Albert Corrieri se bat depuis son retour d'Allemagne en 1945, pour faire reconnaître son préjudice, moral et financier lors de sa déportation depuis Marseille. Le 13 mars 1943, réquisitionné par les SS, il est envoyé de force au Service du Travail Obligatoire (STO) à Ludwigshafen. Le doyen des porteurs de la flamme olympique, n'a de cesse de demander réparation auprès de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre et du ministère des Armées.
Albert Corrieri est épaulé dans sa démarche par son avocat maître Michel Pautot, au barreau de Marseille, et d'un historien local, Michel Ficetola qui a beaucoup travaillé sur la rafle de Marseille, et l'opération Sultan. C'est à la suite de cette opération que le sort d'Albert Corrieri bascule. Il est forcé de partir en Allemagne de 1943 à 1945 pour travailler dans le cadre du STO à Ludwigshafen. Avec son avocat et l'appui de l'historien, ils veulent faire reconnaître la culpabilité de l'État Français de Vichy, et demandent à l'État Français actuel, une reconnaissance du statut de victime de crime contre l'Humanité pour Albert Corrieri.
"On m'a arraché de ma famille alors que j'étais soutien"
Le 9 mai dernier, Albert Corrieri a porté la flamme olympique lors de son passage à Marseille, en tant que doyen des porteurs, à 102 ans. Mais la flamme, celle qui continue de brûler en lui, c'est celle de la volonté et de l'opiniâtreté. Il tient à faire reconnaître ce qu'il a subi en tant que déporté et travailleur forcé pendant 25 mois en Allemagne au STO. "De l'esclavage, quand on travaille 10 heures par jour, à charger du charbon, c'était très fatigant, et on ne pouvait pas se reposer", explique Albert Corrieri dont la mémoire garde vivace le moindre souvenir de cette époque.
Après l'opération Sultan sur le Vieux-Port de Marseille, près de 400 000 Marseillais ont été contrôlés et fichés. Ce fichage va permettre aux Allemands et au régime de Vichy de sélectionner des hommes dans la force de l'âge pour les envoyer en Allemagne et les faire travailler de force.
"Les Allemands sont venus me chercher à 10h du matin, pour prendre mes papiers, j'étais dans le restaurant où je travaillais. Ils m'ont dit de revenir le lendemain pour récupérer mes papiers. J'ai dû y aller à 5h du matin. Mais on ne se faisait pas d'illusion, j'ai su que je devais partir en Allemagne, et ils m'ont mis dans le train, je n'ai pas pu dire au revoir à mes parents, ma famille", regrette toujours Alvert Corrieri.
"Pour moi, c'est une très grande pénitence, alors que je n'avais rien demandé, on m'a pris de force. On était une famille heureuse. Et il y a eu cette blessure qui nous a déchirés. Lorsque la famille me voit partir, un fils de 21 ans, c'est dur pour mes parents, c'est dur pour moi, j'étais soutien de famille. Je pars dans un pays ennemi que je ne connais pas", se rappelle Albert.
Albert Corrieri est l'aîné d'une fratrie de cinq à cette époque, il contribue, avec son salaire, à faire vivre sa famille. Son départ est une immense perte pour ses parents au niveau humain, mais aussi financier.
"Des souffrances que je ne souhaite pas à mon pire ennemi"
Une fois dans le train, la destination est l'Allemagne, mais le jeune Albert ne sait pas ni ce qui l'attend, ni où il va précisément. " On a fait un arrêt à une gare de triage, puis j'ai été dirigé vers Ludwigshafen".
Sur place, "on est arrivés, on nous a mis dans l'usine directement, sans nous poser trop de questions. Ils m'ont mis une pelle dans les mains. Il y avait un tas de charbon, il fallait le charger dans les wagons".
Un travail physique et répétitif, à raison de plus de 10 heures par jour, sans pause.
"C’était perpétuel. Il fallait faire ça tous les jours, tous les jours. Comme le tas était très haut, il fallait envoyer la pelle très haut. À 21 ans, on a de la force. Mais malgré tout, vous êtes obligé de donner toute cette sueur. Vous n'en pouvez plus. Vous arrivez à une fatigue intenable".
Albert se rappelle un jour de très grande fatigue, où n'y tenant plus et en l'absence du chef, il s'est octroyé une pause en cachette.
"Finalement, une fois, je suis allé me reposer. Je me suis endormi dans un coin de l'usine, près d'un chaudron, car c'était l'hiver et il faisait froid. Je suis resté à peu près une heure. Une heure de repos et le chef m'a trouvé et m'a réveillé. Ce travail et les centaines de bombardements sont des souffrances que je ne souhaiterais jamais à mon pire ennemi. Je veux être récompensé de ma souffrance. J'ai beaucoup souffert, énormément".
