Le tribunal correctionnel de Marseille a examiné mercredi les faits de trafic d’influence et de blanchiment en lien avec la vente de la Somedis. Une société gérée en sous-main par Alexandre Guerini, et vendu à une filiale du groupe Veolia dirigée à l’époque par Henri Proglio.
Debout à la barre, Alexandre Guerini, en tenue plus décontractée que la veille a troqué ses chaussures de cuir à boucles pour des baskets bleues.
A la reprise de l’audience, la présidente retrace sa carrière d’entrepreneur. Elle commence par la société Rodillat créée en 1982 avec pour co-actionnaire Jean Gaben, une figure du quartier du panier à Marseille. Ce même Jean Gaben serait décédé quelques années après sa dernière incarcération en 1996, pour recel de malfaiteur. Par la suite, c’est la mère des frères Guerini qui prendra la moitié des parts de la société.
Sept ans plus tard, elle est revendue à la compagnie Générale des Eaux dirigée à l’époque par Henri Proglio. Alexandre Guerini donne les détails de la vente : "Je l’ai vendue à un homme Henri Proglio pas à une société (...) l’affaire a été conclue en cinq minutes. La Lyonnaise m’a proposé, un prix plus important. J’ai refusé, parce que je m’étais engagé avec Mr. Proglio, on s’était serré la main".
La présidente Ballerini, souligne que Rodillat avait beaucoup de marchés avec l’Opac Sud devenu 13 Habitat, (l’office HLM du département des Bouches du Rhône), présidé dans les années 80 par Jean-Noël Guerini. La magistrate interroge le chef d’entreprise : "Vous avez eu beaucoup de marchés avec l’Opac ?"
"Quand mon frère est devenu président, j’ai cessé mon activité avec l’Opac (en 1987, ndlr)", répond l'interessé.
"Pourtant vous avez eu encore des activités", reprend la présidente, citant le témoignage d’un chef d’agence de l’Opac Sud "incité" à recourir aux services de Rodillat à l’exclusion de toutes autres entreprises. C’était en 1991. Jean-Noël Guerini a présidé l’office HLM départemental de 1987 à 1998.
La décharge de la Vautubière
Les questions fusent sur l’exploitation de cette décharge pour le compte de l’agglomération salonaise Somedis, à la Fare les Oliviers. Alexandre Guerini se défend pied à pied. Selon la présidente le chef d’entreprise répond souvent à côté des questions.
Le débat technique porte principalement sur les cubages de la décharge, les autorisations administratives, les travaux de mise en conformité, les délégations de service public et la gestion de l’entreprise.
En apparence, ce n’est pas Alexandre Guerini qui dirige la société mais Jean-Pierre Rey. Un assesseur de la présidente Ballerini demande : "A quoi sert Monsieur Rey ? Vous êtes actionnaire à 90 %. Il est le porteur des parts et c’est vous qui dirigez la boîte. Vous êtes partout. Vous n’êtes pas l’arlésienne, vous êtes toujours là !".
Alexandre Guerini, répond que "Jean-Pierre Rey, n’a jamais été un homme de paille".
Puis, le tribunal entre dans le vif du sujet : la vente de la Somedis et de Sma (Sud Marseille Assainissement) l’autre société d’Alexandre Guerini.
"Tout se vend dans la vie"
"Aviez-vous la volonté de vendre la société et pourquoi ?", interroge la présidente.
"Parce que le site est magnifique des sociétés sont intéressées. Les travaux sont terminés. Tout se vend dans la vie. On n’est pas nombreux dans le métier, tout se sait. Je ne pouvais vendre qu’à Monsieur Proglio", détaille Alexandre Guerini.
La présidente, qui connait parfaitement le dossier, évoque un protocole d’accord de vente en 2000 entre la Somedis et Silim environnement, une filiale de la Société des eaux de Marseille, la SEM (à l’époque la SEM était détenue à la fois par la Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux, ndlr) pour un prix fixe de 118 millions de francs, soit 17 millions d’euros.
Un prix variable soumis à l’obtention d’arrêtés préfectoraux, permettant notamment d’augmenter le tonnage annuel de traitement des déchets. La magistrate demande au cadet des frères Guerini pourquoi ce protocole d’accord, le prévenu répond à côté de la question.
