Parce que le Sida est toujours là, Marseille expérimente un nouveau centre de santé communautaire

AIDES, première association européenne de lutte contre le VIH et les hépatites virales, lance un tout nouveau projet expérimental à Marseille, celui d’un centre de santé sexuelle exclusivement communautaire, pour endiguer le Sida d'ici 2030. Rencontre avec des militants et porteurs du VIH.

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"Dans le salon, il y a souvent des bonbons et des gâteaux pour passer le temps, donc vous voyez on est bien accueilli ici", sourit Bernard, tout juste la soixantaine, des lunettes rondes sur le nez. Il prend à cœur de nous faire visiter des locaux rénovés du spot de Longchamps, en plein centre de Marseille.

"On met toujours un fond de musique pour mettre à l’aise mais aussi respecter la confidentialité. Et pour ceux qui veulent passer incognito, il suffit de déployer ce paravent vitré" complète le militant qui s’improvise guide du jour.  

À l'étage de ce centre de santé : une cuisine, un espace pour s’entretenir et des cabinets pour se faire dépister. Avec, depuis trois semaines, une toute nouvelle machine qui analyse la charge virale (VIH et hépatite C) dans le sang ainsi que la présence de chlamydias sur la bouche, le sexe et l’anus. Le tout pour un résultat au bout d’1h30 seulement.  

Dans le jardin à l’arrière, Camille Spire, présidente de l’association AIDES, fiches entre les mains, prend la parole devant un gratin d’élus et de journalistes : "Le spot, c’est un centre qui propose sur un même lieu, un accompagnement communautaire et une offre de médecine globale." 

Des dépistages, une orientation vers des psychologues, des sexologues, des addictologues... à destination des personnes les plus exposées : les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HSH), les travailleurs-ses du sexe ou encore les personnes transgenres.  

"Les HSH ont 400 fois plus de risques d’être contaminés au VIH que les hétérosexuels car le virus circule plus largement dans la communauté homosexuelle", justifie-t-elle. 

Le spot : un centre communautaire

Ce lieu existe depuis 2016 mais aujourd’hui, la jeune femme se réjouit de la mise en place d’une expérimentation inédite en France, financée par la direction générale de la Santé, pour évaluer si l’approche communautaire est efficace dans la lutte contre le VIH.  

"On le constate déjà aux États-Unis et au Royaume-Uni qui en sont les précurseurs. Pour nous, c’est évident que ça fonctionne. En deux ans, il y a eu une baisse de 40%, des contaminations à Londres. C’est impressionnant, c’est grâce au fait que tout soit au même endroit. Les gens sortent de ce centre avec toutes les réponses à leurs questions."

Avec, en tête, l’objectif 2030 sans sida fixé par l’Onusida, la présidente d’AIDES, Camille Spire se réjouit d’inaugurer les locaux de Marseille, après ceux de Paris, de Montpellier et de Nice. 

"L’exemple de la baisse des contaminations en Île-de-France avant l’épidémie de Covid en est la preuve, les territoires dotés de ces centres voient le nombre de nouvelles découvertes de séropositivité reculer, voire significativement chuter", déclare-t-elle, d’une voix fluette mais affirmée. 

Parmi les offres proposées dans ce centre : une innovation digitale unique en France. Sur le site du spot de Longchamp, il est possible d’envoyer un message anonyme aux partenaires sexuels après avoir été dépisté positif. Si vous avez fait un test et que vous vous rendez compte que vous êtes positif, vous pouvez un message anonyme via le site à vos partenaires sexuels pour qu’ils se fassent dépister.  

Au-delà, le spot de Marseille permet l’accès facilité à la Prep (un traitement préventif qui permet d’éviter des contaminations au VIH), le maintien dans le soin, l’empowerment collectif sur les questions de santé sexuelle à travers des groupes de soutien tels que "Before Chemsex" (destiné à ceux qui consomment des produits pour planer lors des relations sexuelles) ou encore "Goûter de putes"

Bernard, lui, organise le dernier vendredi de chaque mois un "Apéro sérosolidaire". "Chacun apporte quelque chose et on discute de tout, pas seulement du VIH. Sans jugement et ça fait du bien", nous confie-t-il, l’air enjoué.  

"Ce n’est pas honteux d'avoir le VIH, on peut vivre 100 ans avec !" 

Ce fidèle militant depuis les années 90 a toujours été un "gaillard au franc-parler qui relativise beaucoup et qui parle de tout sans tabou". D’entrée, il nous le prouve : "Moi, je suis concerné VIH depuis 1983. Je fais partie des premiers. À l’époque, ils [les médecins] nous disaient qu’on avait une maladie du sang et qu’on était viable deux ans seulement. J’avais 23 ans et je leur ai rétorqué : impossible !"

