Le mois de mars est le mois dédié au dépistage du cancer colorectal en France. Un cancer qui se guérit bien lorsqu'il est détecté tôt. Entretien avec l'un des créateurs de ce dépistage qui peut sauver des vies.
Chaque année, 17 000 personnes meurent du cancer colorectal en France. C'est le deuxième le plus mortel. C'est aussi le 3ᵉ cancer le plus fréquent chez l'homme, le 2ᵉ, chez la femme. A ce jour, à peine plus d'un tiers des Français se font dépister chaque année, et pourtant, ce cancer détecté à un stade précoce guérit dans 9 cas sur 10. Comme Octobre Rose pour le cancer du sein, le cancer colorectal a son "Mars Bleu", mois de sensibilisation au dépistage. Un dépistage généralisé en 2009 et créé par plusieurs médecins dont le docteur Rémy Sebbah, généraliste à Marseille.
France 3 Provence-Alpes : Pouvez-vous nous expliquer comment a été créé le dépistage du cancer colorectal ?
Dr Rémy Sebbah, médecin généraliste à Marseille : Je suis membre de l'URPS (Union Régionales des Professionnels de santé) médecins libéraux Paca depuis 1990. J’avais été contacté par le professeur Jean-François Seitz, chef du service d’oncologie digestive et hépato gastro-entérologie à la Timone. Avec le docteur Yves Rinaldi, gastro-entérologue, nous avons cheminé ensemble sur la création du dépistage du cancer colorectal sur les personnes âgées de 50 à 74 ans. Notre démarche était la suivante : ne pas s’adresser uniquement aux patients, mais à la population, aux assurés sociaux. S'est adjoint à nous le professeur François Eisinger, médecin à l'institut Paoli-Calmettes.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Il a fallu demander le financement des caisses d'assurance maladie. Il a fallu du temps. Cela a été difficile d’obtenir une rémunération pour les médecins. Mais on l'a obtenue, même minime. C’était une reconnaissance d’une action du médecin généraliste, qui s’est étendue ensuite.
Comment cela a-t-il été reçu par les autres médecins généralistes ?
Nous avons lancé des actions de formations médicales continues. Cela se déroulait le soir, il y avait entre 15 et 20 médecins généralistes qui y participaient. Sur les Bouches-du-Rhône, on a formé 2 500 médecins en trois ans. Nous formions des médecins qui allaient ensuite former d'autres médecins. Cela a été intéressant de faire comprendre que le médecin généraliste était au centre du système. C'était bien accueilli au sein de la profession. Les médecins sont motivés, ça fait plaisir.
Les chiffres du dépistage sont-ils bons ?
Nous sommes montés à un taux de dépistage de 60% mais le Covid a été catastrophique. On a connu une démotivation massive. En 2023, on est retombé autour de 30%. Et les Bouches-du-Rhône sont en queue de peloton alors qu'on est le département qui a lancé ce dépistage !
A l'heure actuelle en Paca, plus de 6 000 dépistages de cancer ont été réalisés en 2023, mais encore malheureusement 1300 décès. Nous ne sommes pas satisfaits.
Y a-t-il un rapport avec la précarité ?
Oui. Pour les populations précaires, il y a un travail énorme à faire. Il faut aller les chercher chez eux, favoriser des rencontres plus personnalisées.
Quels événements sont organisés à l'occasion de Mars Bleu à Marseille ?
Le 10 mars, c'est la 6ᵉ édition de MARSeille Bleu, un événement multisport au parc Borély en soutien au mois de sensibilisation au dépistage du cancer colorectal.
Comment fonctionne le dépistage ?
Les personnes âgées de 50 à 74 ans sont invitées à réaliser tous les deux ans un test de dépistage du cancer colorectal. Le test et son analyse sont pris en charge à 100% par l'Assurance Maladie. Un kit est fourni par le médecin généraliste. Le test est à faire chez soi, puis à envoyer au laboratoire pour être analysé.
En cas de résultat positif, une coloscopie est prescrite afin de détecter la présence éventuelle de lésions.
Quelle est la différence entre dépistage et prévention, selon vous ?
On s’est rendu compte que le dépistage organisé repose sur des notions de guérison possible. La prévention, c'est faire quelque chose pour éviter de devenir malade. Ne pas boire, ne pas fumer, faire du sport... Si on dépiste une lésion bénigne, on peut éviter qu’elle devienne cancéreuse. On vient détecter une lésion préexistante : c'est un test pour savoir si on a du sang dans les selles. Ce n'est pas forcément cancer, mais une lésion qui saigne. C’est de la prévention secondaire. On va dépister un polype. Avec une coloscopie, on retire le polype, on retire la lésion qui peut devenir cancéreuse.
Quels sont les facteurs de risque de ce cancer ?
Une mauvaise alimentation, la consommation de drogues, le tabac, l'alcool, le manque d'activité physique... Parfois ce cancer est héréditaire. Si un polype est détecté lors d'un dépistage, nous demandons à la famille du patient de faire une coloscopie, pour être sûr.
Comment interprétez-vous la réticence de certains patients à se faire dépister ?
Combien de fois mes patients me disent : "J'ai du sang, mais c'est les hémorroïdes". Or ce n'est pas du tout la même chose. Le sang détecté dans les selles lors du dépistage du cancer colorectal n’est pas visible. Certains sont réticents par méconnaissance, par refus de tout examen, par croyance, ils ont peur de leur propre représentation de la maladie. Mais pour changer cela, le mois de sensibilisation est crucial. On n'arrêtera pas.