"On m'a dit : tu n'as plus le droit de regarder ton sexe dans le miroir" : victime d'excision à 8 ans, Aouda raconte son combat

La jeune femme originaire de Guinée a choisi de raconter son histoire afin de dénoncer une pratique répandue dans son pays mais qui est aussi présente en France.

C'est un récit dur, mais qu'elle tient à faire afin que ce qu'elle a vécu ne se reproduise pas chez d'autres petites filles. Aouda, originaire de Guinée, âgée de 23 ans, mène son combat contre l'excision dans son pays, mais aussi en Occident.

A l'occasion de l'exposition immersive 24 h de la vie d'une femme à Marseille, au Docks des Suds, France 3 Provence-Alpes a pu la rencontrer pour qu'elle raconte son combat contre cette pratique. Son récit commence à 8 ans. Ses parents l'envoient en vacances chez sa tante. Le lendemain de son arrivée, la jeune fille est emmenée chez une "vieille dame".

Allongée sur une petite table en bois dans le salon, les jambes écartées, la femme, qui ne fait pas partie de sa famille, lui retire son clitoris. Sans anesthésie. "C'était hyper dur à mon âge. J'ai crié, j'ai pleuré", confie Aouda à France 3 Provence-Alpes. "On m'a dit : tu n'as plus le droit de regarder ton sexe dans le miroir, ni de le toucher. Tu es une femme maintenant."

La douleur

Seul un petit bout de tissu de pagne lui a été donné à la sortie. Elle devait compresser ses parties génitales pour bloquer son hémorragie. "J'ai perdu énormément de sang. J'ai dû garder ce tissu pendant un mois."

La douleur, c'est ce qu'elle ressent depuis. Elle ne s'est pas arrêtée à ses 8 ans, mais se poursuit encore aujourd'hui. "J'ai sans cesse des infections urinaires. J'ai mal aussi au niveau des lèvres", poursuit Aouda.

La jeune militante a donné naissance il y a un mois. Elle n'a pas eu d'autres choix que d'accoucher par césarienne, son col n'étant pas accessible.

La colère 

"Colère, rage", c'est ce qu'a ressenti Aouda contre ses parents. Elle leur en a voulu de la laisser affronter cette épreuve seule, entourée d'inconnus pendant sa convalescence d'un mois. 

Depuis qu'elle mène cette bataille, ses parents, et notamment son père, la soutiennent. "Mes deux sœurs n'ont pas eu à subir l'excision. Je pense qu'ils ont compris mon combat. Ma mère a juste eu peur d'être pointée du doigt. "

"Si les traditions nuisent à ta santé, il faut les arrêter."

Aouda, militante contre l'excision

La Guinée est le deuxième pays au monde à pratiquer le plus l'excision, après la Somalie. 96 % des femmes la subissent. Une "tradition" pour certaines familles. En 2016, le pourcentage était de 98 %. Cette baisse n'est pas une victoire pour Aouda, loin de là. "Je ne suis pas fière qu'il y ait seulement 2 % de moins de jeunes filles qui se font exciser." 

Pour elle, cette tradition ne doit plus faire partie du paysage guinéen. "Si les traditions nuisent à ta santé, il faut les arrêter", clame la militante.

Le combat de sa vie

C'est à partir de 12 ans qu'elle a commencé à militer en Guinée contre l'excision, mais aussi contre les mariages forcés qui sévissent dans la région. "J'ai milité pour que les jeunes filles refusent ce qu'on leur imposait."

En 2016, elle créé son association dans son pays natal, en Guinée. Aouda l'a nommée le Club des jeunes filles leaders de Guinée. Au début, elles étaient seulement huit, "nous n'avions pas le droit d'en parler", ni de faire de la publicité sur l'organisme. Aujourd'hui, l'association réunit plus de 500 jeunes filles sur tout le territoire.

La jeune maman sensibilise les enfants et adultes dans les écoles guinéennes, mais aussi dans le quartier. Elle leur laisse son numéro. Aouda fait aussi appel à la police lorsqu'elle a écho qu'une jeune fille a subi une excision, pénalement répréhensible depuis plus de vingt ans.

Une mobilisation générale 

"Je fais appel à tout à chacun de s'impliquer." Pour la jeune Guinéenne, il faut que tout le monde participe à cette lutte. À commencer par les leaders religieux. "Ils sont très écoutés" par la population. 

Elle souhaite également que les acteurs politiques fassent leur part du travail. "C'est bien beau d'écrire des conventions internationales et d'inscrire l'interdiction de l'excision dans le droit pénal, mais il faut vraiment l'appliquer." Aouda dénonce "l'hypocrisie" des politiques qui ne font pas de ce sujet une priorité dans leur mandat, "par peur de perdre leurs électeurs". La militante est effarée de constater que seulement 1 % du budget national est consacré au droit des femmes.

La France concernée

L'activiste prévient : il n'y a pas que la Guinée qui est touchée par ce phénomène, la France aussi. "Il y a des enfants qui sont nés en France et qui sont emmenés là-bas pour se faire exciser", notamment pendant les vacances scolaires.

Aouda explique que l'hôpital peut être amené à faire des contrôles sur les jeunes filles et vérifier que le clitoris n'a pas été touché. En France, cet acte est répréhensible par le droit pénal. L'auteur d'une mutilation et le responsable de l'enfant mutilé peuvent être "poursuivis pour des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente qui sont punies de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende", d'après le gouvernement.

L'exposition ouvre ses portes à Marseille

Il n'y a donc rien d'anodin de parler d'excision à travers une exposition française. Cécile Delalande, directrice artistique et auteure du projet, a commencé à y réfléchir au moment du confinement, en 2020.

L'objectif : "Sensibiliser le grand public à la problématique des droits des femmes, victimes des plus graves injustices à travers le monde." Six femmes ont été choisies pour évoquer l'excision, mais aussi les violences conjugales, l'immigration ou encore le patriarcat.

"Le but était de montrer des femmes pionnières qui sont des militantes, qui ont toutes dû subir un moment difficile dans leurs parcours de vie", explique Cécile Delalande.

Immersion par l'image et le son, participation de comédiens, l'auteure voulait que les visiteurs se "mettent dans la peau des personnages".

Article publié une première fois en avril 2023

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