Il était lobbyiste. Il se présente aujourd'hui comme lanceur d'alerte. Mark MacGann était l'homme de l'ombre, relais entre la société américaine Uber et Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie. C'est lui a qui dévoilé tous les documents de l'affaire des Uber Files.
Mark MacGann a fourni 124.000 documents compromettants sur la société américaine Uber. Il a transmis des dizaines de milliers d'emails, de présentations, de tableurs et de documents PDF, datant de 2013 à 2017 au quotidien britannique The Guardian.
Cette enquête du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), dont fait partie franceinfo et Edouard Perrin, journaliste pour l'émission "Cash Investigation", expose les liens entre la société américaine et Emmanuel Macron à l'époque où il était ministre de l'Économie (2014-2016).
Mark MacGann était l'un des protagonistes de l'affaire qu'il dénonce. Ce lobbyiste de 52 ans veut expliquer son acte. Pendant ces deux ans, il a travaillé pour Uber.
"J’ai cru dur comme fer que l’on allait aider les gens à mieux vivre leur ville (…), j’ai surtout cru que nous allions donner des opportunités économiques à des milliers d’invisibles prêts à travailler jour et nuit pour nourrir leurs familles".
Cet Irlandais d'origine nous donne rendez-vous, ainsi qu'à deux autres médias, France Inter et Le Monde. Pour des raisons de sécurité, il nous demande de ne pas préciser le lieu de cette rencontre. L'homme se fait discret. Il nous explique avoir reçu des menaces de mort.
"Trop de mensonges aux gens"
En tant que lobbyiste, Mark MacGann argumentait devant les gouvernements et les médias sur les effets bénéfiques d'une déréglementation du marché pour le compte de la plateforme de voitures avec chauffeurs. C'est lui qui essayait d'obtenir des changements dans les lois sur les taxis et le travail.
"Quand j'ai compris que les opportunités économiques n'étaient pas au rendez-vous, je ne voulais plus mentir", explique-t-il.
Ces documents internes à l’entreprise montrent comment, entre 2014 et 2016, le ministre de l’Economie aurait manœuvré en coulisse pour Uber, assouplissant les conditions d'accès à une licence de VTC.
A cette époque, la société américaine pilote deux services : le premier, qui existe encore, un service de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), encadré par la loi. Le second, UberPop proposait un transport en voiture dont le conducteur était un simple particulier, seulement inscrit auprès d'Uber.
Déclaré illégal par les autorités, ce service qui cristallisait la colère des taxis, a fini par être suspendu par la société américaine en mai 2016, un an après sa mise en service. La fin de Uber Pop a-t-elle fait l'objet de tractation, d'un "deal" ?
"Mais il n'y a pas eu d'arrangement, pas de deal, assure Mark MacGann, le ministre a fait son job, et moi aussi. Uber n'est qu'un des secteurs qui a besoin d'être ouvert à la concurrence. Emmanuel Macron a juste pris le temps de nous écouter".
Emmanuel Macron ou ses conseillers auraient ainsi eu 17 échanges significatifs avec les équipes d'Uber France dans les dix-huit mois ayant suivi son arrivée à Bercy, à l'été 2014, pour que "la France travaille pour Uber afin qu'Uber puisse travailler en et pour la France".
L'actuel chef de l'Etat aurait ainsi rencontré le fondateur et alors PDG du géant américain, Travis Kalanick, en octobre 2014. Au moins trois autres rencontres ont eu lieu par la suite, révèle alors Le Monde, également membre de l'ICIJ.
Mark MacGann estime qu'Uber a enfreint la loi dans des dizaines de pays et trompé les gens sur les bénéfices du modèle de l'entreprise. Uber est devenu le symbole de la "gig economy", l'économie des petits boulots issue des plateformes internet de services aux consommateurs.
"C'était une initiative solitaire. Je veux dire ma vérité, explique encore lobbyiste dénonçant un système "profondément injuste" et "anti-démocratique".
Uber a, elle, mis en cause la "crédibilité" de Mark MacGann.
"Nous comprenons que Mark a des regrets personnels sur ses années de loyauté à l'ancienne équipe de direction mais il n'est pas en position de parler avec crédibilité d'Uber aujourd'hui", a-t-elle réagi dans un email envoyé à l'AFP.
Elle souligne que Mark MacGann s'est retrouvé en conflit avec l'entreprise notamment "pour percevoir un bonus qu'il s'estimait dû". L'affaire s'est soldée par un versement de 585.000 euros.
Mark MacGann reconnait des doléances personnelles avec son ancien employeur et avance une expérience traumatisante. Selon lui, ses deux années chez Uber ont contribué à déclencher un syndrome de stress post-traumatique.
Le lobbyiste et Marseille
L'homme déclare ne pas avoir eu encore le temps de lire ce qui a été écrit dans les médias. À 52 ans, il explique ne plus se souvenir de tous les détails des Uber files. Sur l'arrêté anti-Uber de Marseille, Mark MacGann n'en dira pas plus.
Dans cette ville où plus de 100.000 personnes ont téléchargé l'application dès les premiers mois, selon le directeur général Uber France, la colère éclate en 2015, entre chauffeurs de taxi et VTC.
Le préfet de police des Bouches-du-Rhône prend un arrêté pour interdire la plateforme en centre-ville. S'en serait suivi un échange de sms révélé par franceinfo entre le lobbyiste et Bercy. Deux jours plus tard, l'arrêté est assoupli.
Depuis les révélations des Uber Files, l'ensemble des groupes de gauche du Sénat demande la mise en place d'une commission d'enquête.
Mark MacGann assure qu'il se présentera pour répondre sur les questions portant sur Uber à l'époque où il y travaillait. Sa bonne conscience s'arrête là. Le lobbyiste ne répondra pas sur les personnages politiques qu'il a alors côtoyés.