Je fais encore des cauchemars des bombardements
Albert Corrieri
Le plus dur pour Albert Corrieri, c'est le sommeil, près de 80 après ce qu'il a vécu, il est toujours réveillé par d'horribles cauchemars. Ceux des bombardements incessants qu'il a subis.
"Notre camp était bombardé régulièrement, c'est quelque chose de terrible à subir. C'était réglé comme du papier à musique. Il y avait des bombardements ciblés de midi à minuit. On avait chaque fois des alertes, pour prévenir des bombardements. À table, la nuit, tout le temps, il fallait courir se mettre à l'abri. On dormait habillé pour ne pas perdre de temps. Parfois les abris étaient pleins, on devait attendre dehors. J'ai subi un bombardement de six heures sans arrêt, des avions anglais et américains qui se succédaient. Il faut le vivre pour comprendre ce qu'on a vécu, et on ne peut pas l'oublier, jamais", témoigne Albert Corrieri.
Le STO, un travail forcé et non rémunéré
Il y avait, en réalité, deux STO, un que les Français pouvaient choisir, plébiscité par le régime de Vichy, pour les "collabos", et un autre contraint et non rémunéré, et c'est ce dernier qu'Albert Corrieri a subi.
"C'est pour ce rétablissement de la vérité que l'on se bat aussi, Albert Corrieri a été déporté, enfermé dans un camp de travail nazi, et vivait dans l'équivalent d'un camp de concentration, dans des baraquements, surveillés par des SS, il ne faut pas faire d'amalgame avec ceux qui ont choisi de venir travailler en Allemagne et qui n'étaient pas traités comme cela", insiste Miche Ficetola, historien.
Le travail dans les usines allemandes n'était absolument pas rémunéré. Après 25 mois de travaux forcés, (18 mois dans une ville et 7 mois dans une autre), une fois libéré par les Américains, Albert rentre à Marseille. Il travaille comme plombier. Il a en tête de faire reconnaître son enrôlement de force au STO et récupérer le manque à gagner, dès les années 1950, il commence à écrire pour demander réparation, mais il est seul et personne ne semble lui prêter attention.
"Je suis allé partout et j'ai écrit des lettres et je n'ai jamais rien reçu comme réponse ou alors seulement on m'a répondu que j'avais droit à rien. Je suis allé au consulat allemand, il y a quelques années, je suis rentré, on m'a bien reçu, mais on m'a fait partir. Ça signifie qu'ils nous ont complètement oubliés, qu'ils nous ont laissés dans les oubliettes", explique Albert Corrieri.
"C'est seulement en 1995, que l'État Français va reconnaître les exactions commises sous l'occupation allemande", explique Michel Fistola, spécialiste de la question allemande à Marseille, et notamment sur l'opération Sultan.
Aidé par Michel Ficetola, historien qui a recueilli son témoignage en 2019, Albert Corrieri a décidé de prendre un avocat, en la personne de Michel Pautot. Ensemble, ils veulent porter la voix d'Albert et des oubliés du STO. Pour le moment, le tribunal n’est pas saisi.
"On estime qu'il y a crime contre l'Humanité parce qu'il a été déporté et il n'a jamais touché de rémunération", précise Maître Pautot.
"Et moi, je bous parce que je sens que je suis pris pour un imbécile. Je suis pris pour une andouille alors qu'on est des êtres humains. On doit être respectée. Aujourd’hui, on est obligé d'employer des moyens, et cela me fait de la peine de le dire, de le faire", regrette le valeureux centenaire.
"On a adressé un recours au préalable à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre et au ministère des Armées, au secrétariat d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire", explique Michel Pautot, l'avocat d'Albert Corrieri.
Ce recours est le point de départ pour les trois hommes d'"une conciliation à l'amiable".
"On demande une indemnité financière parce qu'en fait Monsieur Corrieri a été forcé au service du travail obligatoire pendant 18 mois. Il a été déporté. Nous, on formule aujourd'hui une demande d'indemnisation sur une base de dix euros de l'heure, donc pour les dix-huit mois, on demande la somme de 43 200 euros", détaille l'avocat, "c'est une demande symbolique, vous l'aurez compris".
Albert Corrieri et son avocat espèrent une conciliation à l'amiable après ce recours. Si tel n'était pas le cas, ils l'affirment " nous irions saisir le tribunal pour demander cette indemnisation".
"Pour moi, c'est un combat, à la fois pour l'Humanité et la fraternité, c'est pour les anciens" ; précise Michel Pautot.
"Ce serait historique dans le sens où la France reconnaîtra qu'en réalité l'État français de l'époque a pu commettre des fautes, reconnaître cela, ce serait extraordinaire pour la République", précise Michel Ficetola, l'historien.
"Ce serait vraiment une honte pour l'État français s'il n'y a pas réparation et que qu'on l'oblige à aller au tribunal administratif", insiste l'historien.
"Je vous dis la vérité, je suis fatigué", a conclu Albert Corrieri, du haut de ses 102 ans.