Récit. L'histoire incroyable de la découverte de l'épave de l'avion d'Antoine de Saint-Exupéry à Marseille

Le 27 mai 2000, le plongeur marseillais Luc Vanrell annonce avoir localisé l’épave de l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry au large de Marseille, 55 ans après la disparition de l’écrivain français. Retour sur la folle épopée qui a mené à cette découverte historique.

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C’est l’histoire d’une gourmette, d’une épave près des côtes marseillaises et d’un archéologue passionné. Mais c'est d’abord l’histoire d’un mystère.

Le 31 juillet 1944, le célèbre écrivain, journaliste et pilote français Antoine de Saint-Exupéry s’envole depuis Bastia Poretta à bord du F-5B-1-LO, un avion de chasse P-38 Lightning. Sa mission : effectuer une série de reconnaissances photographiques pour tracer les cartes du sud du pays avant le prochain débarquement en Provence.

Il ne reviendra jamais. Porté disparu, Antoine de Saint-Exupéry est reconnu "mort pour la France" en 1948. 

Découverte de la gourmette de Saint-Exupéry

Les recherches de son avion font chou-blanc jusqu'à ce qu'un pêcheur qui ne cherchait pas du tout à élucider le mystère de la mort de Saint-Exupéry fasse avancer l'enquête.

Le 7 septembre 1998, Jean-Claude Bianco, un patron pêcheur marseillais de 54 ans bien connu remonte fortuitement dans sa pêche un objet brillant. Il s'agit en fait d'une gourmette gravée au nom d’Antoine de Saint-Exupéry. 

Cette découverte arrive jusqu’aux oreilles de Luc Vanrell, archéologue, plongeur photographe et explorateur sous-marin de 39 ans à l'époque. Il travaille sur la grotte Cosquer depuis plusieurs années.

L’info l’interpelle. Il a l’habitude de voir le chalutier de Jean-Claude Bianco du côté de l’île du Riou, en face de la grotte Cosquer. Luc Vanrell a déjà essayé d’identifier des vestiges d’avion en 1989 dans cette zone profonde de 87 mètres.

Il s'inquiète. Les chalutiers pourraient sérieusement endommager des vestiges, surtout une frêle épave d’avion. Et quand les pêcheurs remontent de la ferraille, elle est souvent rejetée dans la fosse de Cassidaigne, au large de Port-Miou et perdue à plus de 300 mètres de fond.

A cette époque, "les vestiges de la Seconde Guerre mondiale n’intéressent personne", se souvient Luc Vanrell. Trop récente, elle ne fait pas encore partie du patrimoine. Mais la gourmette fait exception. "Si ça n’avait pas été Saint-Ex, les vestiges de la Seconde Guerre mondiale seraient peut-être encore considérés comme de la ferraille", poursuit l’archéologue. 

La "chasse au trésor" de la Comex

L’affaire reste d’abord secrète. Le pêcheur marseillais Jean-Claude ne réalise sans doute pas tout de suite l’importance de cette découverte. Mais il comprend rapidement que cela peut lui apporter de l’argent.

Au lieu de déclarer officiellement la gourmette aux affaires maritimes, il trouve Henri-Germain Delauze, alors PDG de la société Comex, spécialisée dans l’ingénierie et le monde sous-marin. Ce dernier "passe son temps libre à la chasse aux trésors", brosse Luc Vanrell.

Delauze décide de ne pas révéler la découverte de la gourmette, mais de commencer par retrouver l’épave et de tout déclarer ensuite. Flanqué du meilleur matériel de recherche qui existe à l’époque, sonars, sous-marin et autres robots filoguidés, l’équipe de Delauze cherche. Mais ne trouve rien.

Pour Luc Vanrell, cela tient d’une mauvaise stratégie de recherche "un peu chaotique". "C’était son intuition qui guidait les recherches. Pour lui, c’était de la détente, un loisir. Il parfait un peu le nez dans le vent".

La faute également à un équipement de recherche dernier cri, tout juste au point, trop récent et "trop" performant. Les opérateurs n’ont pas eu le temps de se familiariser avec, de le maîtriser. 

Mais cela tient surtout à la zone de recherche indiquée par Jean-Claude Bianco. Et pour cause. Ce dernier avait trouvé la gourmette dans une zone de pêche interdite, à moins de 100 mètres de fond. Il ne peut pas révélé le lieu exact pour éviter les répercussions judiciaires. Les recherches de la Comex ratissent donc dans une zone plus profonde, à côté de l'épave.

Les recherches accouchent d’une souris mais Henri-Germain Delauze ne parvient pas à tenir sa langue. Il fait fuiter l’affaire dans les colonnes d’un petit canard régionale économique : la Lettre Sud Info.

L’info arrive alors jusqu’aux oreilles d’Hervé Vaudoit, ex-directeur du service "économie social environnement" à La Provence. L’enquête est lancée par le journal. De son côté, Luc Vanrell est surpris d’apprendre que la Comex fait des recherches dans cette zone sous couvert d’"essais". 

L’affaire de la fausse gourmette

En février 1999, le numéro 977 de Sciences et Vie vient mettre en branle tous les nouveaux espoirs des chercheurs. Le magazine titre sur "L’affaire de la fausse gourmette" et laisse planer un doute sur un possible arrangement dans le but d’un coup médiatique.