Après avoir été porteur sain durant 16 ans, son système immunitaire ne répond plus et il connait "une phase Sida" en 1996. "Toutes mes autodéfenses ont dégringolé, j’étais à zéro et je me chopais le moindre rhume, la moindre grippe. Et j’avais une tache violette là", nous dit-il en indiquant le centre de sa paume de main. "Je me suis dit que je m’étais brûlé, mais au bout d’un an je suis allé voir mon médecin et il m’a dit que c’était un Kaposi. Autrement dit, un cancer de la peau dû à ma descente des lymphocytes T4".  

Bernard fait donc de la chimiothérapie pendant plusieurs mois et connait les premières trithérapies : "C’était un traitement très lourd, à prendre toutes les quatre heures, ça me faisait maigrir tout en gardant de la graisse autour de la ceinture et derrière le coup. C’était horrible."  

C’est à cette période-là que Bernard découvre AIDES. "Ils m’ont donné des tickets service pour aller faire les courses. Et je me suis dit, si eux peuvent m’aider, moi je peux aussi le faire. Aujourd’hui, je trouve, et des gens me l’ont déjà fait remarquer, que j’ai un rôle historique ! Quand je dis que j’ai le VIH depuis 1983, les gens ne me croient pas. Ils me voient bien portant et toujours à faire le con ! Je leur réponds à chaque fois qu’on n’est pas forcément des grabataires en train de mourir."  

Bernard dénonce la discrimination sérophobe : "Une personne avec le VIH est considérée depuis toujours comme une pestiférée." Avant de regretter le manque de communication à ce sujet : "Il y a une période où le Sida a ramené du fric. Line Renaud, par exemple, en a fait du showbiz. Ça a rapporté des dons à Sidaction, mais depuis, le virus est aux abonnés absents dans les médias. Le 1er décembre, plus personne n’en parle." 

Des actions pour informer le public au VIH  

L’offre globale de prévention et de protection comprend aujourd’hui une unité mobile dont le siège se situe à une centaine de mètres du spot de Longchamps.  

Moussa, 35 ans, nous explique fièrement le rôle qu’il tient depuis neuf mois au sein de cette action. Avec sa camionnette, il sillonne les cités, les squats, les aires d’autoroute, les gares pour aller au contact des gens qui n’ont pas forcément accès aux structures de soin classique et les informer.  

"On fait du repérage dans les endroits où ces publics se regroupent. Par exemple, ici, on rencontre de nombreux migrants et on leur propose du dépistage rapide et de la prévention directe", explique-t-il.  

Cet animateur milite aux côtés d’AIDES depuis 2016 mais s'étonne parfois de la réaction des gens : "Ils passent et nous demandent si on est là pour dépister le Covid", soupire-t-il devant son véhicule floqué AIDES.

L'homme, à la carrure imposante, justifie alors son engagement : "60% des publics qu’on rencontre ignorent que le VIH existe encore, c’est fou. Depuis que la trithérapie existe, les gens pensent que ça a guéri le VIH et qu’il ne se transmet plus. Donc ils ont tendance à l'oublier et c’est pour ça que je me suis dit qu’il n’y avait pas beaucoup de communication publique et qu’il fallait que j’agisse."

Moussa regrette que le gouvernement ne fasse aucune publicité sur le VIH dans les métros, par exemple.  

Un sentiment partagé par Camille Spires, la présidente d'AIDES. "On ne parle pas assez du Sida, surtout après le Covid. L’épidémie peut en cacher une autre, c’était un peu notre mantra l’année dernière. Depuis ces dernières années, il y a un mépris, un éloignement du tissu associatif et des personnes qui sont touchées ou concernées par le virus", regrette-t-elle.  

Elle pointe du doigt la responsabilité de l’Etat : "Il y a deux ans, lors de la conférence de reconstitution du fond mondial, la France avait lancé un signal fort sur l’intérêt porté au VIH et s’était engagée à verser 16 milliards d’euros. Problème, ils n’en ont versé qu’1/3 alors que la dateline, c’est 2022."

En France, chaque année, on compte environ 6.000 contaminations au VIH supplémentaires, avec une légère baisse entre 2018 et 2019. "C’est la première fois que ça arrivait", lance Camille Spires, pleine d’espoir.

Sur les 165.000 personnes porteuses du VIH dans le pays, on estime cependant à 25% d’entre eux qui ignorent l’être, selon la présidente d’AIDES.  

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