Raja Madani et Lina Djoudi, deux Marseillaises de 17 ans, ont décroché leur admission à Sciences Po. Une école prestigieuse dont elles ont préparé le concours pendant deux ans. Ensemble, elles iront étudier sur le campus de Menton à la rentrée prochaine. Récit de leur réussite.
"On est là !" : Lina Djoudi jubile au téléphone. Une expression pour marquer sa fierté d'être arrivée quelque part en partant de rien.
La jeune fille de 17 ans est heureuse. Elle vient de réaliser "le rêve de sa vie" en réussissant le concours d'entrée à Sciences Po Paris.
Je me souviens du jour où j'ai rencontré Raja en seconde lors d'une visite organisé par notre proviseur sur le campus de Menton. Je l'ai regardée et je lui ai dit "C'est ça ou rien !"
Nées sous la même étoile
Raja Madani, plus timide, partage la même joie. Ensemble elles ont préparé et décroché leur place dans une des écoles les plus côtées du pays.Toutes les deux enfants des quartiers populaires de Marseille, elles savaient que le chemin n'était pas tracé et qu'il fallait le creuser soi même.
Lina a grandi dans les quartiers Nord avant de déménager et Raja vit encore à côté de Belsunce. Elévées avec leurs frères et soeurs par une mère agent territorial et une autre femme au foyer.
Comme dirait le légendaire groupe de rap marseillais IAM : "Personne ne joue avec les mêmes cartes". Et pour intégrer Sciences Po, il vaut mieux naître avec un as.
Issues de l'immigration algérienne, Lina et Raja ont misé sur le joker pour dévier les statistiques sociologiques : entre 3 et 4 % seulement d'enfants d'ouvriers intégrent les grandes écoles selon l'Insee.
Quand j'étais en troisième, je voulais devenir présidente de la République c'est pour ça que mes professeurs m'ont parlé de Science Po.
Un partenariat ZEP-Sciences Po
C'est grâce à un partenariat entre des lycées classés ZEP et l'Institut d'études politiques parisien qu'elles ont pu être accompagnées jusqu'au concours.Ces conventions CEP ont été initiées en 2001 par feu Richard Descoings, le défunt directeur de Sciences Po Paris, pour diversifier les origines sociales des élèves.
Loin de faire l'unanimité, cette nouvelle procédure - qui se base sur la préparation d'un dossier de presse à présenter devant deux jurys différents - était accusée d'abaisser le niveau.
Et pourtant au total, 19 ans après, 2.094 étudiants ont intégré Sciences Po via cette procédure avec trois quarts de boursiers.
Raja et Lina, bachelières mention très bien du lycée Victor Hugo de Marseille, grossissent les rangs. Pour la directrice de l'établissement, c'est une grande fierté :
Pour elle mais aussi pour le corps enseignant c'est une preuve que les efforts en valent le coup. Leur réussite permet au lycée mal classé de rayonner.
Une préparation intellectuelle et mentale
Isabelle Lagadec l'affirme : "Souvent le meilleur lycée de la région n'est pas le meilleur lycée pour soi". Ce dispositif d'accompagnement, elles ne l'auraient peut-être pas trouvé ailleurs.Ils étaient quatre élèves à préparer le concours, guidés par les enseignants dans l'élaboration du dossier de presse. Le président de l'OM et professeur à Sciences Po, Jacques-Henri Eyraud, a aussi apporté son aide.
Face à des phases de démotivation, les professeurs se sont parfois transformés en coachs.
Surtout pendant le confinement : "J'étais découragée de suivre un cours sur le Moyen-Orient qui m'intéressait via Zoom", explique Raja.
Quant à Lina, des problèmes de connexion chez elle l'ont forcée à passer l'épreuve orale depuis l'ordinateur de sa directrice dans son logement de fonction.
Les deux brillantes amies, passionnées de géopolitique et rêvant de diplomatie, poursuivront leur route ensemble dans le campus spécialisé sur le monde arabe de Sciences Po.
Prêtes à affronter les difficultés financières, elles cherchent un appartement en colocation. "Je suis prête à dormir dans une tente s'il le faut", rigole Lina.
"On a fait le plus dur, on entre dans une grande école donc peu importe où on dort, il va falloir beaucoup travailler", renchérit Raja.