Marseille accueille jusqu'à samedi soir le congrès de l'association nationale des visiteurs de prison (ANVP). En Paca-Corse, ils sont une centaine à intervenir dans sept établissements. Tous bénévoles.
Brigitte a mûri longuement son engagement. Le professeure de collège a attendu la retraite pour devenir visiteuse de prison, elle s'y consacre depuis deux ans et demi.
"J'ai assisté à une conférence d'un visiteur de prison, un ancien directeur d'école, qui est venu en parler aux élèves, c'était il y a au moins 25 ans, c'est resté dans ma tête. Et quand j'ai été à la retraite, je ne voulais pas rester inactive, ça s'est imposé", explique la sexagénaire.
Brigitte se rend au parloir une fois tous les quinze jours. "Ça ne m'a jamais fait peur, je visite deux hommes, je les vois une heure chacun", raconte la visiteuse qui s'apprête à accompagner deux nouveaux détenus.
Dans cette pièce exigüe, Brigitte parle avec son interlocuteur de la famille, de la santé, de sport, de cinéma, ou de ce qui se passe au-dehors de ces quatre murs.
Dans l'échange, il y a parfois des moments "magiques", de forte émotion partagés, comme quand ce détenu a versé des larmes en parlant de l'Ukraine. "Qu'est ce que ça a remué chez lui, je ne sais pas, je lui ai donné un mouchoir, il s'est excusé, je lui ai dit qu'il ne fallait pas et on a parlé d'autre chose".
Une fenêtre sur l'extérieur
"Un parloir, c'est une rencontre, c'est un espace de confidentialité, de confiance mutuelle." Ce lien qui se noue en détention, Brigitte aurait bien du mal à la qualifier. "C'est subtil, mais c'est vrai que ce n'est pas de l'amitié".
"On est là pour les écouter surtout", dit-elle simplement, s'étonnant même de la facilité avec laquelle elle noue cette relation avec ces inconnus.
"A chaque fois, quand que je sors d'une détention, je me dis toujours que j'ai passé un très bon moment, et c'est quelque chose qui est difficile à partager quand on n'a pas cette expérience-là".
Avec leur accord, Brigitte les appelle par leur prénom. "On est là pour leur apporter un petit peu de la vie à l'extérieur (...) On ne les réduit pas à leur acte, on est là pour voir en eux ce qu'il a derrière un acte tout répréhensible qu'il soit, même s'il y a eu récidive, et pour leur redonner un peu d'estime d'eux-mêmes".
Pendant cinquante minutes que dure un parloir, on essaie de leur faire oublier la situation, c'est une petite évasion, une petite fenêtre ouverte.
Brigitte, visiteuse de prison
Ce n'est pas le visiteur de prison qui choisit le détenu, ni l'inverse. "Quand la personne a un profil un peu difficile, quand c'est un criminel, ou des gens qui ont parcours de vie un peu cassé, nous le donnons à quelqu'un qui a un peu plus d'expérience", explique Jean-Laurent Bracq, délégué interrégional de l'ANVP Paca-Corse.
La plupart du temps, la demande vient du détenu ou du service pénitentiaire qui identifie un individu isolé ou fragile, parfois à tendance suicidaire.
Ni ami, ni assistante sociale
Etre là, tout simplement, en faisant abstraction de ce qui les a conduit derrière les barreaux, n'est cependant pas une chose facile.
"0n ne juge pas, on n'est pas là pour ça, on écoute, on est dans l'empathie et la bienveillance, ça ne veut pas dire qu'on cautionne ce qui a été fait? que ce soit le voLeur à la tire ou le criminel de sang, rappelle Jean-Laurent Bracq, on est là pour les écouter et les aider à se réinsérer".
A un moment donné, ils seront dehors et ils se souviendront que quelqu'un leur a tendu la main au sein de la détention.
