C’est une proposition qui ne passe pas inaperçue et que Mohamed Bensaada, militant de La France Insoumise, souhaite voir débattue à l’Assemblée Nationale. Pour lui, légaliser le cannabis pourrait endiguer la violence, stopper le fléau des trafics de drogue et diminuer le nombre d’assassinats dans les quartiers nord, à Marseille.
Le candidat battu aux dernières législatives dans la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône y croit encore. Lui qui a grandi dans la cité du parc Corot (13013) et a œuvré toute sa vie pour les quartiers nord de Marseille ne peut pas se résoudre à voir le compteur du nombre de morts grimper en flèche sans agir.
La solution, selon lui, est très simple : légaliser cette plante, responsable de l’apparition du trafic et des règlements de compte. Une proposition de loi menée par les députés insoumis jusqu’à l’Assemblée nationale et qui serait potentiellement générateur de milliards d’euros de recette pour l’État.
Cette mission parlementaire a d'ailleurs fait l'objet d'une consultation massive. "Autour de 250.000 personnes ont été interrogées et on constate que l'opinion comprend les enjeux d'aujourd'hui. On est face à des échecs sanitaire, politique et sécuritaire. Quand on est perdant sur tous les tableaux, il faut réagir et trouver un outil pour sortir le pays et les quartiers de ce marasque" lance Mohamed Bensaada.
Les quartiers nord, foyer des trafics
Le militant marseillais connait bien le terrain : "Les collectifs des familles endeuillées sont plutôt ouverts à ce genre de discussion, il y a eu une réelle évolution de ce côté-là". À force, il finit par se faire son propre constat : la politique de répression du trafic n’apporte aucune solution aux habitants de quartiers. Au contraire, elle accentuerait les inégalités et l’insécurité.
Son association "Quartiers Nord, quartiers forts" (QNQF) voit le jour en 2009. Quatre ans plus tard, il va plus loin en créant le collectif du 1er juin 2013. Un collectif né de l’importante vague de mobilisation, une marche organisée dans la cité des Oliviers (13013), après deux terribles meurtres sur fond de trafic.
Pour donner la parole aux habitants des quartiers populaires, ceux qu’on n'entend pas ou que très rarement, Mohamed Bensaada fonde aussi en 2014 "quartiers populaires de Marseomme". Une expérimentation de la "démocratie directe" avec 24 assemblées rassemblant 30 à 250 personnes, desquelles découlent 101 propositions pour les quartiers nord.
Mais la violence ne désemplit pas.
28 morts depuis le début de l’année 2022 à Marseille, beaucoup trop pour lui. "Et si on continue comme ça, on va finir à Marseille avec une quarantaine d'entre-tués, un record pour cette décennie !" s'affole-t-il. Pour cet homme engagé, la légalisation sociale du cannabis en diminuerait sensiblement le nombre.
"À chaque fois qu'il y a des assassinats, on vient faire des moulinets avec des effectifs de police supplémentaires. Mais comment on les oriente ? Quelles missions on leur confie ? C'est au service des gens, leur fonction primaire, qu'ils doivent revenir. Gérald Darmanin préfère faire la guerre aux drogues alors qu'elle rentre en tonnes de kilos sur notre territoire. J'hésite entre de l'incompétence, la mauvaise foi ou de l'hypocrisie !" s'emporte le militant marseillais.
À Marseille, un point de deal réalise entre 30 et 90.000 euros de chiffre d'affaires par jour
Eddy Sid, du syndicat policier Unité SGP, ne partage pas son avis. "C'est être hors sol, et je pèse mes mots, que de penser qu'une légalisation du cannabis solutionnera les trafics" répond-il.
Si on légalise, la mesure la plus probable du gouvernement en ce sens serait de baisser le taux de THC dans le produit vendu, soit la quantité de narcoleptique qui permet de faire planer le consommateur. Or, le souci, c'est qu'il y a une réelle demande pour se procurer de "la frappe", avec des taux pouvant monter de 15 à 30%. Donc on sait très bien que les narcotrafiquants s'adapteraient pour proposer des stupéfiants encore plus forts.
Eddy Sid, policier
Pour les syndicats de police, c'est une solution inconcevable qui développerait même d'autres filières, une migration vers des drogues dites dures. "Le gramme de cocaïne est aux alentours de 50-60 euros. Avec une offre qui se développe, on pourrait arriver à une drogue qui se disperse sur le territoire et à un prix de facto nivelé vers le bas" explique Eddy Sid.
Aujourd'hui, à Marseille, la principale source de revenu pour les trafics, c'est le cannabis. L'herbe sous toutes ses formes. Le port permet d'avoir des liaisons directes qui facilitent les acheminements. Le Maroc et l'Espagne ne sont guère loin non plus.
"Les sommes sont dantesques. Un point de trafic de stupéfiant brasse de 30 à 90.000 euros par jour. Ce sont même des firmes multinationales ! Il y a peu de temps, nous avons interpellé un narcotrafiquant des quartiers nord au large de la Colombie !" s'exprime le policier, mettant l'accent sur un important réseau difficilement contrôlable.
"On ne peut pas contrôler le cannabis si on ne le légalise pas"
Mohamed Bensaada revient à la charge avec cette idée d'une légalisation sous contrôle de l'Etat pour réguler la consommation.
"En France, on a un vrai problème d'addiction au cannabis. On est les champions d'Europe !" lâche-t-il, d'une voix ferme, face au "bilan calamiteux en terme de santé publique".
Selon l'observatoire français des drogues et des tendances addictives, on estime à 18 millions d'expérimentateurs au cannabis contre 2,1 pour la cocaïne, 1,9 pour la MDMA et l'ecstasy et 500.000 pour l'héroïne.
Cette légalisation du cannabis est déjà mise en application ailleurs. "Au Portugal, en Uruguay ou aux Etats-Unis dans l'Etat du Colorado ou bientôt celui de New-York : le retour sur les statistiques sécuritaires est très bon et même au niveau des rentrées fiscales" ajoute Mohamed Bensaada.
Il y a trois ans, Mohamed Bensaada avait fait une proposition d'amnistie dans le cadre de son association des quartiers nord pour réfléchir à la meilleure manière de légaliser cette plante.
Il y a la question sociale des petites mains : qu'est-ce qu'on fait de tous ces gens ? On les traite tous comme des criminels alors qu'il s'agit de délits ou alors on prend le temps de faire un tri sur ceux qui sont amnistiables ? Il faudrait un moratoire de la pénalisation.
Mohamed Bensaada
Pour lui, il faut prendre en charge le volet social, la question des petites mains. Les dealeurs pourraient se reconvertir dans la production ou le commerce du cannabis de manière, cette fois, totalement légale. Objectif : La tranquillité publique pour les habitants des quartiers populaires.