Un taux d'abstention très haut, une poussée de la gauche unie, un ancrage local de LREM qui n'a pas pris en cinq ans, une tripartition de l'espace politique, voici les grandes leçons à tirer de ce premier tour des législatives, vues par la politologue Christelle Lagier.
Arrivé à quasi égalité au premier tour des élections législatives avec la gauche unie, le camp Macron va devoir batailler pour conserver la majorité absolue à l'issue d'un premier tour marqué par une abstention record.
Les deux camps ont une semaine pour conjurer l'abstention et le désintérêt des Français, qui atteint un nouveau record à 54,29% en Paca, dépassant celui de 2017 (52,95%).
- L'abstention gagne encore du terrain
Ce premier tour est dans la suite des scrutins précédents. On a une abstention supérieure à 2017, mais on était déjà sur une abstention très forte en 2017. Il y a de fortes chances que pour le second tour celle-ci soit encore plus élevée.
Cela dépendra des duels et des dynamiques qui vont se mettre en place. En 1973, l’abstention était de 18% aujourd’hui on dépasse les 50%. On est vraiment dans une configuration où il y a un vrai souci de légitimité, de représentativité des élus.
- L’absentéisme des députés à l’Assemblée Nationale est-elle une des raisons de la désaffection des électeurs ?
Je ne suis pas tout à fait sure que les citoyens soient très au fait de l'activité des députés, que tout le monde les suivent de manière très régulière. Par contre ce qui est sur, c'est que depuis quelques années, on a des campagnes qui tournent beaucoup autour de la personnalisation.
La campagne présidentielle occupe l'essentiel des commentaires électoraux. Les citoyens ont du mal à se mobiliser quand l'enjeu n'est pas présidentiel, quand il n'y a pas quelqu'un qu'ils repèrent dans le champ politique.
Là on est sur une assemblée de 577 députés, c'est beaucoup plus difficile de se positionner, de comprendre à quoi sert cette assemblée, quand on voit que les décisions sont prises aussi par le haut de l'Etat.
- La poussée de NUPES est due à cette personnalisation, avec Jean-Luc Mélenchon, qui appelle à faire de lui un Premier ministre ?
On voit que les résultats de la NUPES sont assez significatifs, sur la région et au plan national, la capitalisation de cette personnalisation. Il sait très bien qu'à un moment donné pour faire se déplacer des électeurs qui ne vont pas aux urnes, il faut qu'ils aient un repère simple.
La stratégie de dire voilà, si vous votez pour ce député, ce sera moi le premier ministre et il faut prendre le bulletin avec le V, le V c'est voter, le V c'est la victoire. Pour des gens qui ne comprennent pas grand chose à la politique, qui ne s'y intéressent pas nécessairement, c'est un repère dans un champ politique de plus en plus confus.
- Le RN en tête dans le Vaucluse, quelle leçon en tirer ?
C'est dans la lignée de la présidentielle mais aussi des résultats des différentes élections depuis maintenant de longues années. Nous sommes sur des territoires qui sont de toutes façons à droite.
Sur le Vaucluse, on est sur un territoire où la droite a toujours été un peu plus à droite qu'ailleurs, donc là elle s'est droitisée.
Mais aussi parce que l'offre des Républicains a disparu et qu'elle s'est recentrée. Les candidats qui se sentaient plus proches d'une droite républicaine un peu plus dure se sont rapprochés du Rassemblement National.
Ce qu'on a pu observer aussi sur une commune comme Avignon par exemple, c'est qu'un certain nombre d'électeurs des Républicains ont fait un détour par Reconquête au premier tour, pour ensuite soutenir le Rassemblement national au second.
C'est un verrou qui a sauté, qui jusque là n'avait pas sauté pour un électorat traditionnel. Positionné sur des valeurs, il peut se retrouver dans le Rassemblement national.
- Il y a donc une nouvelle répartition des forces politiques ?
Il y a une tripartition de l'espace politique. Celle qu'on avait observée lors de la présidentielle, de manière évidente. Avec toutes les difficultés que cela comporte pour la majorité présidentielle.
Il va falloir composer avec une opposition qui ne sera pas forcément majoritaire, mais une opposition qui va être très largement présente et qui va sans doute emmener des débats assez vifs à l'Assemblée nationale parce qu'on a des propositions qui étaient très clivantes, sur la présidentielle.
On a l'impression qu'on a un champ politique qui s'articule aujourd'hui entre une majorité présidentielle de centre droit, une gauche qui représente les catégories les plus populaires et un Rassemblement national qui se solidifie dans la région et sur le plan national sur les territoires sur lesquels il est fort également.
- Est-ce un échec de la majorité présidentielle ?
Emmanuel Macron a été élu Président de la république. Après il a sous-estimé le fait qu'il a été élu avec une abstention assez significative. Il a été élu dans des conditions dans lesquelles il était encore face à Marine Le Pen, mais aussi avec un mouvement qui s'est fait en sa faveur avec un report des voix de de la France Insoumise.
Je pense qu'on a sous-estimé ces éléments là. Et surtout la faiblesse de l'ancrage local de LREM qui n'arrive pas à concrétiser sur ces législatives, les positions de ses députés sortants.
On a vu une vague de députés macronistes arriver en 2017, qui pour certains sont très en difficulté sur cette élection. Donc cela veut dire que l'ancrage régionale ne s'est pas fait.
Le poids de cette formation politique s'est un peu perdu peut-être dans une communication qui s'est faite autour du passage de la majorité présidentielle de la gauche vers la droite. On a un mouvement de centre droit, qui n'était pas celui de 2017 et qui déroute peut-être un peu les électeurs.
C'est aussi la difficulté d'un parti qui est construit autour d'une personnalité, dans une logique nationale, et qui laisse un peu de côté le fait qu'il faut aussi être présents sur les territoires.
Les élections législatives sont des élections un peu entre deux, ce ne sont pas des élections locales, ni des élections nationales mais il faut avoir la possibilité d'être reconnus sur le terrain sur lequel on prétend faire campagne.
Ces députés ont peut-être eu du mal a pratiquer la politique du terrain, le militantisme dans ses formes les plus dures, celles qui consistent à aller chercher les gens. Cela ne suffit pas de faire de la communication politique.
Les responsables politiques vont devoir s'interroger quand même, sur ces campagnes à très court terme, où on essaye de mobiliser des électeurs très éloignés des bureaux de vote.
- Ces changements de noms de partis sont-ils aussi une raison de l'abstention ?
C'est de la communication politique. Si vous changez de noms vous avez l'impression que vous faites du neuf. Mais lorsque vous faites du neuf avec du vieux, parce qu'en fait vous allez récupérer des gens qui sont dans d'autres formations politiques, c'est très problématique.
Dans l'analyse des électorats, on voit que les votes des électeurs continuent de se structurer entre une droite plutôt libérale et favorisée, et une gauche plutôt populaire avec un état interventionniste. Ce sont des choses sur le terrain qui continuent à se voir.
L'analyse du vote Macron à la présidentielle, est un vote de classes, des catégories les plus favorisées, les plus diplômées, dans les territoires les plus riches, c'est une représentation sociale que l'on ne peut pas laisser complétement de côté.