TEMOIGNAGE. "Mon père est mon violeur", la commission inceste et violences sexuelles à Marseille pour écouter les victimes

La CIIVISE était à Marseille mercredi. Cette commission fait le tour de France pour recueillir les témoignages des victimes d'incestes et de violences sexuelles. L'association vient de remettre ses premières propositions pour mieux prendre en charge et accompagner les victimes et surtout mieux écouter leurs paroles.

"J'avais sept ans, il en avait 63, c'était mon grand-père". Voilà ce que l'on peut lire sur une des affiches gouvernementales de prévention et d'alerte sur l'inceste, avant le numéro vert écrit en gras 0 805 802 804.

En photo, une jeune femme, visiblement enceinte, avec son prénom et son âge actuel, et de dos, une fillette aux cheveux longs. C'est sur cette silhouette de dos qu'est décrit l'inceste.

Reconnaissance des victimes

Le ton est donné pour cette rencontre à Marseille. Ce soir là, dans la salle de la réunion publique de la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles "CIIVISE", ils sont des dizaines à vouloir prendre la parole. Des hommes, des femmes de tous âges, pour certains, c'était aussi la première fois.

"Il s'est installé, il a élu domicile dans mon cerveau et dans mon corps. Comme le colonisateur, il s'est octroyé le droit de pénétrer dans un territoire qui n'était pas le sien, pour y imposer sa culture de la violence et de la domination. Mais aucun enfant n'est armé pour bouter hors de ses frontières cet envahisseur", explique cette femme qui a eu la force de trouver une métaphore pour exprimer ce qu'elle ressent au-delà des mots. Le public est ému, pétrifié. 

"Mon père est mon violeur, mais je peux dire, même si je suis seul ce soir, notre père est notre violeur", précise un homme à la voix grave dans cet amphithéâtre qui sert pour l'occasion de bulle fragile, où la parole se libère dans un silence de cathédrale.

Des témoignages forts, émouvants et éprouvants. Ils viennent se rajouter aux 11.400 témoignages déjà reçus par la CIIVISE depuis un an, date à laquelle, elle a commencé ses travaux.

Six réunions publiques se sont déjà tenues à travers le pays avant celle de ce mercredi à Marseille.

Un sujet encore trop tabou

"Je sais que j'aurai besoin d'aller déposer plainte pour que mon père soit reconnu pour ce qu'il a fait", explique la voix tremblante une jeune femme, "mais le risque c'est qu'il ne le soit pas."

"Notre société a beaucoup de mal, et on s'en rend compte à chaque fois que quelqu'un libère sa parole sur les réseaux sociaux, tout de suite il y a la présomption de culpabilité, non pas de l'agresseur, mais de la victime", explique Laurent Boyet, fondateur de l'association "Les Papillons".

Aider à libérer la parole, mais surtout l'écouter et mettre en confiance les victimes. L'association Les Papillons aide à la libération de la parole des enfants avec ses boites aux lettres dans les écoles et les clubs de sport.

"Je crois que l'axe principal sur lequel on doit travailler c'est justement l'école, pas l'éducation nationale, mais c'est à  l'école que l'on doit être en capacité d'identifier, de détecter les maltraitances qui subissent les enfants pour pouvoir les accompagner le mieux possible", ajoute Laurent Boyer.

Une commission pour donner la parole

La commission Inceste a été créée par le gouvernement pour entendre la parole de victimes, elle est à mi-parcours de son enquête et a déjà remis des conclusions intermédiaires fin mars au Premier ministre.

Ce premier rapport s'accompagne d'une vingtaine de propositions sur quatre thématiques :  le repérage des enfants victimes, le traitement judiciaire des violences sexuelles, la réparation notamment par le soin et la prévention.

Parmi ses propositions, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) préconise notamment que les médecins aient une obligation claire de signaler leurs soupçons et que toutes les victimes aient accès à des soins spécialisés en psycho-trauma.

"Aujourd'hui la société est prête à dire à des femmes et des hommes qui ont 50, 60, 70 ans, nous vous croyons, nous aurions dû vous protéger. Et si elle est prête à dire cela à des adultes, alors c'est qu'elle doit être prête à dire à des enfants aujourd'hui, je te crois, je te protège, sinon c'est un marché de dupes", précise Edouard Durand,
juge des enfants et co-président de la CIIVISE.

La justice doit se mettre à hauteur d'enfant.

Edouard Durand, co-président de la CIIVISE

En France, 160.000 enfants victimes sont chaque année de violences sexuelles, selon la Ciivise et le plus souvent dans le cercle familial.

Un Français sur 10 aurait subi des violences sexuelles pendant son enfance.

Point essentiel de ce travail de la CIIVISE, la protection des médecins, "car des médecins qui signalent maltraitances ou violences sexuelles sont parfois poursuivis par le parent agresseur devant le conseil de l'ordre des médecins", explique le juge Durand.

"De fait, les médecins ne sont à l'origine que de 5% des signalements pour maltraitances", insiste le juge. Mais le conseil national de l'ordre a déclaré ne pas être "favorable" à une "obligation de signalement".

Autre piste, une fois les violences sexuelles repérées, "la justice doit se mettre à hauteur d'enfant", selon la Ciivise. Les auditions des enfants doivent avoir lieu dans des cadres bienveillants. Leurs enregistrements devraient être systématiquement visionnés par tous les magistrats au cours de la procédure.

Alors que 70% des plaintes pour violences sexuelles infligées aux enfants sont classées sans suite, la Ciivise souhaite que ces décisions soient "expliquées verbalement à la victime" par le procureur de la République.

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