Après l’affaire de la grotte Cosquer en 1992, "ça fait beaucoup", se souvient, amer, Luc Vanrell. "Pour moi, il n’y a aucun doute, même si la façon de procéder n’est pas parfaite sur le plan déontologique, je ne vois pas Henri-Germain Delauze faire faire une fausse gourmette".

Jean-Claude Bianco est laminé et l’archéologue qui se dévoue à ses recherches est piqué au vif. "On n’imagine pas ce que ça peut être violent pour les chercheurs", explique-t-il. Il se rend alors à l'évidence : "il faut régler cette affaire correctement".

La photo décisive

L’enquête de Sciences et Vie n’a pas eu qu’un impact négatif. En feuilletant le journal Luc Vanrell aperçoit un élément qui va tout faire basculer.

Sur les photos de l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry publiées par le magazine, le plongeur reconnaît tout de suite des pièces déjà vues sous la mer. Cela remonte aux années 1980, lorsqu’il s’entraînait à intervenir en plongée profonde pour des relevés scientifiques.

Son terrain favori est alors les vestiges, les épaves, "là où on peut admirer des paysages magnifiques". Il ne croyait pas si bien dire. En 1984, il photographie les vestiges d’un avion sur un immense secteur (environ 400 mètres de long sur 100 mètres de large), près de l’île de Riou.

A cette époque, Luc Vanrell est persuadé qu’il s’agit d’une épave allemande. Mais Sciences et Vie assure dans ses colonnes qu’il s’agit d'un avion américain.

Après de nombreuses recherches, l’explorateur conclut qu’il s’agit bien d’un avion américain Lightning conçu pour la Seconde Guerre mondiale. Les vestiges sont "humanisés d'un coup"

Les choses s’enclenchent rapidement. Photos des pièces de l'avion à l’appui, Luc Vanrell prévient dans la foulée Patrick Granjean, conservateur en chef du patrimoine au Drassm. "Va acheter une cravate, on va passer à la télévision", lui répond-il alors.

Une recherche presque à contre-coeur

A l’époque, Luc Vanrell est alors plus emballé par l’apport scientifique de la grotte Cosquer comparé à cette "histoire de ferraille sous la mer". "Cela répond au petit point d’interrogation du lieu de la mort de Saint-Ex, justifie-t-il. Comme le Petit prince, sa disparition lui seyait le mieux, on s'en fichait de l'endroit où il était mort".

Mais l'émotion prend le dessus. Saint-Exupéry se trouve être "une idole" de jeunesse pour Luc Vanrell. "Moi, l’enfant des calanques, je lis à 12 ans Terres des hommes. Mes lectures de Saint-Ex m'ont propulsé sur les routes de l’aventure".

Si l’apport historique semble moindre que pour la grotte Cosquer, l'explorateur en fait une quête personnelle "très émouvante, surtout sous l’eau"

Identification de l'épave

Nous sommes en 1999 et l’archéologue refuse de faire "péter l’affaire" publiquement. Il préfère d’abord identifier l’épave formellement et éviter ainsi une "agitation faramineuse".

L’identification se heurte à un premier problème : plusieurs avions Lightning sont tombés dans ce secteur pendant la guerre. Pour y voir plus clair, Luc Vanrell rentre en contact avec un groupe de vétérans de chasseurs sur le même avion qui le mettent en contact avec des ingénieurs chez le fabricant : Lockheed.

Motivés par l’idée de supprimer un MIA (Missing In Action), un nom sur le mur des disparus de la seconde guerre mondiale, les ingénieurs fournissent toute la doc nécessaire. 

Luc Vanrell en arrive à ces conclusions : sur tous les Lightnings perdus, 12 auraient pu tomber en mer dans le secteur. Sur ces 12, quatre sont une nouvelle génération d'appareil très différente et donc facilement identifiable, notamment sur les photographies de l'épave en question.

Enfin sur les quatre de cette nouvelle génération, on connaît déjà la position de trois. Il n’en manque plus qu’un. Saint-Exupéry. La boucle est bouclée.

La fin du mystère

Luc Vanrell réussit finalement à identifier formellement l’épave grâce à ses caractéristiques techniques. Il en informe Patrick Granjean et fait une prédéclaration. Le 27 mai 2000, celle-ci est officialisée. L’épave d’Antoine de Saint-Exupéry a été retrouvée, 55 ans après sa disparition.

Cette déclaration n'est qu'un début pour Luc Vanrell qui déclare dans la foulée l’existence d'un autre avion dans la même zone, un Messerschmitt Bf 109, chasseur allemand. Il s’attache alors à comprendre que fait cet avion au même endroit.

Au terme d'une autre aventure totalement rocambolesque qu'il raconte dans son ouvrage Saint-Exupéry, révélations sur sa disparition, Luc Vanrell retrouve le pilote allemand qui a abattu Saint-Exupéry, il identifie également le squelette de l'île de Riou.

Bien qu'il ait perdu toutes ses archives papier dans un incendie, Luc Vanrell relate aujourd'hui encore chaque détail de cette épopée, cette "grosse tranche de vie" qui l'a occupé de 1984 à 2005. Et si Jean-Claude Bianco a reçu la Légion d'honneur pour sa gourmette, Luc Vanrell a eu "l'aventure, toutes les exaltations, une histoire formidable, une aventure unique"

Des années de recherches passionnées "sans un euro d'argent public ou privé". Tout seul, puis rejoint par Lino von Gartzen et Philippe Castellano. "On est des enfants de la culture de Saint-Exupéry et il n'y avait que ça qui avait de la valeur"

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