En cette rentrée, étudiants et jeunes travailleurs sont nombreux en quête d'un logement. A Marseille comme dans toutes les grandes villes où la demande est forte, les escroqueries se multiplient via les sites de locations entre particuliers. Victime, une jeune aixoise raconte.
Lucas, 24 ans, n'est pas passé loin de l'arnaque. Après avoir décroché son premier emploi, il s'est mis en recherche d'un petit meublé pas cher à Marseille. Il échange par mails avec des loueurs et plusieurs détails lui mettent la puce à l'oreille.
"J'ai remarqué que les mails étaient toujours sur le même modèle, ils disent qu'ils ne peuvent pas se déplacer facilement et qu'ils viennent exprès pour toi, et tu dois tout avoir de prêt pour signer à la première visite avec la caution en cash".
Lucas a réussi à éviter l'escroquerie. Pour Anaëlle, 27 ans, l'histoire est moins rose. En 2020, juste avant le confinement, l'étudiante aixoise décroche une alternance à Paris. Elle se met à chercher activement un logement sur les sites de petites annonces. Sans CDI et sans salaire, la situation est compliquée pour elle et ses recherches n'aboutissent pas. Au bout de trois mois, la jeune femme tombe sur une annonce qui correspond à ses attentes.
25m2 dans le 11e arrondissement pour 800 euros, c'est attrayant, et dans la moyenne des autres offres. Donc "rien de suspicieux" pour l'instant. Elle appelle la "propriétaire" et obtient une visite. Le jour dit, les visites s'enchaînent dans le fameux appartement. Elle rencontre la personne, une jeune femme trentenaire.
Une arnaque bien rôdée
Et Anaëlle tombe dans le piège la tête la première. La femme lui donne des indications précises qui rendent sa démarche crédible : "Elle m'a dit que le voisin du dessous était un peu agressif mais pas méchant. Elle m'a aussi conseillé de ne pas poser mon lisseur par terre pour ne pas abîmer le parquet. Ça faisait vrai", explique Anaëlle.
La visite s'est bien passée. La "loueuse" lui demande une deuxième visite pour discuter des formalités et échanger les documents administratifs. "Elle m'a demandé un dossier classique. Elle avait l'air clean. J'étais censée récupérer les clés quelques jours plus tard, après lui avoir donné l'argent de la caution".
Oui mais voilà, l'autoproclamée propriétaire lui demande une caution... en cash. 700 euros. Le jour de la remise des clés, Anaëlle essaye de l'appeler, le numéro n'est plus attribué. Elle ne reverra plus jamais la couleur de sa caution, ni de l'appartement.
"Elle m'avait évidemment donné un faux nom, des faux documents, un faux RIB, une fausse carte d'identité...".
Anaëlle, victime d'escroquerie
Après avoir essayé d'appeler plusieurs fois, Anaëlle a une intuition et cherche le logement sur Airbnb. Il existe, à la même adresse. Elle contacte alors directement le propriétaire sur le site. Celui-ci ne comprend pas, il n'a jamais cherché à louer son bien en dehors de la plateforme.
Anaëlle comprend qu'elle s'est fait piéger. Le vrai propriétaire porte plainte de son côté, tout comme Anaëlle. "Elle m'avait évidemment donné un faux nom, des faux documents, un faux RIB, une fausse carte d'identité...". "Tout était bien fait".
Avec le recul, la jeune femme comprend son erreur. "Il y a la précipitation, le stress de trouver un appart quand ça fait longtemps qu’on cherche. J'étais prise à la gorge, j'ai négligé certaines infos".
Des appartements loués pour les visites
Les faux loueurs utilisent des sites comme seloger.com ou leboncoin pour proposer des locations attractives à petits prix. Lors d’échanges de mail, certains prétextent de ne pas pouvoir se déplacer facilement.
Ils demandent alors au futur locataire de venir à la première visite avec tous ses papiers et un dépôt de garantie de plusieurs centaines d’euros en liquide pour une signature du bail sur place.
Et puis plus rien, plus de réponse de leur part. Certains biens visités sont loués sur Airbnb pour la journée, comme dans le cas d'Anaëlle. Il s'agit bien d'une escroquerie au regard de la loi.