"Monsieur Guerini, il faut écouter le tribunal et qu’il comprenne ce que vous lui dites. Vous devriez comprendre que c’est nous qui avons la décision finale et pour que nous puissions vous juger de manière convenable, nous avons besoin de prendre la bonne décision", s'gace la juge.
De la charcuterie corse pour sceller les amitiés
En parallèle Alexandre Guerini négocie le rachat de la Somedis avec Veolia. La présidente Ballerini indique que c’est Bruno Vincent qui est chargé par Veolia du suivi du protocole et exprime ses doutes de voir Monsieur Proglio mener les pourparlers pour le rachat de l’entreprise.
"Il avait peut-être d’autres préoccupations", avance la magistrate. Alexandre Guerini toujours droit à la barre, depuis plusieurs heures, l'assure : "J’ai négocié avec Monsieur Proglio".
La présidente lit l’audition d’Henri Proglio au sujet des relations qu’il entretient avec Alexandre Guerini : "Dans les années 70, j’ai rencontré Jean-Noël qui m’a présenté son frère Alexandre (...) depuis cette date, j’entretiens avec Alexandre Guerini une relation d’amitié que je qualifie de distante. Je sais qu’une fois par an, il m’envoyait de la charcuterie corse (...).
La vente est réalisée le 13 décembre 2000, pour plus de 33 millions d’euros. Une partie fixe de 6,8 millions d'euros et une partie variable, fixée à 26,5 millions d'euros. Alexandre Guerini empoche 90 % de la somme.
Bruno Vincent, le négociateur
A la barre, Alexandre Guérini, qui a touché 21,5 millions d'euros au Luxembourg sur cette vente, a contesté les propos de Bruno Vincent, lui aussi poursuivi mais
absent à l'audience. L'homme a reconnu avoir perçu une commission occulte pour avoir obtenu une majoration d'environ 10 % du prix de vente pour chaque mètre cube supplémentaire obtenu.
"Bruno Vincent se serait laissé soudoyer pour désavantager sa société au profit de la vôtre", interroge la présidente au sujet du négociateur.
La réponse d’Alexandre Guerini est louvoyante et imprécise. Madame Ballerini s’agace à nouveau : "Monsieur Guerini, vous ne répondez pas à mes questions, à force de prendre des virages, il y a un moment où on perd le contrôle du véhicule. Bruno Vincent va recevoir de l’argent d’un de vos comptes, sur le sien. Ce serait une récompense de l’avantage qu’il vous aurait donné ? Il y aurait quelque chose de contraire aux avantages de sa société. (Veolia. ndlr) Qu’est-ce que c’est que cet argent ?"
- "Il m’a demandé de lui prêter de l’argent 107.000 et 100.000 euros", répond Alexandre Guerini.
- "Pourquoi d’un compte au Luxembourg ? Vous avez fait un écrit ?"
- "Non".
- "Il vous a remboursé ? C’est quelqu’un de proche ?"
- "Non, jamais !"
- Un assesseur : "Il a besoin de 200;000 euros, c’est vous qui lui prêtez en toute discrétion et sans aucun écrit. Vous dites qu’il n’a jamais remboursé. C’est quand même un peu étrange, que ce soit la personne qui a mené les négociations de la vente".
- "Cette somme n’a rien à voir avec le fait que j’ai vendu. Je lui ai prêté de l’argent en 2003", répond Alexandre Guerini.
- "Si vous lui prêtez de l’argent non remboursé, sans envoyer les huissiers, ça pose question !"
Pendant que son frère se trouve sur la sellette, face aux questions insistantes des juges, Jean-Noël Guerini, reste assis, impassible.
Pour ces faits, Alexandre Guerini est soupçonné de trafic d’influence passif commis par un particulier, de blanchiment et d’abus de biens sociaux. Il encourt au maximum sept ans de prison.
Bruno Vincent est lui soupçonné d’abus de biens sociaux et de recel de trafic d’influence. Il encourt sept ans de prison.
Jeudi 18 mars, Jeannie Peretti, compagne d’Alexandre Guerini, est attendue devant la justice qui lui reproche, un abus de biens sociaux. Elle aurait bénéficié d’un emploi fictif dans les entreprises de son compagnon, SMA Environnement et Vautubière.