Avec sa vidéo "24 heures dans la vie d’un guetteur", à 17 ans Nordine Idri vient de dépasser les deux millions de vues sur internet. Véritable success-story ou triste réalité des quartiers, on vous raconte le parcours de ce jeune lycéen marseillais.
Il se fait appeler Nono, ou Nonoo13015, comme le nom de l’arrondissement où il passait une bonne partie de ses journées, dans un fauteuil, à guetter les plaques d’immatriculations.
Derrière le "blaze" du youtubeur, se cache un adolescent comme les autres. Nordine Idri a 17 ans. Il est inscrit au lycée Périer dans le 8e arrondissement de Marseille. Loin des barres d’immeubles des quartiers nord, où il a passé pourtant une grande partie de son adolescence.
Sa première petite vie, dès l’âge de 15 ans, il la passe à sécher les cours… Sa mission, Chouf (guetteur) dans une cité marseillaise. Pourquoi ?
"J’avais besoin d’argent. C’est la seule réponse". L’appât du gain, tout simplement.
"Le boulot, c’est que quand la police arrive, tu préviens le vendeur. Tu cries Arah", explique Nono.
"J’arrivais à 10h, je me postais. J’étais à l’affût jusqu’au soir où je prenais ma paye, raconte l’adolescent, 80 à 100 euros par jour. Parfois 200".
Son quotidien de chouf, il le raconte désormais sur Internet. La nouvelle vie de Nordine commence après une partie de jeu vidéo Fortnite. Le jeune gamer est repéré par le groupe d’influenceurs Prism Gang. Il a le physique,une histoire à raconter : 24 heures dans la vie d’un ghetteur est né.
Cité Campagne Lévêque, stups et armes à feu
Une journée de décembre, Nonoo13015 et son équipe vidéo partent à la rencontre des choufs des quartiers nord. Nous sommes à Campagne-Lévêque, dans le 15ème arrondissement de Marseille. C’est l'une des plaques tournantes du trafic de drogue de la cité phocéenne.
"Un lieu connu pour la qualité de son herbe", plaisante l’adolescent face à un "habitué du quartier".
Le visage caché, la voix modifiée pour préserver son anonymat, le guetteur marseillais se confie à l’adolescent.
"Les petits voient les jeunes qui ont un peu de sous. Ça leur plaît, ils veulent avoir la même vie. Quand ils rentrent chez eux et voient le frigo vide, ils disent : je veux donner des sous à ma mère".
Et quand Nordine l’interroge sur la violence dans le quartier : "Notre objectif ce n'est pas de déranger les gens qui vivent ici ou ceux qui viennent. Il y a du respect mutuel, tous ceux qui viennent ici on les accueille comme il faut. Notre objectif, c’est de montrer la qualité de notre herbe", explique le jeune homme.
"On est bien chez nous, mais pas dehors"
Respect mutuel pour certains, mais triste réalité pour d’autres. Et notamment les habitants de ces cités, gangrenées par les réseaux de stupéfiants.
À la cité de la Busserine, dans le 14e arrondissement, les riverains n’osent plus témoigner à visage découvert. Bagarres, intimidations, guerres de territoire… Un quotidien bien éloigné des abords du lycée Périer.
À l’heure où l’on dépose les enfants à l’école, les mamans continuent de s’inquiéter : "Ca se frappe pour un rien. On a peur pour nos enfants, on n’ose pas les laisser sortir, de peur qu’ils prennent un coup, où qu’ils finissent en prison On est bien chez nous, mais pas dehors", témoigne l’une d’elle.
"Il y a des fusillades, il y a des pressions. On ne vient pas à l’école rassuré, il y a des enfants qui ne sont pas rassurés du tout. Et on a l’impression d’être abandonnés par les institutions", se désole une autre mère de famille.
Dans les mémoires, cette balle perdue qui s'est fichée dans la vitre d'une école élémentaire du 13e arrondissement. Des douilles avaient même été retrouvées dans la cour de l'école. Autre quartier, même gangrène.
Ce quotidien, le collectif Pas de quartier pour l’Insécurité le dénonce. Romain Brument, professeur d’histoire géographie et élu en charge des écoles dans les 13e et 14e arrondissement parle lui, de "loi du silence".
"Des jeunes sont victimes d’agression, de racket, et ils se taisent. Les parents aussi ont peur de porter plainte", explique-t-il.
Une violence, devenue banale, grâce à la proximité des écoles et du trafic de drogue : "Les enfants se rendent tous les jours à l’école sous le regard des guetteurs".
"Ni inciter, ni dénoncer"
La vidéo de Nonoo13015 vient de dépasser les 2,2 millions de vues sur YouTube. Un succès, et peut-être aussi une responsabilité, envers ceux qui l’écoutent.
L'ex-chouf rappelle qu'il ne souhaite "ni inciter, ni dénoncer". Pas même lorsqu'il échappe à une fusillade, en tentant de tourner une vidéo à la cité Bassens (14e arrondissement). Ce jour-là, son ami prend une balle dans l'épaule. Il va bien aujourd'hui : "On était au mauvais endroit au mauvais moment".
Nordine Idri veut "simplement montrer la réalité de la vie de guetteur".
Une réalité parfois bien rude, à l’image de la vie de "Cario", interrogé dans la vidéo. Pas bien imposant dans son fauteuil de Chouf, à l’entrée de Campagne-Lévêque. Normal, ce jeune marocain a tout juste 15 ans.
"J’ai quitté le Maroc à 10 ans, je suis allé en Espagne, puis à Paris. Et maintenant je suis à Marseille. J’ai travaillé dans tous les charbons".
L’adolescent n'en dira pas plus sur son passé. Il évoque des "problèmes familiaux". "Je ne veux pas voir ma famille. J’ai 15 ans, mais je me débrouille comme un homme".
Cario veut avancer, ne pas rester guetteur toute sa vie, mais "ici au quartier je n’ai pas le choix. Je n’ai pas une mère pour me faire à manger", raconte-t-il.
"Je ne regrette rien. J’avais faim, et quand tu as faim, tu peux faire n’importe quoi. Pas de tendresse", conclut l’adolescent.
Nordine Idri, lui, a eu le choix. Celui de retourner sur les bancs du lycée Périer. "Avant je séchais les cours pour guetter, maintenant je vais en cours, et le soir je fais des vidéos".
L’année prochaine, c’est le bac. La suite, il l'espère, c’est encore et toujours gagner de l'argent. Mais cette fois, en vivant de son nouveau métier, de sa nouvelle vie de youtubeur.