"Le livre a encore de l'avenir, parce qu'on a su le défendre" : les défis d'une librairie indépendante

A l'occasion de la 26e édition de la fête de la librairie indépendante ce samedi, nous avons donné la parole à Damien Bouticourt, le directeur de la librairie Maupetit à Marseille. Depuis plus d'un siècle, cette véritable institution du livre attend le lecteur en haut de la Canebière.

Ils sont le relais des idées, des passions, des imaginations débordantes. Ce sont les libraires indépendants. Ce samedi 27 avril, la fête de la librairie indépendante est célébrée dans plus de 650 enseignes en France et au Luxembourg. Dans notre région, 53 librairies participent à l'évènement. 

C'est le cas de Maupetit. Cette librairie fondée en 1919 n'a jamais changé d'adresse. Les Marseillais savent où la trouver, en haut de la Canebière, veillée par l'église des Réformés. Damien Bouticourt en est le directeur depuis 2011. Il nous livre sa vision du métier, à la fois fragile et résiliant. 

France 3 Provence-Alpes : Qu'est-ce que la fête de la librairie indépendante ? Et pourquoi y participer ? 

Damien Bouticourt : La première chose dans la fête de la librairie, c'est d'offrir un cadeau à nos clients : un livre et une rose. C'est les remercier de leur présence, car sans eux, on n'est plus grand-chose.

Ensuite, c'est se poser la question : quels moyens se donner pour rester indépendant ? Pour cela, il faut que les clients nous soutiennent. Et en France, on a le plus fort maillage de librairies, avec 3 500 points de vente.

Il y a aussi le prix unique du livre. Tout le monde nous l'envie parce que ça a sauvé les libraires. Donc, il y a une vraie spécificité française en ce qui concerne la vente des livres. 

Pour autant, la librairie est toujours menacée par les majors de l’e-commerce ? 

Effectivement, il y a de la sécurité, mais c'est fragile parce qu'il y a d'autres acteurs, d'autres canaux de distribution.

Mais la librairie indépendante, c'est la librairie du centre-ville où vous allez quand vous voulez acheter un livre après en avoir discuté ou après l'avoir vu.

Quand vous venez à la librairie Maupetit, vous voyez les livres. Quand vous êtes sur Internet, vous ne les voyez pas, vous ne les feuilletez pas et vous n'avez de conseil de personne. C'est quand même la grosse différence.

Notre spécificité, c'est notre relation à notre clientèle, aux gens qu'on connaît depuis très longtemps et ceux qu'on ne connaît pas, mais dont on devine les goûts de lecture et qu'on sait conseiller. 

Vous êtes l'une des plus importantes librairies de Marseille en termes de références, environ 65 000. Ce n'est pas difficile de garder ce lien avec la clientèle ? 

Les qualités des libraires, c'est la connaissance qu'ils ont de leur assortiment. Ce sont eux qui choisissent l'assortiment qu'il y a dans la librairie. Personne ne nous l'impose et donc les livres qui sont là, ils sont là parce qu'on a décidé qu'ils le soient. Donc, on peut en parler.

Les libraires ont une connaissance des clients qui viennent acheter régulièrement de la littérature, de la bande dessinée, ou des beaux-arts. Certains de nos libraires sont chez Maupetit depuis 10 ans, ou même 30 ans. Donc, ils connaissent bien les clients. 

Et quand vous ne connaissez pas la personne que vous avez en face de vous, vous savez poser des questions, vous savez écouter, reformuler pour soi la demande. 

Maupetit, c'est aussi la librairie la plus ancienne de Marseille. C'est à la fois un héritage, mais est-ce que c'est une responsabilité également ? 

Ernest Maupetit a acheté la librairie en 1919. Mais avant ça, ce lieu était déjà une librairie, fondée vraisemblablement en 1890. Et la librairie a toujours été au même endroit, elle a juste changé d'adresse puisqu'à l'origine la Canebière s'appelait Les allées de Meilhan. 

Effectivement, c'est un héritage, mais il faut le faire vivre, et c'est la responsabilité de directeur. La pression serait de renouveler les assortiments, et ça, c'est le travail des libraires : comment renouveler l'intérêt que les gens vont avoir à venir nous voir ? C'est ça, l'enjeu. 

Il ne faut pas se reposer, parce que sinon, c'est la poussière qui s'incruste. Il faut pouvoir s'adapter, et être à l'écoute des nouvelles tendances. Il y a des rayons qui ont été modifiés, et d'autres qui émergent. 

Par exemple, tout ce qui concerne le féminisme et les questions de genre, ce sont des tendances qui ont émergé très récemment, donc il faut être à l'écoute de tous ces mouvements de société, de ces renouveaux dans la réflexion, dans les interrogations comme dans les nouveaux courants littéraires. 

Et les clients sont au centre de notre activité, parce qu'eux aussi, ils nous en apprennent beaucoup. Le libraire s'enrichit de cette relation humaine.

Ouvrir une librairie aujourd'hui, c'est un pari risqué ?  

Après le Covid, beaucoup de gens ont été tentés de changer de vie, de changer de lieu de vie aussi. Il y a beaucoup de gens qui sont venus s'installer à Marseille, en France en général, il y a eu beaucoup d'ouvertures de librairies, il y a eu des fermetures. Parce que les gens se sont peut-être rendu compte que ce n’était pas ce qui les intéressait ou que c'était difficile. 

Mais si le projet est bien étudié, il y a encore de la place pour les libraires à Marseille. Si quelqu'un veut ouvrir une librairie aujourd'hui, il faut qu'il choisisse l'endroit où il ne va pas mettre en péril des librairies qui existeraient éventuellement. Si c'est trop proche, il faut avoir une zone de chalandise intéressante. Il faut bien être accompagné.

Mais à mon sens, il y a encore de la place pour de la librairie en France. Même en zone rurale, où il y a des expériences de librairies qui fonctionnent très bien. 

Le livre a donc toujours de l'avenir ? 

À mon sens, il a toujours de l'avenir parce qu'on a su le défendre quand il le fallait, notamment avec la loi sur le prix unique. L'édition est un secteur qui est en tension, notamment sur le prix des matières premières, comme le papier et même l'aluminium qui est essentiel pour l'impression de certains types d'ouvrages. 

Donc, c'est un secteur très facilement fragilisé, mais on a souvent su trouver des parades. Et la chose la plus importante, c'est donner envie de lire aux gens et continuer à enrichir cette envie. Et ceux qui ne lisent pas ou qui lisent peu, à savoir leur donner envie. Notamment aux jeunes. 

Vous voyez encore des jeunes dans vos rayons ? 

On en voit beaucoup moins, mais il y en a toujours qui viennent chercher des livres et ça, c'est super. Il y a notamment le dispositif du "Pass Culture" en vigueur depuis trois ans. A leur majorité, les jeunes ont une enveloppe de 300 euros qu'ils peuvent dépenser sur le livre. Ça a favorisé l'entrée des jeunes en librairie. 

Il y a d'autres dispositifs portés par la région. C'est super que les institutions soutiennent notre activité et soutiennent surtout cette découverte ou cette habitude de la lecture. 

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