"Les escrocs en profitent parce qu'ils savent que sinon il faut passer par une agence et que c'est plus cher, mais mieux vaut mettre 300 euros et ne pas se faire berner", conclut Lucas.
Les informations récupérées par le faux loueur servent aussi parfois à usurper une identité.
"Le pire, c'est qu'il n'y a personne contre qui se retourner, on ne peut pas se retourner contre leboncoin ou se loger.com qui ne font que mettre les annonces".
Comment repérer les arnaques
La vigilance. Une clé indispensable pour ne pas se faire avoir. "Il vaut mieux prévenir que guérir", pour Gwenaëlle Le Jeune, juriste spécialisée immobilier à UFC Que Choisir, il faut d'abord savoir se débrouiller en informatique, ou se faire aider.
Premier conseil, essayer de savoir si les photos présentes dans l'annonce ne sont pas présentes ailleurs sur internet, sur un autre site comme Airbnb par exemple.
Pour cela, elle conseille la recherche inversée sur Google. Si vous trouvez l'annonce ailleurs, ou dans une autre ville, c'est mauvais signe.
Se méfier également du contenu des échanges et des documents demandés. "Les modes de paiement baroques sont un indice. Si la personne demande de l'argent pour réserver le logement en amont, ce n'est pas forcément rassurant... Légalement, on ne peut pas demander un chèque de réservation", précise-t-elle.
Enfin, Gwenaëlle Le Jeune conseille d'utiliser le site Dossierfacile. Une plateforme en ligne pour constituer un dossier de location numérique labellisé par l'état, protégé par un filigrane. La plateforme du gouvernement va certifier les documents et permet d'éviter que vos papiers d'identité ne tombent entre de mauvaises mains.
Une aide pour les victimes d'e-escroqueries
Les victimes de ces escroqueries peuvent également désormais se tourner vers la plateforme Thesee (Traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries), mise en place par la ministère de l'Intérieur depuis le 15 mars dernier. Elle permet de déposer plainte ou de faire un signalement en ligne.
"A aucun moment la personne n'a besoin de se déplacer, explique le Capitaine Laurent Collomb, en charge du dispositif. C'est une vraie révolution pour la police et la gendarmerie. Ça n’existait pas avant."
Les informations communiquées sont ensuite analysées et recoupées par des experts. Une équipe de 17 policiers et gendarmes, affectés à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), est dédiée à ces plaintes.
Pour l'instant, huit modes opératoires sont pris en compte, dont les fausses locations.
Les escrocs dans le viseur
"Toutes les déclarations sont vérifiées une par une, à la main. C'est un choix pour s’assurer que les déclarations correspondent au périmètre de Thésée et s’assurer que ça ne nécessite pas une autre intervention".
Si la plainte est validée, elle est ensuite transmise à "l’outil d’analyse". Un outil d'information spécialement créé pour Thésée. Il permet à la plateforme Thésée de faire des recoupements et ainsi d'entamer l’enquête.
"On n’'interpelle pas, précise le Capitaine. Nous entamons l'enquête pour remonter aux auteurs des faits puis nous transmettons au tribunal compétent, au parquet local."
"Là où avant, c'était le travail des gendarmes, avec des volumes énormes à traiter, maintenant l'outil fait le recoupement tout seul." Un gain de temps pour tout le monde, et plus de place potentiellement pour les autres plaintes, comme les violences conjugales.
Plus de 3.000 plaintes pour fausses locations
Les résultats de la plateforme Thésée sont là : "depuis le 15 mars, on a validé 3.240 plaintes pour fausses locations sur 24.400 plaintes". Soit plus de 13% des plaintes. Grâce à la plateforme, l'équipe s'est aperçue que les fraudeurs étaient multicartes, et jouaient souvent sur plusieurs tableaux.
Le nombre de plaintes augmentent constamment. Au début, la plateforme enregistrait 150 plaintes par jour, aujourd'hui, 500. "Le développement du numérique, notamment lors du confinement, a facilité la vie des escrocs", constate l'enquêteur.
Aucune de ces enquêtes pour fausses locations n'a pour l'heure abouti. C'est en cours. L'équipe cherche à s'agrandir, car le travail ne manque pas. Et pourquoi pas élargir son périmètre d'action, dans le futur.