets, parfois du centre-ville, détaille-t-il. Il y a une réflexion sur le vivre-ensemble marseillais."

Pour Pascal Tessaud, il est important de montrer les choses telles qu'elles sont "à la manière de Paul Carpita". "On est nombreux à estimer que la représentation de Marseille dans le cinéma et dans les séries, est trop caricaturale, juge-t-il. Et du coup, les films d'auteur de banlieue ne sont pas financés. On préfère soit des comédies, soit des gros films d'action et les grosses kalachnikovs, mais cette partie de la société française n'a pas le droit d'avoir un cinéma d'auteur complexe".

"D'autres milieux sociaux ont droit d'avoir de la complexité"

Réalisateur autodidacte et engagé, Pascal Tessaud s'est essayé entre ses deux longs-métrages aux documentaires, sur la musique, la danse, à des court métrages. Il a, par le passé, accompagné Hannil Ghilas, réalisateur de Merlich Merlich ce court-métrage Marseillais au grand succès en 2021, produit par l’académie Moovida et Cypher Films, sa société de production.

"D'autres milieux sociaux ont droit d'avoir de la complexité, notamment les milieux bourgeois, et des milieux pauvres n'ont pas le droit à un regard de cinéma d'auteur complexe, soutient-il. C'est pour ça qu'il y a beaucoup de gens qui ont été séduits par le scénario".

Un projet qui remonte à sa jeunesse

Dans ce film choral au budget modeste, des grands noms sont venus apporter leur soutien en participant à leur façon : Soly de l'association B-Vice et Daniel Said ont accompagné l’équipe de tournage à la Cité de la Savine (15ᵉ) pendant quelques jours. Naky Sy Savané, qui joue la mère d'Omar Sy dans la série Netflix Lupin, mais aussi Sygrind Palis, la première assistante de Plus Belle la Vie, Nassim Bouguezzi qui joue dans Pax Massilia, Yasminas Er Rafass de l'association marseillaise de cinéma "Ph'art et balises", Imhotep d'IAM a composé trois sons sur le film, mais aussi Momby de  3ᵉœil, Mohammed Adi comédien de théâtre à Marseille, Daniel Saïd, etc.

"J'ai commencé quand j'avais 19 ans, c'est un projet que je porte depuis très longtemps", précise Pascal Tessaud qui a dans la tête ce film depuis toujours, attendant patiemment le moment pour le faire. Pour caster ses personnages, il est resté un mois avec l'association "Ph'art et balises, "lors d'ateliers, avec beaucoup d'improvisations, c'était ouvert à tout le monde".

"Rendre de la dignité à ces personnes"

D'ailleurs, le réalisateur l'avoue, son scénario originel a évolué grâce à cette immersion. "Ce scénario, je l'ai amélioré au fil des improvisations, en échangeant avec pas mal d'acteurs qui sont d'origine comorienne, puisque la famille de Kaleem (le personnage principal) est comorienne et donc on a affiné avec les codes culturels marseillais des quartiers nord et des Comores pour faire un film en immersion dans une réalité complexe, familiale, sociale et amoureuse", raconte-t-il.

Fils d'un ouvrier chez Renault, Pascal Tessaud a ressenti l'invisibilité d'une certaine couche sociale.

Avec ma famille, j'ai grandi dans des cités et du coup, je suis sensible à la représentation des invisibles, des parias.

Pascal Tessaud

à France 3 Provence-Alpes

"Le personnage de Kaleem est un paria et son histoire va être la reconstruction, sa résilience par la danse et l'amour, décrit le réalisateur. C'est un film sur la reconstruction d'un personnage qui est mis de côté dans la société et donc je suis très sensible à la représentation des invisibles, des invisibilisés".

Son objectif, "c'est de rendre de la dignité à ces personnes qui sont stigmatisées par les politiciens, par les médias, invisibilisés par le film français et du coup, on avait envie de faire autre chose". Un autre regard sensible, complexe sur ces populations, sur ces familles, sur ces jeunes et "montrer aussi le potentiel, l'espoir, la dignité, la solidarité. Il y a un gros message de solidarité dans le film".

De l'espoir et de la solidarité

"Il y a de l'espoir et la danse est un magnifique vecteur de plaisir, de partage, d'échange et de créativité", confie le réalisateur, "on a envie de magnifier ces quartiers par la culture de la danse Krump et montrer tout le talent, tout le potentiel qu'il y a dans ces quartiers et à la fois en tant que comédien, danseurs, etc. Parce que les jeunes sont fantastiques, ils sont vraiment très, très bons".

Le krump, danse de la rébellion

Pascal Tessaud

à France 3 Provence-Alpes

Le Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise (Krump) n'est pas à confondre avec le hip-hop, plus saccadé, plus énergique, une dance de revendication en réponse aux violences policières. Née dans les années 2000 à Los Angeles, cette danse a fait des émules en France où de nombreux talents ont émergés.

Dans son film, Pascal Tessaud, avait à cœur d'imbriquer dans le scénario cette danse. On peut y voir le meilleur krumpeur de Marseille, Mugen, d'origine comorienne. Mais surtout, il y a le vice-champion du monde, double champion d'Europe, Wilfried Blé, dit "Wolf" qui incarne Kaleem, le personnage principal. "C'est un artiste exceptionnel", selon Pascal Tessaud.

"Ce qui est intéressant dans le film, c'est la rencontre entre des cultures urbaines et une culture plus traditionnelle, explique le réalisateur. Il y a un espoir de communication entre les deux mondes. C'est le message du film. C'est la rencontre et le dialogue et comment les uns et les autres vont se bonifier au contact les uns des autres. Je pense que la ville de Marseille a toutes ses facettes et on a envie de faire dialoguer ses cultures qui parfois ne se croisent pas".

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