Jean-Laurent Bracq, délégué ANVP Paca-Corse
Le visiteur de prison n'est pas informé du parcours du détenu. " Mais la plupart du temps, il nous en parle au bout de la première ou de la deuxième entrevue", note Jean-Laurent Bracq, lui-même visiteur de prison depuis 10 ans. "Il m'est arrivé de suivre un jeune pendant deux ans et demi, il ne m'a jamais avoué ce qu'il avait fait et je ne lui jamais demandé".
Formés à l'écoute
Dans la délégation sud de l'ANVP, qui couvre les régions Paca et Corse, ils sont 108 visiteurs de prison à se rendre dans sept des neuf établissements de la zone. Tous sont bénévoles, la plupart retraités.
"Ce sont des catégories sociales professionnelles supérieures qui ont une certaine qualité de vie et qui peuvent donner au minimum une demi-journée ou une journée par semaine pour leur visite, indique Jean-Laurent Bracq, la moyenne d'âge est de 66 ans".
Pour devenir visiteur de prison, il faut remplir certaines conditions. "Ne pas avoir de casier judiciaire, c'est déjà un point important, ensuite on reçoit le candidat à deux, on essaie de déterminer ses motivations profondes", indique Jean-Laurent Bracq.
Les bénévoles sont formés et guidés dans leurs premiers pas en prison. "On leur explique comment se présenter et quelles sont les règles à appliquer en détention, souligne-t-il également . Ils sont systématiquement accompagnés dans un premier temps par un visiteur d'expérience, Ils sont en retrait, ils écoutent, une fois ou deux selon leur volonté, ensuite c'est eux qui prennent une personne et le superviseur est derrière et fait un débriefing à la fin en lui disant "tu t'es trop livré" ou " là, tu aurais pu poser telle et telle question, etc."
La difficulté est bien souvent de trouver sa juste place, pour garder la bonne distance avec le détenu. "Certains visiteurs ou visiteuses peuvent tomber dans une empathie un peu trop forte et on les prévient bien dans les formations initiales que c'est impossible, ce n'est pas permis".
L'ANVP résume cette règle dans un slogan : "Rien ne sort, rien ne rentre". "Même pas une cigarette, même pas un stylo bille, même pas une enveloppe ou un timbre", insiste le responsable associatif.
Les réunions de section permettent régulièrement aux visiteurs de discuter entre eux des difficultés ou problèmes qu'ils rencontrent.
La crise sanitaire avec ses restrictions a fortement impacté l'activité de l'association. "Nous avons perdu dans certaines sections plus de la moitié de nos visiteurs et visiteuses", précise le délégué interrrégional qui lance un appel aux bonnes volontés.
Certaines sections manquent cruellement de bénévoles, c'est le cas à Nice, Salon-de-Provence et Avignon.
De nouveaux besoins en milieu ouvert
Les bénévoles de l'ANVP ne font pas que pousser les portes des prisons. Depuis quelques années, l'association développe par ailleurs l'accompagnement des détenus en milieu ouvert.
"Nous recherchons beaucoup de bénévoles qui peut-être ne désirent pas entrer en prison mais qui souhaitent suivre des personnes avec des peines alternatives", explique Jean-Laurent Bracq, mais on a du mal à recruter".
"On en a 3 sur Aix, 2 sur Avignon, on est en cours de mise en place mais on voudrait renforcer ces équipes, on pourrait avoir 5 à 10 personnes par section".
En France, 70.000 détenus sont en prison, 165.000 bénéficient d'une peine alternative ou d'une liberté conditionnelle ou sous bracelet électronique à domicile.
"Parmi ces personnes, il y en a aussi qui sont isolées, qui n'ont pas de famille, et c'est important de les suivre, on est là pour les aider et lui permettre de retrouver des liens sociaux", souligne Jean-Laurent Bracq. Les rencontres se font alors dans des lieux publics ou chez la personne suivie.
On ne remplace pas l'assistante sociale, on est juste le bras qui accompagne, comme pour aider une vieille dame, c'est vraiment notre rôle.
Jean-Laurent Bracq, délégué ANVP Paca-Corse
En France, 1.200 visiteurs interviennent dans 178 établissements , ce qui représente 95 % et plus 9.000 personnes accompagnées.